​Pour une reconnaissance juridique du travail assisté par intelligence artificielle


Rédigé par le Mardi 27 Mai 2025



Alors que l’intelligence artificielle transforme silencieusement l’économie mondiale, le Maroc reste à la croisée des chemins. Aujourd’hui, des milliers de Marocaines et Marocains – souvent jeunes, qualifiés et connectés – effectuent des tâches économiques sur des plateformes numériques en utilisant des outils d’IA générative, de classification automatique, d’analyse d’images ou de rédaction assistée. Pourtant, ce nouveau type de travail n’existe dans aucun texte légal. Il évolue dans un flou juridique, entre invisibilité statistique et précarité technologique.

Face à cette réalité, il devient urgent d’imaginer un Code du travail rénové qui reconnaîtrait le travail assisté par intelligence artificielle comme une modalité d’activité professionnelle à part entière. Cette reconnaissance ne viserait pas à bouleverser les équilibres existants, mais à nommer, encadrer et protéger des formes d’emploi qui se développent à grande vitesse en dehors des radars du droit. Elle permettrait notamment de poser les bases d’une nouvelle sécurité sociale pour les travailleurs dits “augmentés”, souvent soumis à des logiques algorithmiques sans aucune garantie de transparence, de rémunération minimale ou de continuité d’activité.

Dans cette optique, nous proposons d’introduire une définition légale du travail assisté par IA comme toute activité humaine dans laquelle une part essentielle de la tâche, de la production ou de la décision est facilitée, orientée ou modélisée par un système algorithmique. Cette activité pourrait être exercée dans le cadre d’une relation salariale traditionnelle, lorsqu’elle s’effectue sous la direction d’un donneur d’ordre, ou sous un statut indépendant, lorsque le travailleur conserve l’autonomie de l’organisation de sa tâche, tout en étant dépendant technologiquement d’un outil, d’une plateforme ou d’un modèle propriétaire.

Cette reconnaissance aurait des implications majeures. Elle ouvrirait la voie à une obligation de transparence pour les employeurs ou plateformes qui utilisent des IA dans la répartition des tâches, l’évaluation des performances ou la modulation des revenus. Elle permettrait aussi d’aligner les droits des travailleurs numériques assistés avec ceux des autres salariés : droit au contrat, à la sécurité sociale, à la formation continue et à l’information sur les usages des données générées.

Enfin, une telle évolution contribuerait à rééquilibrer le rapport entre technologie et droit. Elle signifierait que le Maroc ne se contente pas de subir les mutations numériques globales, mais qu’il entend les encadrer à sa manière, selon ses priorités sociales et économiques. Il s’agit moins de légitimer l’omniprésence de l’intelligence artificielle que de s’assurer que celle-ci ne se développe pas au détriment des droits humains fondamentaux du monde du travail.

Syndicaliste : ​L’avis de l’avocat du diable

« Reconnaître le travail assisté par IA ? Très bien. Mais pourquoi faire ? Si c’est pour graver dans le marbre de la loi des formes de sous-travail délocalisé, sans syndicat, sans collectif, sans minimum vital, alors il vaut mieux laisser ce flou juridique planer encore un peu. Je ne suis pas contre l’innovation.

Mais derrière ces plateformes lisses et ces interfaces qui font "intelligent", on trouve souvent l’exploitation brute : paiement à la tâche, notation punitive, exclusion sans appel. Tant que les grands acteurs de l’IA ne seront pas contraints de déclarer leurs activités au Maroc, tant que les micro-travailleurs du clic ne seront pas visibles pour la CNSS ou le fisc, toute reconnaissance risque de légitimer l’invisible.

Le vrai courage serait de dire non, pas tant qu’on ne met pas d’abord l’humain, et non l’algorithme, au centre. »





Journaliste junior passionné par l'écriture, la communication, les relations internationales et la… En savoir plus sur cet auteur
Mardi 27 Mai 2025
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