​Entretien : Pourquoi l’Éthiopie mise sur l’atome maintenant et pourquoi cela surprend


Rédigé par le Mardi 30 Septembre 2025



Le 25 septembre 2025 à Moscou, l’opérateur public éthiopien a signé avec Rosatom un plan d’action pour « planifier et construire » une centrale nucléaire. L’annonce a pris de court nombre d’observateurs africains : à peine deux semaines après l’inauguration officielle du mégabarrage de la Renaissance (GERD), Addis-Abeba ouvre un second front énergétique, rare sur le continent et stratégiquement sensible.

L’intérêt est évident : sécuriser une puissance pilotable 24/7, réduire la dépendance à l’hydrologie, stabiliser un réseau appelé à soutenir l’industrialisation et, demain, des exportations régionales. Mais les questions s’empilent : financement dans un contexte de sanctions, choix technologique (réacteur “gigawatt” ou SMR), sélection de site et ressource en eau, montée en puissance du régulateur selon les standards AIEA, horizon calendaire crédible.

Au-delà de l’ingénierie, l’accord dit aussi quelque chose du moment géopolitique : la diplomatie des infrastructures russes gagne un nouveau terrain en Afrique, tandis que l’Éthiopie cherche des partenariats de long terme pour diversifier son mix. Dans cet entretien, notre invité(e) démêle le signal du bruit : ce que contient réellement le texte, ce qu’il ne dit pas, et ce qui fera — ou non — passer l’idée du communiqué au kilowattheure.

La rédaction a pu contacter un spécialiste de l’énergie nucléaire, qui a accepté de répondre à nos questions.

Q — Qu’a-t-on signé exactement ?

R — Un plan d’action (action plan) Russie–Éthiopie pour planifier et construire une centrale nucléaire en Éthiopie. Le document a été paraphé lors d’un forum nucléaire par Aleksei Likhachev (Rosatom) et Ashebir Balcha (Ethiopian Electric Power). Il prévoit une feuille de route technico-économique, un cadre intergouvernemental à négocier et un volet formation. Ce n’est pas un contrat de chantier ni une décision finale d’investissement. 

Q — Où et quand cela s’est-il passé ?

R — À Moscou, le 25 septembre 2025, en marge de la semaine nucléaire (World Atomic Week). Plusieurs sources sectorielles confirment la temporalité et le décor. 

Q — Qui sont les parties prenantes côté éthiopien et russe ?

R — Rosatom, conglomérat public russe, et l’opérateur éthiopien Ethiopian Electric Power (EEP). La signature a été faite par leurs dirigeants exécutifs. 

Q — Est-ce que cela lance la construction ?

R — Non. On reste en amont : pas de site arrêté, pas de technologie annoncée, pas de montage financier dévoilé. Les prochaines étapes passent par un accord intergouvernemental détaillant responsabilités, financement et calendrier. 

Q — Pourquoi l’Éthiopie regarde l’atome maintenant ?

R — Le pays vient d’inaugurer le GERD (Grand Barrage de la Renaissance) le 9 septembre 2025. L’hydraulique domine le mix électrique éthiopien (environ 90 % de l’électricité), mais reste saisonnière et dépendante du climat. Le nucléaire apporterait une puissance pilotable 24/7 pour stabiliser le réseau et soutenir l’industrialisation. 

Q — Y a-t-il des références régionales pour un tel projet ?

R — Oui. L’Égypte construit El-Dabaa (4 réacteurs VVER-1200 de conception russe). L’Afrique n’exploite aujourd’hui qu’une seule centrale en service, Koeberg (Afrique du Sud). Ces repères cadrent l’ambition et les délais plausibles. 

Q — Quelle technologie l’Éthiopie pourrait-elle choisir ?

R — Aucune n’est annoncée. Deux familles existent côté Rosatom : des réacteurs “gigawatt” VVER-1200 (comme en Égypte) ou des SMR (petits réacteurs modulaires) encore peu déployés commercialement. Le choix techno conditionnera coûts, besoins réseau et délais, mais rien n’est acté pour Addis à ce stade. 

Q — Quel horizon temporel réaliste ?

R — Pour un premier kilowattheure nucléaire dans un pays “nouveau venu”, l’approche “Milestones” de l’AIEA pointe une trajectoire pluri-décennale : 10–15 ans typiquement entre décision politique, capacités institutionnelles, construction et mise en service. La décennie 2030 est le scénario optimiste si les jalons s’enchaînent vite. 

Q — Le nœud du financement ?

R — Central. À Moscou, Vladimir Poutine a lui-même plaidé pour de nouveaux modèles de financement du nucléaire civil (durées longues, tickets élevés, risques pays). En clair : sans architecture financière crédible (prêts souverains, garanties, BOO/PPP…), l’accord reste symbolique. Aucun schéma financier n’est public pour l’Éthiopie. 

Q — Quelles exigences en matière de sûreté et de régulation ?

R — L’AIEA exige un régulateur indépendant, un cadre législatif robuste, des plans pour le combustible usé et une culture de sûreté. Le plan signé évoque la formation, ce qui laisse entendre que la montée en compétences institutionnelles et humaines est intégrée dès l’origine. 

Q — Quels risques opérationnels à anticiper ?

R — Trois blocs :

Réseau : un réacteur de classe GW exige un réseau stable et des lignes d’évacuation robustes ; à défaut, les contraintes d’exploitation s’envolent.

Eau & site : la disponibilité en eau de refroidissement et l’étude d’impact seront déterminantes pour le choix du site.

Hydropolitique : avec le GERD, l’Éthiopie est déjà au cœur de tensions régionales ; l’atome ajoute une couche stratégique et diplomatique avec la Russie. 
Reuters

Q — Quels “signaux forts” surveiller maintenant ?

R — Quatre signaux à serveiller effectivement :

1) Signature d’un accord intergouvernemental détaillé ;
2) Annonce techno (VVER-1200 vs SMR) et pré-sélection de site ;
3) Bouclage financier (source des prêts, garanties, rôle d’institutions tierces) ;
4) Feuille de route AIEA : calendrier du régulateur et des licences. 
 

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Mardi 30 Septembre 2025
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