​Réforme électorale : le Parlement avance, mais le flou persiste sur le sponsoring politique et les fake news


Rédigé par La rédaction le Jeudi 4 Décembre 2025

La réforme de la loi organique 27.11, qui encadre l’élection des membres de la Chambre des représentants, poursuit son chemin au Parlement. Portée comme un jalon essentiel de la préparation des législatives 2026, elle introduit plusieurs nouveautés importantes. Mais deux d’entre elles cristallisent les débats : l’interdiction des publications sponsorisées sur les plateformes étrangères et la création d’un nouveau mécanisme pénal contre les fausses informations électorales.
Derrière l’intention affichée de moraliser la vie démocratique, c’est une zone grise juridique qui continue d’inquiéter les acteurs politiques, les juristes et les observateurs du numérique.



Un premier verrou : l’interdiction des publications sponsorisées sur les plateformes étrangères

Adoptée en commission, la mesure prévoit qu’aucun candidat, parti politique ou tiers ne pourra diffuser de contenu sponsorisé via des plateformes opérant depuis l’étranger, autrement dit les géants du web : Facebook, Instagram, YouTube, TikTok, X/Twitter ou encore Snapchat.

L’objectif est clair : fermer la porte au financement extérieur, limiter les tentatives d’ingérence, et empêcher des mécanismes de micro-ciblage invisibles pour l’administration électorale.

Pourtant, un problème majeur subsiste : le texte ne dit pas quand cette interdiction s’applique.

Doit-on comprendre que le sponsoring politique est prohibé uniquement durant la campagne officielle ? Ou bien la règle s’applique-t-elle en permanence, y compris plusieurs mois avant le scrutin, au moment où les stratégies d’influence numérique s’installent réellement ?

Le législateur n’a pas tranché. Cette absence de calendrier ouvre la voie à deux interprétations radicalement opposées :

une lecture restrictive, où seules les périodes électorales sont concernées ;
une lecture large, où tout financement étranger d’audience numérique devient illégal, même en dehors des campagnes.

Dans les deux cas, le risque d’arbitraire n’est pas négligeable. Sans précisions, c’est l’administration qui décidera, au cas par cas, de qualifier ou non un contenu comme “publication sponsorisée prohibée”.

​Deuxième point chaud : l’article 51 bis sur les fake news électorales

Autre innovation majeure : l’introduction d’un nouvel article 51 bis, destiné à sanctionner la diffusion de fausses informations relatives aux élections.
Là encore, l’intention semble saine : protéger le débat public d’une contamination croissante par la manipulation digitale, les montages vidéos, les rumeurs virales et les campagnes de désinformation orchestrées.

Mais la commission parlementaire a dû amender l’article pour tenter de clarifier les cas visés.
Et malgré cette réécriture, le périmètre exact demeure flou.
Qu’appelle-t-on “fausse information” ?
Une rumeur non vérifiée ?
Une erreur journalistique ?
Un contenu satirique ?
Une interprétation politique ?
Ou la production délibérée de deepfakes et de fake news destinées à tromper l’électeur ?

Le texte révisé ne distingue pas clairement :

les erreurs involontaires ;
les opinions politiques ;
les contenus satiriques ;
les manipulations intentionnelles visant à altérer le processus électoral.

Autrement dit, si la volonté de lutter contre les dérives est réelle, le risque d’ouvrir la porte à une interprétation large — voire à une utilisation politique de l’article — reste présent tant que sa portée n’est pas explicitement définie. Là encore, la question du moment d’application n’est pas clarifiée : s’agit-il d’une interdiction permanente ou limitée aux périodes électorales ?

Un contexte de transformation numérique profonde

Pour comprendre ces débats, il faut revenir à la manière dont les partis politiques marocains ont investi les réseaux sociaux au cours des dernières années.
Depuis 2021, les campagnes électorales ont basculé dans une logique où la visibilité numérique, l’agressivité du ciblage et la maîtrise des algorithmes comptent parfois autant que le terrain traditionnel.

Les formations les mieux structurées ont bâti de véritables machines de communication digitale :

équipes internes de community managers,
achat de publicité ciblée,
relais d’influenceurs,
campagnes sponsoring massives,
contenus adaptés à TikTok, Instagram Reels et YouTube Shorts.

Cette professionnalisation rapide a créé une asymétrie de moyens, où certains partis dominent l’espace numérique par la force du budget, tandis que d’autres peinent à exister.

C’est dans ce contexte que l’interdiction du sponsoring politique sur les plateformes étrangères prend tout son sens. Mais pour être efficace, elle doit être accompagnée d’un cadre d’application clair, transparent et techniquement réalisable.

Une réforme ambitieuse, mais une mise en œuvre encore incertaine

Le législateur avance, mais sur ces deux points précis — sponsoring politique et fake news — la rédaction actuelle laisse plus de questions que de certitudes.
Le flou sur l’entrée en vigueur et l’absence de balisage temporel risquent de compliquer la tâche des candidats autant que celle des autorités de contrôle.

Dans un Maroc où les réseaux sociaux sont devenus la première arène politique des jeunes électeurs, cette réforme aurait pu être l’occasion de poser les bases d’une régulation numérique moderne : définition claire de la publicité politique, encadrement du micro-ciblage, traçabilité des contenus sponsorisés, transparence des financements, responsabilité des plateformes.

Pour l’instant, les intentions sont là, mais l’architecture juridique reste incomplète.

Un tournant numérique encore fragile

Les députés ont franchi une étape importante en adoptant ces nouvelles dispositions.
Mais pour une réforme aussi sensible, la précision est une obligation démocratique, pas un luxe rédactionnel.

Sans clarification du calendrier, sans définition juridique rigoureuse et sans mécanismes de contrôle adaptés aux réalités du numérique, les articles sur le sponsoring et les fake news pourraient produire l’effet inverse de celui recherché :
un champ d’application mouvant, des contentieux multiples et une incompréhension générale chez les acteurs politiques comme chez les citoyens.

La balle est désormais dans le camp de la Chambre des conseillers.
C’est là que devront être levés les derniers flous, au risque sinon de laisser se refermer une brèche réglementaire au moment où les campagnes électorales deviennent plus digitales, plus rapides… et plus vulnérables que jamais.




Jeudi 4 Décembre 2025
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