​La lutte contre la corruption : nettoyer les écuries d’Augias




Par Abdeslam Seddiki

La corruption au Maroc, comme dans beaucoup de pays, est un phénomène complexe, enraciné dans des facteurs historiques, institutionnels, économiques et sociaux. Voici les causes les plus couramment identifiées par les chercheurs, ONG et institutions internationales.

1. Gouvernance et institutions encore fragiles
Même si des réformes ont été engagées (Instance Nationale de Probité, lois sur la déclaration de patrimoine, digitalisation des services publics…), l’application reste souvent lente, incomplète ou non contraignante. Ce décalage entre les textes et la mise en œuvre crée suffisamment d’espace pour les pratiques douteuses.
 2. Pouvoir discrétionnaire élevé dans l'administration
Dans plusieurs secteurs (urbanisme, justice, douanes, services communaux), l’accès aux services dépend encore beaucoup : de l’intervention d’un fonctionnaire précis, de procédures parfois peu transparentes, et d’un manque d’automatisation. Plus il y a d’interactions humaines, plus la probabilité de corruption augmente.
 3. Faible culture de reddition des comptes. Il existe encore : peu de sanctions effectives, des enquêtes qui n’aboutissent pas toujours, une protection insuffisante des lanceurs d’alerte. Sans risque réel, les comportements non éthiques persistent.
 4. Poids de l’économie informelle. Une grande partie de l’économie marocaine fonctionne hors du cadre formel : transactions non déclarées, absence de traçabilité, recours à des arrangements informels…L’informel nourrit la corruption, et la corruption renforce l’informel.
5. Inégalités socio-économiques
Lorsque les opportunités économiques sont limitées : certains cherchent des “raccourcis” pour accéder à un emploi, un permis, une autorisation… et certains agents publics complètent leurs revenus par des pratiques illégales. La corruption devient alors un mécanisme de survie pour certains, et un privilège pour d’autres.
 6. Culture sociale de « lahlaoua » الحلاوة
Dans certains contextes, “offrir quelque chose” pour accélérer une procédure est perçu comme normal. Cette normalisation rend la corruption socialement tolérée, même quand elle est rejetée en principe.
 7. Influence du clientélisme politique
Dans plusieurs régions, l’accès aux ressources ou aux postes peut dépendre : de réseaux personnels, de loyautés, de relations familiales ou politiques. Le clientélisme entretient un système où les faveurs et privilèges remplacent la règle de droit.

Forces centrifuges vs forces centripètes.

Dans de telles conditions, on voit mal comment la corruption peut reculer nonobstant les déclarations officielles jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Les forces centrifuges et les intérêts établis l’emportent sur les forces centripètes et la volonté de changement. La corruption est devenue une véritable gangrène qui ronge de l’intérieur la société, prive le pays de diverses opportunités et crée de multiples dysfonctionnements : un manque à gagner au niveau du PIB estimé à 50 milliards DH chaque année ; aggravation des inégalités sociales ; atteinte aux valeurs de probité et de patriotisme ; généralisation de la suspicion au sein de la société et rupture des rapports de confiance… Tous ces facteurs aux effets pervers nuisent sérieusement au développement de notre pays et à sa réputation au niveau mondial. 

Une stratégie anti-corruption 2015-2025 a été adoptée par le gouvernement de l’époque en grande pompe, elle a coûté beaucoup d’argent et suscité beaucoup d’espoir. Le résultat final est plus que décevant ! Ce qui donne à réfléchir pour la suite. 

Dans ce contexte, l'Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC) est revenue à la charge. C’est à son honneur. Ainsi, elle vient de présenter à l’occasion de la journée internationale de la lutte contre la corruption le 9 décembre dernier   une Stratégie quinquennale 2025-2030. Les mauvaises langues diraient : « encore une stratégie, pourquoi faire ? ».  On peut toujours tenter un autre coup pourvu que la mayonnaise prenne cette fois-ci. 

L’horizon emblématique de 2030 !

À l’horizon 2030, l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption aspire à s’affirmer comme une institution de référence et de leadership dans l’ingénierie de la probité publique, capable de : Orienter la politique publique en matière de prévention et de lutte contre la corruption ; Mobiliser les acteurs publics, privés ainsi que la société civile autour d’un projet national inclusif pour la probité ; Produire un impact mesurable dans la relation entre le citoyen et l’Instance.

Cette vision repose sur trois piliers étroitement liés : 1. La probité comme valeur sociétale : elle s’apprend, se pratique et se récompense ; 2. La probité comme système institutionnel : il se gère, se mesure et se réexamine régulièrement ; 3. La probité comme levier de développement équitable, de qualité du service public et de légitimité de la décision publique.

Ainsi, l’Instance ne réduit pas la probité à sa seule dimension répressive des actes de corruption ; elle l’envisage comme une ingénierie globale du système de la confiance publique.

Convaincue du fait qu’une légitimité durable ne peut être construite sans une identité fondée sur des valeurs clairement définies, l’Instance s’appuie, dans l’exercice de ses missions, sur un système de valeurs constituant sa référence éthique et comportementale. Ces valeurs se déclinent comme suit :  Indépendance responsable, Intégrité institutionnelle, Transparence et communication ouverte, Efficacité axée sur l’impact, Justice et équité, Innovation et anticipation, Coopération et partenariat.

La stratégie est déclinée en 6 axes stratégiques :
-Renforcement du pilotage stratégique de l’Instance dans l’orientation des politiques publiques relatives à la probité et à la moralisation de la vie politique.
-Mise à disposition des acteurs publics, privés et de la société de mécanismes de prévention et de veille précoce contre les risques de corruption.
-Promotion d’une culture d’intégrité par les voies de l’éducation, de la sensibilisation, de la citoyenneté participative, de l’ouverture à la jeunesse, à la société civile et aux médias.
-Approfondissement de l’engagement international et renforcement des partenariats nationaux multipartites avec les secteurs public et privé afin d’ancrer la complémentarité institutionnelle dans le domaine de l’intégrité.
-Adoption de la transformation digitale et de l’innovation comme levier de modernisation de la performance de l’Instance et de renforcement de la transparence et de l’efficacité institutionnelle.
-Consolidation de la capacité institutionnelle et du positionnement stratégique de l’Instance au sein du système national de probité.

Chaque axe stratégique est détaillé en sous-axes lesquels à leur tour sont concrétisés en projets tout en précisant les étapes de réalisation et la description des résultats attendus. Au total, on dénombre   24 sous-axes et 99 projets ! 

 Nous sommes en face d’un chantier de titan.  C’est une force et une faiblesse à la fois. Une force à condition de se donner tous les moyens pour y parvenir. Une faiblesse dans la mesure où l’Instance compte réaliser toutes ces tâches colossales à son niveau. Reste à savoir avec quelles ressources humaines et quel budget. Le volontarisme est souhaitable, mais il n’est pas à lui seul suffisant.  Le chemin qui mène vers la probité est long et sinueux. Il nécessite, n’ayons pas peur des mots, une véritable révolution sociale et culturelle. 



 


Vendredi 19 Décembre 2025

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