​Lettre ouverte au Ministère de l’Enseignement du Maroc


Rédigé par le Mercredi 27 Aout 2025

C’est la rentrée des classes, mais attention : nous allons encore une fois rater la révolution de l’IA dans nos écoles



Monsieur le Ministre, avec tout le respect que je vous dois :

Chaque rentrée scolaire est annoncée comme un “nouveau départ”, avec ses lots de réformes, de manuels repensés, de circulaires urgentes et de discours sur l’école de demain.

Mais cette année, une urgence plus grande que toutes les autres frappe à notre porte : l’intelligence artificielle. Elle n’est plus un gadget futuriste, elle est déjà l’ombre et la lumière de nos classes, et pourtant, le système éducatif marocain continue de l’ignorer ou de la réduire à un sujet de colloque.

Les enseignants, livrés à eux-mêmes, découvrent l’IA en bricolant, souvent hors de l’école, pendant que les élèves l’utilisent déjà, clandestinement, sur leurs téléphones, pour rédiger des devoirs ou préparer des exposés. Le décalage devient abyssal : les uns craignent la triche, les autres explorent les possibles. Entre les deux, l’école risque de perdre sa légitimité.

L’histoire est en train de se répéter. Souvenez-vous d’Internet : nous avons attendu, tergiversé, réglementé à coups d’interdictions, et les élèves ont appris seuls, hors de la classe, à naviguer dans un monde numérique que l’école n’encadrait pas. Résultat : fracture numérique, inégalités et sentiment d’un système éducatif en retard d’un train. Allons-nous vraiment reproduire la même erreur avec l’IA ?

L’intelligence artificielle n’est pas un luxe, c’est un fait social total. Elle va redéfinir la façon de travailler, de communiquer, d’apprendre et même de rêver. Si nos écoles ne l’intègrent pas, nos enfants n’apprendront pas à dialoguer avec elle de manière critique et responsable. Ils deviendront des consommateurs passifs, au lieu d’être des créateurs, des questionneurs, des innovateurs.

Monsieur le Ministre, l’urgence n’est pas de faire des conférences sur “les dangers de l’IA”, mais de bâtir une pédagogie de l’IA. Il faut former nos enseignants, équiper nos classes, concevoir des programmes où l’élève apprend non seulement à utiliser l’IA, mais à la questionner, à la confronter, à la dépasser. Car l’avenir de l’éducation n’est pas de transmettre des réponses, les machines le font déjà mieux que nous, mais d’apprendre à poser des questions justes, à douter, à relier, à inventer.

Ne rien faire, c’est accepter que l’école marocaine devienne une annexe obsolète de Google et de ChatGPT. Agir, au contraire, c’est donner à nos enfants les armes intellectuelles pour ne pas subir la révolution en cours, mais la transformer en opportunité.

La rentrée scolaire devrait être un moment d’espoir, pas de résignation. L’IA n’est pas une menace pour l’école, sauf si l’école refuse de l’accueillir.

À vous, Ministère, de décider si 2025 sera l’année où le Maroc prend le train de la révolution éducative, ou celle où il le regarde passer encore une fois, depuis le quai.

Respectueusement, mais fermement,
Un citoyen qui croit encore en l’école marocaine

Pour mieux vous convaincre,voici Monsieur le Ministre des exemples d'intégration de l’IA dans les cursus scolaires

1. Chine
À partir de septembre 2025, l’IA deviendra un sujet obligatoire dès l’école primaire jusqu’au secondaire dans les écoles publiques chinoises. Les élèves suivront au moins huit heures d’enseignement par an, que ce soit via des cours dédiés ou des modules intégrés.
À Pékin, par exemple, ce programme est déjà en place dans les écoles élémentaires et au-delà.

2. Inde
Le Conseil central indien de l’éducation (CBSE) a introduit l’IA comme matière optionnelle au niveau secondaire dès 2019, notamment en classe de 9ᵉ. Cette matière s’est progressivement étendue à d'autres niveaux selon la demande.
De plus, l’État vient de lancer l’initiative SOAR (“Skilling for AI Readiness”) destinée aux élèves de la 6ᵉ à la terminale, avec des modules structurés de 15 heures chacun afin de renforcer la littéracie en IA dès le collège.

3. Corée du Sud
La Corée du Sud a intégré formellement l’IA dans le programme du lycée dès 2021, dans le cadre d’une stratégie nationale ambitieuse.
Elle propose également GPTeens — un chatbot alimenté par l’IA, aligné sur le programme national, conçu pour accompagner les adolescents dans leurs apprentissages scolaires.

4. Estonie
Avec le programme “AI Leap 2025”, les lycéens de 10ᵉ et 11ᵉ année ainsi que 3 000 enseignants sont dotés d’outils IA et reçoivent une formation dédiée. Le tout s’inspire du mythique plan “Tiger Leap” des années 1990, qui avait numérisé l’éducation estonienne.
Depuis septembre, des élèves de 16 à 17 ans disposent de comptes IA personnels, et le plan prévoit de couvrir 58 000 élèves et 5 000 enseignants d’ici à 2027.

5. Émirats arabes unis (EAU)
Les EAU viennent de lancer un programme complet d’IA dès le cycle primaire — dès l’âge de quatre ans. Il inclut jusqu’à 20 heures d’IA par an avec des thèmes comme l’usage éthique de l’IA, la formulation de prompts, et l’analyse critique de contenus générés par IA.
En parallèle, l’University Mohamed bin Zayed for AI, première université mondiale dédiée à l’IA, a ouvert en 2019 et propose désormais des cursus de premier cycle en IA.

6. Singapour, Finlande, Royaume-Uni, Australie, États-Unis
Selon une étude comparative, ces pays ont développé des curriculums assez complets intégrant l’IA dans l'enseignement K‑12.
Finlande, en particulier, offre un MOOC gratuit “Elements of AI” à toute l’Union européenne, visant à démocratiser la base des connaissances en IA.

7. Ouzbékistan
Ce pays d’Asie centrale a adapté son programme sur le modèle de Singapour et a testé un logiciel d’apprentissage adaptatif à base d’IA dans plus de 10 200 écoles.

À ce jour, 11 pays ont développé un curriculum IA officiel pour les écoles ; 4 autres sont en phase de développement.

Ces exemples montrent que quelques nations Chine, Inde, Corée du Sud, Estonie, EAU, Singapour, Finlande brimabot le futur éducatif sans attendre. Elles anticipent, structurent, expérimentent. Le Maroc pourrait s’en inspirer non pas pour copier, mais pour imaginer un modèle adapté à son contexte : assurer une formation critique, équitable et humaine, tout en profitant de la puissance de l’IA dans la classe.




Mercredi 27 Aout 2025
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