​La Chine : de la copie à la conquête du monde mais jusqu’où ira l’Empire industriel invisible ?


Rédigé par La rédaction le Jeudi 6 Novembre 2025

On a longtemps souri devant les jouets en plastique bon marché, les téléphones génériques sans marque, ou les chaussures « inspirées » des grandes enseignes. Pourtant, en quelques décennies, la Chine a transformé l’art de la reproduction en arme économique, jusqu’à bousculer les puissances occidentales dans leurs propres domaines. Faut-il y voir du génie stratégique ou un risque systémique pour l’équilibre industriel mondial ? La question mérite d’être posée, surtout pour un pays comme le Maroc qui construit encore son modèle productif.



Par Dr Anwar CHERKAOUI, expert en communication médicale et journalisme de santé

De la copie assumée au génie méthodique

Je me souviens d’une anecdote racontée par un ami chirurgien en mission à Shanghai. Lorsqu’il a demandé à un ingénieur comment fonctionnait un robot médical ressemblant presque trait pour trait au célèbre système Da Vinci, la réponse fut simple :

« On a reproduit, amélioré, rendu plus accessible. »

Ton calme, sourire assuré. Ni culpabilité, ni gêne. Juste une logique d’efficacité.

La Chine n’a jamais caché cette approche. Copier ? Non, répliquer. Répliquer avant d’améliorer. Et améliorer pour dépasser.

Au fond, on aurait tort d’y voir un simple piratage industriel. Derrière les clichés, il y a une stratégie que beaucoup ont sous-estimée. Pékin a compris très tôt que l’innovation naît souvent de l’imitation, d’un long chemin d’apprentissage. « Pour créer, il faut d’abord savoir refaire ce qui existe déjà », rappela un professeur de l’université Tsinghua lors d’un forum sur l’innovation.

Partant de là, que reste-t-il au hasard ? Pas grand-chose.

Un État stratège : usine, école et bouclier

Contrairement à de nombreuses démocraties où les changements de majorité peuvent modifier brutalement les orientations économiques, la Chine planifie sur des décennies. Et cette continuité, on doit le reconnaître, produit des résultats mesurables.

Le gouvernement finance, oriente, impose des transferts technologiques aux multinationales, structure les chaînes de valeur et protège agressivement ses industries naissantes.
« Si tu veux vendre ici, tu partages ton savoir-faire », résument certains industriels occidentaux avec amertume.

Dans un pays de plus d’un milliard d’habitants, la main-d’œuvre n’est pas seulement abondante : elle est organisée, hiérarchisée, disciplinée. Les villes-usines ne dorment jamais, et lorsque le monde se repose, la Chine fabrique.

Cela effraie autant que ça force le respect.

L’exemple du domaine médical : trois leçons brutales

Lorsque la pandémie de COVID-19 a désorganisé la planète, Pékin a vu dans le chaos un terrain d’expérimentation.
D’abord, les scanners et IRM chinois, moins coûteux, ont envahi les hôpitaux du Sud global, concurrençant Siemens ou GE.
Ensuite, les robots chirurgicaux low-cost ont démocratisé une technologie autrefois réservée aux grandes capitales.
Enfin, la génomique et la biologie moléculaire locales ont explosé. Tester, séquencer, analyser ? Massivement, rapidement.

Tout cela pose une question dérangeante : que reste-t-il lorsque la souveraineté technologique change de mains ?

La propriété intellectuelle comme variable d’ajustement

Dans l’imaginaire chinois, copier n’est pas un vol. C’est un acte d’apprentissage.
L’Occident y voit une violation du droit. La Chine y voit une étape.

La nuance est culturelle mais déterminante. Au Japon, on perfectionnait. En Corée, on adaptait. En Chine, on absorbe, digère, multiplie. Et lorsque le produit final sort des chaînes, il est souvent 25 à 50 % moins cher.

Quelle entreprise européenne peut survivre face à un tel niveau de compétitivité prix ?

Du textile aux fusées : une omniprésence déroutante

Regardons honnêtement.
Textile ? Domination.
Smartphones ? Domination.
Drones civils ? Monopole mondial.
Véhicules électriques ? Offensive massive, à tel point que Bruxelles enquête sur les subventions de Pékin.
TGV ? Exportés en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud.
Robotique, satellites, intelligence artificielle ? La montée continue.

Lorsque la Chine veut un marché, elle mobilise trois forces : le financement public, la vitesse industrielle et l’absorption technologique.

Résultat : il ne reste presque plus de niches.

Pourquoi les autres pays ne réussissent-ils pas ce modèle ?
On pourrait croire qu’il suffit de copier la copieuse. Mais le modèle chinois repose sur trois piliers difficiles à répliquer :

• La taille de la population : une masse critique que peu de nations possèdent.
• Un État hyper centralisé : capable d’imposer sans négociation.
• Une culture du sacrifice : accepter d’échouer mille fois pour réussir une fois.

Chez nous, au Maroc, les cycles politiques, la prudence réglementaire, la recherche de consensus ralentissent l’action. Et cette prudence est légitime : notre modèle est fondé sur la cohésion sociale, le dialogue, et la protection des droits.

Le prix du développement chinois, lui, est payé en heures, en corps, en silence.

L’innovation comme nouvel étendard

Depuis quelques années, la Chine ne se contente plus d’imiter. Elle invente.

Dans les dépôts de brevets en intelligence artificielle, elle dépasse désormais les États-Unis. Elle compte plus de chercheurs en robotique médicale que toute l’Union européenne. Sa flotte de satellites se densifie. Et sa conquête lunaire n’est pas symbolique : elle vise des ressources.

Là encore, Pékin ne se contente pas de suivre. Elle veut mener.
Et la planète découvre soudain qu’elle n’est peut-être plus seconde, mais troisième.
Une menace pour la diversité industrielle mondiale

Le risque, en économie, s’appelle « verrouillage de marché ».

Lorsque un acteur fabrique moins cher, recrée plus vite, copie plus précisément, alors les autres arrêtent d’investir.

Le progrès technique se concentre, le pouvoir aussi.

Imaginez un monde où 80 % des équipements médicaux, électroniques ou énergétiques proviennent d’un seul pays. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est un futur probable.
Et tout monopole finit par corroder la concurrence, la créativité, et la liberté stratégique.

Une opportunité pour le Sud global : Mais soyons honnêtes : pour le Maroc, pour l’Afrique, pour une partie de l’Asie, la Chine offre une chance.

• Équipements hospitaliers abordables,
• voitures électriques accessibles,
• infrastructures financées,
• transferts de compétences.

Elle casse les barrières d’entrée. Elle démocratise des technologies autrefois réservées aux plus riches. Dans certains hôpitaux marocains, des appareils d’imagerie chinois ont permis de sauver des vies là où des appareils occidentaux étaient trop chers.

Faut-il s’en plaindre ? Pas si vite.

La grande question marocaine

Sommes-nous condamnés à importer ? Ou pouvons-nous, nous aussi, apprendre, absorber, adapter ?

Notre stratégie nationale d’industrialisation verte, notre montée en compétences dans l’automobile, l’aéronautique, l’hydrogène montrent qu’un autre chemin est possible.

Mais il exige : une vision de long terme, la protection de nos chaînes locales et une montée en gamme éducative.

Nos jeunes ingénieurs, nos startups, nos centres R&D doivent être traités comme des trésors nationaux. Parce que dans vingt ans, c’est la technologie qui fera la souveraineté — pas le pétrole.

Peut-on arrêter la Chine ?

Certains parlent de barrières douanières. D’autres, de découplage.
Honnêtement, cela ressemble plus à de la panique qu’à une stratégie.
La Chine est entrée partout : dans nos téléphones, nos routeurs, nos panneaux solaires, nos voitures, nos médicaments.

La couper reviendrait à débrancher le monde.

La vraie bataille se joue dans les cerveaux : Pas dans les usines, Pas dans les ports mais dans la formation.

Le Maroc l’a compris avec sa réforme de l’éducation, ses investissements dans l’enseignement supérieur technique, son ambition de rejoindre le Top 15 des destinations scientifiques africaines.

Ne rions pas, Chaque génie formé vaut mille conteneurs importés.

Copier, améliorer… ou disparaître ?

On peut critiquer la Chine, mais on ne peut pas ignorer sa logique.
Elle copie pour apprendre.
Elle apprend pour dépasser.
Elle dépasse pour dominer.

À une époque où tout va très vite, la vraie question pour nous est simple : allons-nous regarder passer le train à grande vitesse chinois… ou construire notre propre voie ?

Parce que ce siècle porte déjà les couleurs de l’Empire du Milieu.
Rien n’interdit que le prochain arbore aussi un peu de bleu, de rouge et de vert.




Jeudi 6 Novembre 2025
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