​Et si les partis politiques marocains se convertissaient enfin au soft power ?


Rédigé par le Mercredi 18 Juin 2025



La crise de confiance : symptôme d’une déconnexion profonde

À l’approche des élections législatives de 2026, les partis politiques marocains semblent confrontés à un paradoxe stratégique majeur : comment mobiliser un électorat désabusé sans recourir aux recettes du passé ? Et si la réponse résidait dans une conversion – non pas idéologique – mais communicationnelle : celle du soft power.

Depuis plus d’une décennie, le lien entre les partis politiques marocains et les citoyens s’effrite dangereusement. Abstention record, volatilité électorale, effondrement des militantismes structurés… Les signaux d’alerte se multiplient, à mesure que les électeurs – notamment les jeunes – tournent le dos à une offre politique qu’ils jugent peu crédible, opaque ou dépassée.

Dans ce climat de défiance, les mécanismes traditionnels d’influence partisane (réunions, clientélisme, affichages de proximité) apparaissent usés. Les partis s’expriment, mais ne sont plus entendus. Ils proposent, mais ne parviennent plus à convaincre. Une fracture narrative s’installe entre les discours officiels et les imaginaires sociaux.

Le soft power : une stratégie oubliée, un levier possible
Conceptualisé par Joseph Nye, le soft power désigne la capacité d’un acteur à influencer autrui non par la contrainte ou l’achat, mais par la séduction, la culture, les valeurs, et la communication persuasive. Longtemps apanage des États dans les relations internationales, ce mode d’influence douce devient aujourd’hui un outil stratégique pour tout acteur souhaitant regagner en légitimité, en attractivité, et en capacité d’adhésion.

Et si les partis politiques marocains intégraient cette logique ? Non plus comme un gadget de campagne, mais comme une refondation profonde de leur rapport aux citoyens.

Utiliser le soft power, ce n’est pas seulement faire du marketing électoral. C’est repositionner le discours politique dans une dimension émotionnelle, culturelle, identitaire. Il ne s’agit plus seulement d’expliquer un programme, mais de raconter une vision du futur, de partager des valeurs communes, d’incarner une cause qui dépasse les intérêts partisans.

En pratique, cela implique :

Des récits politiques porteurs de sens, qui ne se limitent pas à la gestion ou à la technocratie, mais qui engagent des imaginaires collectifs : justice sociale, dignité, transition écologique, souveraineté économique…

Des figures politiques renouvelées, capables de susciter l’identification, l’écoute et l’inspiration, au-delà du charisme individuel.

Une communication émotionnelle et digitale, ancrée dans les codes culturels et les usages sociaux actuels (vidéos courtes, formats immersifs, storytelling horizontal).

Une présence culturelle, à travers l’art, la musique, le sport ou l’engagement communautaire, pour incarner la politique dans la vie réelle.

Si le Maroc compte aujourd’hui une jeunesse numériquement connectée, politiquement méfiante mais socialement engagée, c’est bien là que le soft power peut faire levier. Les partis peuvent-ils redevenir des “marques sociales” capables de parler au cœur de cette génération ? De transformer TikTok, Instagram ou YouTube en terrains de débats, d’idées et d’émotions politiques ? À l’heure actuelle, très peu y parviennent.

La plupart peinent à sortir de leurs codes bureaucratiques ou de leur communication auto-centrée. Pourtant, les signaux faibles sont là : l’émergence d’influenceurs politiques indépendants, la politisation des mouvements culturels, la montée de la critique sociale sur les réseaux. Autant d’opportunités de dialogue que les partis pourraient saisir, à condition de rompre avec la posture verticale et descendante.

Vers un "parti soft" ?

Imaginer un parti soft power, c’est penser un acteur politique qui influence sans imposer, qui écoute avant de parler, qui convainc plutôt qu’il ne promet. Cela nécessite une transformation structurelle des partis : dans leur formation interne, leur manière de recruter, leur ancrage territorial, leur rapport aux médias, et même leur gouvernance.

Ce changement est-il possible dans le système partisan marocain actuel ? Rien ne l’interdit, mais tout le rend difficile : centralisme, verrouillage des appareils, faible rotation des élites, instrumentalisation électorale des campagnes. Le soft power demande du temps, de la sincérité, et une volonté d’incarner le politique autrement.

Les élections législatives de 2026 pourraient marquer un tournant. Dans un contexte de mondialisation des perceptions, de fatigue démocratique et de tension sociale croissante, seule une reconquête symbolique et émotionnelle de l’espace public pourra sauver la représentativité politique. Non pas en recyclant les vieilles recettes du pouvoir dur (clientèle, influence locale, promesses sans suite), mais en adoptant une politique de l’écoute, du sens et de l’affect.

Le soft power n’est donc pas un luxe. C’est peut-être la dernière chance pour les partis marocains de redevenir des forces vivantes dans la société, et non des structures désincarnées survivant d’un cycle électoral à l’autre.

La presse partisane en véritables outils d’influence douce ?

Et si les partis politiques marocains se convertissaient enfin au soft power — non seulement pour renouer avec les citoyens à l’approche des législatives de 2026, mais aussi pour transformer leurs presses partisanes en véritables outils d’influence douce ?

Dans une société marocaine traversée par une grande diversité d’opinions, l’heure est venue pour les formations politiques d’ouvrir leurs médias internes à la pluralité des voix, d’abandonner la logique de propagande fermée, et d’investir pleinement dans un soft power informationnel fondé sur l’écoute, la qualité éditoriale et la reconnaissance des différences.

Car reconquérir la confiance du public ne passera ni par les slogans ni par les machines électorales, mais par une capacité renouvelée à raconter, à dialoguer… et à inspirer.




Mercredi 18 Juin 2025
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