​Ibtissame Lachgar condamnée à deux ans et demi de prison ferme : le féminisme radicale au banc des accusés


Rédigé par La rédaction le Jeudi 4 Septembre 2025



Le tribunal de première instance de Rabat a rendu son verdict le mercredi 3 septembre 2025 : 30 mois de prison ferme assortis d’une amende de 50 000 dirhams à l’encontre d’Ibtissame « Betty » Lachgar, connue pour son engagement radical en faveur des libertés individuelles et de la laïcité. Le motif ? Une publication jugée blasphématoire, où elle arbore un t‑shirt portant l’inscription provocatrice « Allah is lesbian » 

Lachgar, 50 ans, fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), avait publié cette image fin juillet sur X (anciennement Twitter), accompagnée d’un texte dénonçant « toutes les religions… comme idéologies phallocrates, misogyne et fasciste » . Rien que cela !

Elle s’est défendue en répétant que l’intention n’était pas d’insulter l’islam mais de critiquer une domination patriarcale globale ; son t‑shirt, selon elle, avait été conçu à Londres, bien avant cette affaire.

Cette condamnation, alors que Lachgar est atteinte d’un cancer nécessitant une intervention chirurgicale urgente a provoqué une certaine émotion. La défense avait formellement requis la libération provisoire pour raisons médicales, sans succès : la justice a refusé cette demande, malgré les arguments en faveur d’une attention médicale prioritaire 

L’Association marocaine des droits humains a parlé d’un verdict « injuste » qui cible la liberté d’opinion et d’expression, et a annoncé son intention d’interjeter appel 

Et comme on pouvait s'y attendre, son cas provoque une onde de protestation internationale, de Madrid à Barcelone, contre ce qu’on perçoit comme une restriction grave des marges de débat, sur un terrain où l’homosexualité reste pénalisée au Maroc .

Ce procès soulève un paradoxe entre loi et conscience. Maroc, pays à majorité musulmane, dispose d’un code pénal qui protège officiellement la religion de toute offense. L’article 267‑5 prévoit jusqu’à cinq ans de prison et des amendes jusqu’à 500 000 dirhams si les propos jugés offensants sont diffusés « par voie électronique » 

Mais dès lors que ce t‑shirt ou ce slogan pousse la provocation jusqu’à choquer, la question devient : est-ce blasphème pour tous, ou expression provocatrice d’un féminisme radical ?

Ibtissame Lachgar incarne cette tension. Athée, féministe radicale, cofondatrice du MALI (créé en 2009 avec Zineb El Rhazoui), elle lutte pour la liberté sexuelle, l’avortement, la dépénalisation du rapport hors mariage, et l’instauration d’un État laïque 

Son parcours est truffé d’actions symboliques : pique-nique durant le ramadan, kiss-in public… Autant de gestes qui, pour certains, frôlent l’« insolite provocateur et inutile », et pour d’autres tres minoritaires dans la société, sont de puissants signaux démocratiques.

Dans cette affaire, la justice applique le texte à la lettre ; les droits humains y voient la main du religieux ou du politique se substituer à la nuance démocratique.

Une certaine franche de la société reste partagés entre la nécessité de respecter à la lettre la religion des Marocains, et celle de défendre la liberté de critique et de conscience.

​Et maintenant ?

Ce dossier offre un beau terrain de réflexion. Si la liberté peut choquer, jusqu’où peut-on l’étirer ? Et quelle société désire-t-on — une où on peut critiquer le sacré pour ouvrir un débat, ou une où toute insulte à la religion cristallise la logique du pouvoir ? 

Cette histoire nous pousse à interroger notre propre idée de la liberté. Et elle est loin d’être terminée. L’appel est annoncé. L’histoire garde une porte ouverte : celle de la possible résilience. Peut-être qu’au-delà des cris, un vrai débat en sortira, et que les fragments cassés du discours retrouveront un jour une forme d’équilibre.




Jeudi 4 Septembre 2025
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