​Mesurer l’incertitude économique EPU : le Maroc se dote enfin d’un baromètre stratégique


Rédigé par La rédaction le Dimanche 9 Novembre 2025

Dans un paysage international marqué par les chocs successifs — crises géopolitiques, sécheresses répétées, inflation tenace — la visibilité économique devient une ressource aussi précieuse que l’eau ou l’énergie. Au Maroc, un outil inédit vient enrichir la boîte à outils macroéconomique : l’indice d’incertitude de politique économique (EPU), élaboré à partir d’une analyse automatisée de plus de 350 000 articles de presse nationale. Fruit du travail du chercheur Oussama Houari, publié sous l’égide de Bank Al-Maghrib, il mesure une dimension jusqu’ici peu objectivée : la perception de l’imprévisibilité politique, budgétaire et réglementaire.



Jusqu’à maintenant, l’économie marocaine naviguait avec des baromètres globaux, souvent insensibles aux nuances locales. L’EPU vient combler cette lacune en capturant les périodes où les annonces publiques, les blocages institutionnels ou les chocs climatiques créent un brouillard décisionnel. Or, ce brouillard coûte cher. Il ralentit l’investissement, freine la consommation, pèse sur le crédit et, au bout de la chaîne, rompt le rythme de la croissance.

Fait marquant : l’indice marocain se révèle plus pertinent que les indices internationaux pour expliquer nos cycles économiques. Une évidence, peut-être, mais désormais démontrée : les acteurs réagissent davantage aux signaux qui résonnent dans leur quotidien qu’aux tendances globales abstraites. Une sécheresse prolongée ou une réforme fiscale annoncée sans calendrier précis a plus d’impact sur le moral — et le portefeuille — qu’une turbulence lointaine.

Ce nouvel indicateur révèle trois canaux classiques de transmission de l’incertitude : attentisme des entreprises, épargne de précaution des ménages, accès au crédit plus coûteux. Mais le comportement marocain présente une originalité : en période trouble, la demande de cash augmente sensiblement. On retire, on stocke, on attend. La grosse coupure redevient une assurance psychologique. Un réflexe rationnel à l’échelle individuelle, mais pervers au niveau macro : moins de dépôts dans les banques signifie moins de capacité de prêt, donc moins d’investissement productif. La défiance s’auto-alimente.

Au-delà de ces mécanismes économiques, l’EPU dit quelque chose de plus profond : il mesure la qualité de gouvernance. Quand la parole publique se contredit, quand les réformes se brouillent, quand les calendriers disparaissent dans les communiqués, l’incertitude grimpe. À l’inverse, la lisibilité des politiques — dates, étapes, bilans d’exécution — apaise. C’est peut-être là la principale leçon politique de ce nouvel outil : la confiance est un actif productif.

Pour les ménages, la corrélation est nette : quand l’indice d’incertitude monte, l’indice de confiance chute. C’est dans ce sentiment de repli que se forment les comportements d’achat différé, les projets abandonnés, les plans suspendus. Quelques points de confiance perdus aujourd’hui, ce sont des points de croissance en moins demain.

Pour les banques, les assureurs et les investisseurs, l’EPU ouvre aussi la voie à un pricing plus intelligent du risque. Il permet de séquencer les décisions : raccourcir la duration obligataire lors des pics, renforcer les secteurs défensifs, structurer des garanties publiques temporaires pour éviter l’étouffement du crédit. Dans les marchés financiers, l’incertitude n’est pas l’ennemi : elle est un coût qu’on apprend à gérer.

À l’heure où les transitions s’accélèrent — énergétique, hydrique, numérique — le Maroc ne pouvait plus piloter l’incertitude “au feeling”. Cet indice apporte un socle empirique à un débat souvent dominé par les impressions et les rumeurs. Il ne fera pas disparaître les chocs, mais il rend possible quelque chose de plus précieux : les anticiper.

C’est pourquoi ce dossier explore trois angles : le rôle de la gouvernance dans la réduction du brouillard, la psychologie économique des ménages face au risque, et la manière dont les marchés peuvent transformer cette donnée en décisions éclairées. Trois regards différents, une même conclusion : mesurer l’incertitude, c’est déjà commencer à la dompter.

LIre aussi

Quand l’économie inquiète, le cash rassure : la psychologie du repli au Maroc
Comment l’incertitude politique plombe l’économie : le Maroc se dote enfin d’un baromètre local
​Anticiper plutôt que subir : l’EPU marocain, nouvel atout pour investisseurs et banques

Le Maroc se dote enfin d’un baromètre de l’incertitude… mais une question demeure : sera-t-il utilisé ?

En effet , l’existence d’un outil n’implique pas automatiquement son appropriation. Trois scénarios s’esquissent.

Le scénario optimiste.
Ministères, banques et investisseurs intègrent l’EPU dans leurs tableaux de bord. Les réformes sont séquencées, les annonces mieux préparées, et la communication économique gagne en pédagogie. Résultat : confiance accrue, crédit fluidifié, investissement débloqué. L’indice devient alors une aiguille de boussole.

Le scénario passif.
L’indice reste cantonné aux rapports techniques. On le cite, on le félicite, mais sans traduction opérationnelle. L’incertitude continue de peser sur les décisions, tandis que le pays perd un avantage cognitif précieux. Un risque fréquent : l’outil qui brille… sur l’étagère.

Le scénario défensif.
Certains acteurs s’en méfient, redoutant qu’il expose les défaillances de coordination ou les retards réglementaires. On minimise son importance. Dommage : refuser la mesure, c’est refuser l’apprentissage.

Au fond, l’EPU ne demande qu’une chose : être vu, compris, commenté. Son adoption n’est pas seulement technique : elle est culturelle. Et si la transparence devenait, enfin, un réflexe collectif ?




Dimanche 9 Novembre 2025
Dans la même rubrique :