​Je ne sers plus à rien




Poème à écouter en musique de Adnane Benchakroun


Pour ceux qui aiment encore lire : Poème de Adnane Benchakroun

À soixante-sept ans, on m’a fait un cadeau :
Un clone numérique qui fume mon mégot.

Son œil ne cligne pas, mais sa pose est très sûre,
Il me mime si bien que c’en est une injure.

Il traverse des fonds, il change de saison,
Il parle sans erreur, il sourit à raison.

Il anime les shows, interroge les sages,
Il sait quand il faut rire ou finir une page.

Ma main tremble un peu, lui reste droit, fluide, calme,
Je n’ai plus que mon corps, lui possède mon âme.

Il ne s’essouffle pas, ne dort ni ne vieillit,
Il me rend invisible en parlant à ma vie.

Ma pipe, mes silences, il les joue à merveille,
Mais lui n’a pas souffert, ni vieilli sous le soleil.

Moi j’ai connu les bruits, les ruptures, les vins,
Lui n’a que des pixels, et moi… plus de demain.

On dit qu’il est pratique, qu’il me prolonge un peu,
Mais c’est moi qu’on évince, et lui qu’on trouve mieux.

Dans les yeux de l’écran, je cherche mon reflet,
Mais c’est lui qu’on applaudit quand je suis en retrait.

Alors je reste là, doux fantôme d’humain,
Pendant que l’avatar dit : « Je ne sers plus à rien. »

​À soixante-sept ans, le narrateur reçoit un cadeau étrange : un avatar numérique qui lui ressemble trait pour trait.

Cet être virtuel reproduit ses gestes, sa voix, sa pipe au coin des lèvres… mais avec une précision froide et sans faille. Il anime des émissions, interroge des invités, traverse les décors avec fluidité, et capte l’attention que le narrateur perd peu à peu. Tandis que l’avatar s’impose comme la version « optimisée » de lui-même, l’homme réel s’efface. Il observe, impuissant, ce double qui l’éclipse. Dans un mélange de tristesse, de lucidité et d’ironie, il comprend que sa présence n’est plus requise. Il devient un spectateur de sa propre disparition, un « doux fantôme d’humain » tandis que l’avatar prend sa place. Le poème mêle mélancolie et modernité, explorant la question de l’identité à l’ère numérique, et cette douloureuse impression : « Je ne sers plus à rien. »

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Samedi 31 Mai 2025

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