​Réinventer la création d’emplois au Maroc : Entre réformes et nouvelles exigences


Rédigé par La Rédaction le Vendredi 14 Février 2025

Création d’emplois : Faut-il repenser entièrement le modèle marocain ?
Bilan social, SMIG différencié, formation : Les clés d’une réforme réussie
L’emploi au Maroc : Pourquoi le statu quo n’est plus possible ?



Par Aziddin Zidi DG LC WAIKIKI MAROC

La question de la création d’emplois au Maroc ne peut plus être abordée sous le seul prisme de la croissance économique globale. Malgré les efforts engagés ces dernières années, le taux de chômage demeure préoccupant, atteignant 13,3 % en 2024, avec des pics alarmants chez les jeunes et les diplômés. Loin des solutions conjoncturelles, une réflexion structurelle s’impose, intégrant des réformes profondes en matière de gouvernance des entreprises, intégration du secteur informel, différenciation du SMIG et adaptation de la formation aux réalités du marché.

Le Bilan Social : Un Indicateur Clé de Performance Économique et Sociétale

Dans un marché du travail en pleine mutation, l’adoption du Bilan Social comme critère incontournable pourrait constituer une véritable révolution dans l’évaluation des entreprises. Jusqu’à présent, la valeur d’une entreprise repose principalement sur son bilan fiscal et financier, reléguant au second plan son impact sur l’emploi, la formation et le bien-être des salariés.

Pourquoi un Bilan Social obligatoire ?

L’instauration d’un bilan social obligatoire et systématique, en complément du bilan fiscal, permettrait de :
  Valoriser les entreprises qui s’engagent dans la création d’emplois durables et de qualité. Établir un Rating Sociétal, influençant les conditions de financement et l’accès aux marchés publics. Sanctionner les structures qui ne contribuent pas suffisamment à la dynamique sociale et territoriale. Un rating sociétal basé sur des critères objectifs – taux d’insertion des jeunes, stabilité des emplois, politiques de formation continue, équité salariale, respect des normes sociales – encouragerait une économie plus responsable et inclusive. Il s’agirait d’un levier puissant pour conditionner l’accès aux financements publics, aux aides et aux grands marchés de l’État aux entreprises qui jouent réellement leur rôle sociétal.

L’Intégration du Secteur Informel : Une Stratégie d’Accompagnement et Non de Répression

Avec 77 % des emplois au Maroc relevant du secteur informel, toute politique de création d’emplois doit nécessairement inclure une stratégie d’intégration progressive de ce secteur. Aujourd’hui, le travail informel constitue un refuge pour des millions de travailleurs, mais son absence de régulation limite l’accès aux droits sociaux, la protection des employés et la contribution fiscale.

Plutôt que la répression, un véritable chantier d’accompagnement

Pour encourager les acteurs du secteur informel à s’intégrer sans crainte, il est essentiel de :
  Simplifier les démarches de formalisation via un guichet unique digital. Offrir une fiscalité incitative et progressive, garantissant aux nouveaux entrants un cadre souple et adapté. Faciliter l’accès au crédit et aux financements, en créant des produits bancaires adaptés aux auto-entrepreneurs et aux micro-entreprises. Développer des plateformes numériques dédiées, permettant aux travailleurs indépendants d’accéder à un marché structuré. Plutôt que de forcer brutalement la transition, il s’agit d’accompagner les travailleurs et les petits entrepreneurs dans une dynamique de montée en gamme, leur offrant à terme plus de sécurité, de visibilité et d’opportunités.

Un SMIG Différencié : Un Outil d’Équilibre Régional et Sectoriel

L’instauration d’un SMIG unique à l’échelle nationale n’est plus adaptée aux réalités du marché du travail. Les écarts de coût de la vie, de productivité et de rentabilité des entreprises entre les grandes métropoles et les régions rurales nécessitent une approche différenciée.

Pourquoi différencier le SMIG par région et par secteur ?
  Adapter les salaires au coût de la vie : Un salaire minimum uniforme ne reflète pas les différences économiques entre Casablanca, Béni Mellal ou Laâyoune. Une différenciation permettrait d’attirer les entreprises dans les régions moins développées. Prendre en compte la productivité sectorielle : Certains secteurs, à forte intensité capitalistique (industrie, haute technologie), peuvent absorber un SMIG plus élevé, tandis que d’autres, comme l’agriculture et l’artisanat, nécessitent une flexibilité plus grande. Attirer les investissements vers les zones à faible coût de main-d'œuvre : En ajustant le SMIG, les entreprises pourraient être incitées à investir dans des régions aujourd’hui délaissées, réduisant ainsi les déséquilibres territoriaux. Une telle réforme nécessite néanmoins un encadrement strict pour éviter toute exploitation abusive des travailleurs dans les zones à bas salaire et garantir un filet de protection sociale minimal.

L’Adéquation Formation-Emploi : Un Défi à Relever Urgemment

Le décalage entre la formation académique et les besoins du marché est l’un des principaux freins à l’employabilité des jeunes au Maroc. Paradoxalement, beaucoup de secteurs peinent à recruter, faute de profils qualifiés, y compris pour des métiers basiques.

Une réforme profonde de la formation est nécessaire

L’AEI plaide pour une refonte complète de la formation professionnelle et universitaire, en intégrant :
  Un dialogue direct et permanent avec les entreprises pour anticiper les besoins. Un renforcement des formations en alternance, avec un apprentissage sur le terrain. Une revalorisation des métiers techniques et manuels, aujourd’hui boudés par les jeunes. La généralisation des certifications professionnelles rapides, pour permettre une reconversion efficace. Une incitation des entreprises à embaucher des apprentis, avec des allègements fiscaux. Plutôt que de former des milliers de diplômés chaque année sans garantie d’emploi, il est impératif d’aligner les cursus avec les besoins réels et de valoriser les compétences pratiques qui manquent cruellement au marché.

Vers un Modèle de Développement Axé sur l’Emploi et l’Inclusion

La création d’emplois au Maroc ne doit plus être un objectif flou, mais une exigence structurée et mesurable. En instaurant un Bilan Social obligatoire, en favorisant l’intégration du secteur informel, en adaptant le SMIG aux réalités locales et en réformant la formation pour combler les pénuries de compétences, le Maroc peut transformer son marché du travail.

Ces réformes ne se feront pas sans volonté politique forte ni sans engagement du secteur privé. La clé du succès réside dans une approche équilibrée entre incitations, régulations et flexibilité, pour bâtir une économie plus dynamique, plus juste et plus inclusive.

Article publié dans L'Eco Business du 14 février 2025


Télécharger la version PDF


emploi Maroc, SMIG différencié, bilan social entreprises, intégration secteur informel, formation professionnelle Maroc, marché du travail Maroc, création d’emplois Maroc, réforme économique Maroc, compétitivité entreprises, AEI emploi





Vendredi 14 Février 2025
Dans la même rubrique :