« La hchouma », Dounia Hadni, Albin Michel


Rédigé par Par Ghita Berrada Fathi le Vendredi 7 Mars 2025

Voilà un premier roman aussi captivant que percutant. Une fois que vous commencez la lecture de « La hchouma », plus rien n’existe autour de vous. Dounia Hadni, jeune autrice franco-marocaine, devient la maîtresse incontestée des horloges.



Chronique « La contrée des livres », par Ghita BERRADA FATHI

D’emblée, ce qui frappe dans le récit, c’est l’authenticité que transpire chaque mot – une denrée rare dans la société marocaine si friande de faux-semblants. Ce roman, Dounia Hadni l’a écrit avec ses tripes, y a jeté toutes ses forces ...impossible de s’y méprendre. Et c’est précisément pour cette raison qu’on ne sort pas indemne de cette histoire de hchouma.

 

On pressent que l’écriture de son premier roman a représenté un exercice aussi douloureux que cathartique pour Dounia Hadni. Avec un courage qui force le respect, elle se fait violence pour dépeindre crûment les tourments d’une âme en peine –peut-être la sienne. Pour autant, même dans les passages les plus poignants, l’autrice ne renonce jamais à ses rafraîchissantes touches d’humour – qui font toujours mouche et atténuent l’intensité dramatique.

 

Née au Maroc dans un milieu aisé et partie étudier puis travailler en France en tant que journaliste, Sylia, la jeune héroïne du roman, se trouve écartelée entre la culture marocaine et la culture française. Ni « vraie Marocaine » au Maroc ni « véritable parisienne » en France, elle est partout renvoyée aux cases dans lesquelles on veut à tout prix la claquemurer. Une violence source d’un âpre combat intérieur.

 

Toutefois, il ne faut pas se fier au titre, un tantinet réducteur. « La hchouma » ne se cantonne pas à la description des carcans patriarcaux et des pressions familiales et culturelles. Le parcours de Sylia la confronte aussi à d’autres questions telles que la piété filiale, l’écrasante responsabilité induite par la parentalité, la violence des rapports sociaux, l’hypocrisie de la gauche caviar, le racisme, les ressorts complexes des relations de couple, les mécanismes sournois de l’emprise au sein des couples dysfonctionnels, les maladies mentales –la stigmatisation qu’elles génèrent et la déréliction dans laquelle elles enferment ... Dounia Hadni explore tout cela avec finesse en faisant preuve d’honnêteté intellectuelle et d’un sens remarquable de la nuance.

 

Le déchirement entre deux cultures parfois antinomiques, ce thème éculé, Dounia Hadni réussit d’ailleurs le tour de force de l’aborder de façon inédite, à sa façon, sans jamais céder au confort des poncifs ou des analyses à l’emporte-pièce. Avec « La hchouma », nous sommes à mille lieues des commandes des maisons d’édition qu’il faut honorer à grand renfort de poncifs postcoloniaux et d’exotiques cartes postales. L’authenticité -encore elle- constitue le fil conducteur du récit. Albin Michel a assurément réussi son pari en publiant ce premier roman atypique.

 

L’enchaînement des trois parties de « La hchouma » - « Les parades », « La déflagration » puis « La réplique »- impriment un tempo qui tient le lecteur en haleine. L’écriture épouse le vécu de Sylia : décousue et sibylline lorsque l’héroïne est en proie à une grande détresse psychologique, plus fluide et précise après les tempêtes intérieures. Ce faisant, Dounia Hadni pourfend, peut-être à son insu, un dernier poncif : celui de la jeune franco-marocaine appartenant à un milieu social aisé et donc forcément insouciante et superficielle.

 

Une fois la dernière page refermée, on se retrouve avec un petit goût d’inachevé et on se surprend à s’interroger sur le devenir de Sylia, personnage attachant, fort et fragile à la fois. Aura-t-elle définitivement vaincu ses démons ? Après quelles luttes et à quel prix ?

 

Si elle se consacre aujourd’hui à un autre projet, Dounia Hadni ne semble pas exclure d’écrire un jour une suite à « La hchouma ». Affaire à suivre...


Extrait (page 69) : « Après son départ, je m’assois dans un fauteuil rouge qui grince, au croisement de la machine qui crache du café amer à flux tendu et de la salle de réunion. Je ne le sais pas encore mais je suis en train de décompenser. Deux journalistes Culture s’assoient en face de moi, dans un canapé plus terne mais moins abȋmé. Ils ont une interview à débriefer. Je lâche des phrases plus ou moins cohérentes : « Je viens de passer quarante-huit heures dans un squat dans les bois...C’est ça la vraie vie...Le squat...Je suis passée à côté pendant tout ce temps.» Ils s’interrompent pour m’écouter et ils m’écoutent vraiment. Jamais je n’oublierai leur attention à contre-courant de leur froideur apparente. Pour moi, qui garde dans mon ventre l’idée que l’intelligence est la seule chose qui compte, le regard de ces deux figures emblématiques du journal sur ma souffrance la rend tout à coup légitime à mes yeux.»

 
Lire ici l’épisode 1 de la chronique « La contrée des livres » consacré au roman « 11, quai Branly » de Mazarine M. Pingeot, paru aux éditions Flammarion.

 





Vendredi 7 Mars 2025
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