​Tourisme marocain : des records historiques freinés par un cadre légal dépassé


Rédigé par La rédaction le Mardi 16 Décembre 2025



Le tourisme marocain vit une séquence paradoxale. D’un côté, des performances inédites. De l’autre, des blocages structurels persistants. À fin novembre deux mille vingt-cinq, le Royaume a accueilli plus de dix-huit millions de visiteurs, dépassant déjà le total de l’année précédente. L’objectif national de vingt millions de touristes, longtemps perçu comme ambitieux, apparaît désormais atteignable, porté notamment par un mois de décembre exceptionnel et l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 

Sous l’impulsion stratégique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le tourisme s’est imposé comme l’un des piliers de l’économie nationale. Il représente aujourd’hui près de sept virgule cinq pour cent du produit intérieur brut, génère des centaines de milliers d’emplois directs et indirects, et constitue une source essentielle de devises, contribuant à la stabilité macroéconomique du pays 

Pourtant, en comparaison internationale, le Maroc reste en retrait. La Turquie tire douze pour cent de son PIB du tourisme, l’Espagne plus de douze pour cent, la France plus de dix pour cent. Autrement dit, la marge de progression reste considérable.

Ce décalage s’explique moins par un déficit d’attractivité que par un cadre réglementaire et urbanistique qui peine à suivre la transformation rapide du secteur.

Urbanisme touristique : quand la règle bloque l’investissement

Premier verrou identifié : l’aménagement du territoire. Dans des villes clés comme Marrakech, Tanger ou Rabat, l’absence de nouveaux plans d’aménagement paralyse des zones entières d’investissement touristique. À cela s’ajoutent des restrictions architecturales parfois incohérentes, notamment des limitations strictes du nombre d’étages, qui compromettent la viabilité économique des projets 

Limiter la taille des établissements, ce n’est pas seulement réduire leur rentabilité. C’est mécaniquement freiner la création d’emplois, affaiblir la compétitivité internationale de l’offre marocaine et, paradoxalement, alourdir l’empreinte environnementale. Un hôtel de quatre cents chambres consomme globalement moins d’eau, d’énergie et de foncier que quatre hôtels de cent chambres dispersés. La densité maîtrisée est souvent plus durable que l’étalement non planifié.

Des textes obsolètes qui nourrissent l’insécurité juridique

Autre point de friction majeur : la persistance de dispositions légales totalement déconnectées des réalités contemporaines. Certains textes prévoient encore, en théorie, qu’une femme ne puisse travailler dans un établissement touristique après dix-huit heures sans autorisation préalable, ou qu’un gérant disposant d’une licence d’alcool soit tenu d’être présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et de prévenir la police pour prendre un congé 

Même si ces règles ne sont plus appliquées dans les faits, leur existence crée une zone grise juridique. Pour les investisseurs nationaux et internationaux, cette incertitude est dissuasive. Elle alimente un sentiment d’arbitraire, complique la gouvernance des établissements et fragilise l’attractivité globale du secteur.

Le choc du digital : agences de voyages et plateformes mondiales

La transformation digitale du tourisme mondial accentue encore ces déséquilibres. La loi encadrant les agences de voyages, notamment la loi onze–seize, reste largement inadaptée à un marché dominé par des plateformes internationales comme Booking ou Expedia. Ces acteurs captent une part croissante des réservations, rapatrient des commissions en devises – y compris pour des séjours intra-Maroc – et échappent à un cadre réglementaire comparable à celui imposé aux opérateurs nationaux 

Le cas d’Airbnb illustre la même contradiction. L’activité n’est toujours pas clairement réglementée, créant une concurrence jugée déloyale par les hébergements touristiques structurés, soumis à des charges fiscales, sociales et administratives lourdes. Sans modernisation du cadre légal, le risque est double : perte de recettes en devises et fragilisation du tissu économique local.

Tourisme rural : un levier stratégique sous-exploité

Enfin, le tourisme rural concentre à la fois les espoirs et les blocages les plus criants. Alors que Sa Majesté le Roi a rappelé qu’il n’y a pas de place pour un Maroc à deux vitesses, chaque initiative touristique en milieu rural reste prisonnière d’un labyrinthe d’autorisations, souvent opaques et dissuasives 

Pourtant, le potentiel est immense. Le tourisme rural pourrait créer des milliers d’emplois, offrir des alternatives économiques aux jeunes dans des territoires où l’emploi agricole décline, valoriser le patrimoine naturel, culturel et gastronomique du pays, et réduire les inégalités régionales. À force de complexité administrative, de nombreux projets basculent dans l’informel, privant l’État de recettes et les territoires de développement structuré.

L’urgence d’une refonte globale

Le diagnostic est désormais clair. Le Maroc dispose d’une dynamique touristique exceptionnelle, mais avance avec un cadre législatif conçu pour un autre temps. Moderniser l’ensemble des lois régissant le tourisme n’est plus une option technique, c’est un impératif stratégique.

La question posée au gouvernement est donc centrale :
Quand cette refonte globale verra-t-elle le jour pour aligner la réglementation sur les réalités d’un secteur digitalisé, internationalisé et appelé à jouer un rôle encore plus structurant dans le modèle de développement national ?

À défaut de réponse rapide, le risque est simple : transformer un succès conjoncturel en occasion manquée durable




Mardi 16 Décembre 2025
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