​Maroc : le retour à l’Investment Grade, une victoire symbolique aux multiples enjeux


Rédigé par le Samedi 27 Septembre 2025

En septembre 2025, Standard & Poor’s (S&P) a révisé la note souveraine du Maroc, la reclassant dans la catégorie Investment Grade. Une décision qui, à première vue, sonne comme une victoire éclatante sur les marchés financiers. Quatre ans après avoir perdu ce statut en raison de la crise sanitaire, le Royaume retrouve une place convoitée parmi les pays jugés fiables par les investisseurs internationaux



Un retour au grade d’investissement dans un climat mondial dégradé

Mais derrière l’euphorie, plusieurs questions s’imposent : ce reclassement est-il le reflet d’une amélioration structurelle de l’économie marocaine, ou bien le produit d’un contexte géopolitique où les notations se font plus politiques que jamais ? Quels bénéfices concrets en tireront l’État, les entreprises et surtout les citoyens ?

L’annonce de S&P arrive dans une conjoncture particulière. La planète financière est secouée par la montée des taux d’intérêt, l’endettement massif post-Covid et les incertitudes liées aux conflits armés et au ralentissement de la croissance mondiale. Beaucoup de pays, y compris des économies dites avancées, ont vu leur notation revue à la baisse au cours des deux dernières années.

Le Maroc, à contre-courant, se distingue donc. Pour la deuxième fois en deux ans, après un passage de perspectives stables à positives en mars 2024, S&P choisit de rehausser sa confiance envers le Royaume. Cela donne à Rabat une aura de “bon élève” de la discipline budgétaire dans un environnement marqué par la défiance

Les arguments de S&P : discipline et résilience

S&P justifie sa décision par plusieurs facteurs. D’abord, la résilience macroéconomique : malgré des chocs exogènes (sécheresses répétées, flambée des prix de l’énergie, ralentissement européen), l’économie marocaine a maintenu une croissance positive, même modeste. Ensuite, la maîtrise relative du déficit budgétaire, qui reste contenu autour de 4 % du PIB, alors que nombre de pays émergents ont vu leurs déséquilibres exploser.

Enfin, la trajectoire des réformes structurelles est saluée. Citons la réforme du système de protection sociale, l’élargissement de la couverture médicale, les efforts en matière d’énergie renouvelable (Noor, éolien, hydrogène vert) et la modernisation de l’administration fiscale. S&P souligne aussi la conduite royale comme facteur de stabilité politique et économique

Les bénéfices immédiats pour l’État et les marchés

Le retour à l’Investment Grade est avant tout une bonne nouvelle pour les finances publiques. En clair, il permet à l’État marocain d’emprunter à des taux plus bas sur les marchés internationaux. Chaque point de pourcentage économisé sur les émissions obligataires représente des centaines de millions de dirhams de charges en moins pour le budget.

Pour les investisseurs institutionnels, le message est clair : le risque pays est désormais considéré comme modéré, ce qui rassure banques, bailleurs multilatéraux et fonds souverains. Plusieurs d’entre eux, contraints par leurs chartes internes, ne peuvent investir que dans des pays classés Investment Grade. Ce retour ouvre donc une fenêtre de capitaux étrangers supplémentaires, notamment en investissements directs étrangers (IDE).

Enfin, ce reclassement agit comme un label de confiance, utile pour les grandes entreprises marocaines lorsqu’elles cherchent elles-mêmes à lever des fonds à l’international.

Le revers de la médaille : des réformes inachevées et des vulnérabilités persistantes

Si le Maroc retrouve un label, il n’a pas pour autant réglé ses fragilités. D’abord, la dépendance énergétique : malgré les projets d’énergies vertes, le Royaume reste tributaire des importations de pétrole et de gaz, ce qui fragilise sa balance commerciale.

Ensuite, le poids de la dette publique : même si son coût baisse, le stock continue de croître, frôlant les 70 % du PIB. À long terme, cela réduit les marges de manœuvre budgétaires.

S’ajoute la vulnérabilité climatique. Chaque épisode de sécheresse plombe le secteur agricole, pilier de l’emploi et de la consommation intérieure. Or, aucune notation, aussi flatteuse soit-elle, ne protège contre la raréfaction de l’eau.

Enfin, sur le plan social, les réformes patinent. Le chômage des jeunes, surtout diplômés, demeure élevé. Les inégalités territoriales persistent, entre littoral industrialisé et arrière-pays marginalisé. Autrement dit, l’Investment Grade ne signifie pas encore Investment Justice.

Les critiques : un label plus politique qu’économique ?

Certains économistes s’interrogent sur la portée réelle de cette révision. Les agences de notation sont régulièrement accusées de partialité et de juger plus la volonté politique d’un pays à rester aligné avec les grands équilibres financiers que sa capacité à améliorer le bien-être de sa population.

En ce sens, le retour du Maroc au club des Investment Grade pourrait être lu comme une récompense pour sa discipline budgétaire et sa stabilité politique, plutôt que comme un reflet exact de sa prospérité socio-économique. D’autant que d’autres pays africains, parfois en meilleure croissance, restent classés dans des catégories spéculatives.

La critique va plus loin : en privilégiant la “bonne gestion des chiffres” (déficit, dette, réserves de change), les agences occultent des réalités sociales. Les Marocains moyens ne ressentent pas directement le bénéfice de cette reclassification : leur quotidien reste marqué par la hausse du coût de la vie, la difficulté d’accès aux soins et la rareté de l’emploi stable.

Opportunité ou mirage pour l’investissement étranger ?

Un des principaux arguments avancés est l’attractivité accrue pour les IDE. En théorie, une meilleure note réduit le risque perçu, donc attire les investisseurs. Mais en pratique, ces derniers regardent aussi l’environnement des affaires, la qualité des infrastructures, la justice commerciale et la sécurité juridique.

Or, malgré les efforts de simplification, les lourdeurs administratives et la lenteur des procédures judiciaires demeurent des freins. Les investisseurs étrangers ne se contenteront pas d’un label de S&P : ils scrutent la réalité du terrain. Sans amélioration de la compétitivité interne, le Maroc risque de voir l’Investment Grade rester une médaille de papier.

Un capital de confiance à convertir pour le prochain gouvernement

Le retour du Maroc à l’Investment Grade est indéniablement une victoire diplomatique et économique. Il offre au pays un capital de confiance, une respiration financière et une visibilité internationale renforcée. Mais ce capital doit être transformé en leviers réels de développement.

Les prochaines années seront décisives : il s’agira de démontrer que cette confiance internationale peut se traduire en emplois, en infrastructures sociales, en réduction des inégalités et en prospérité partagée.

Sinon, ce retour au club des bons élèves financiers restera un succès symbolique, utile aux marchés, mais sans impact suffisant sur la vie quotidienne des Marocains.

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Samedi 27 Septembre 2025
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