Fille « illégitime » de François Mitterrand, par ailleurs marié et déjà trois fois père, la « bâtarde de la République » -violente périphrase par laquelle elle se désigne elle-même dans certains passages- Mazarine Pingeot vécut vingt ans à l’abri des regards, enfermée dans un huis clos oppressant formé par son père, sa mère et elle-même. Seuls quelques intimes du cercle familial et du cercle de confiance de l’ancien président français « savaient », brisant de temps à autre la déréliction de cette enfant pas comme les autres. Pour « l’extérieur », son existence devait demeurer secrète.

« 11 quai Branly » dépeint ainsi une enfance singulière où l’univers familial et l’univers scolaire sont compartimentés et ne se rejoignent presque jamais. Une enfance particulière où il faut taire ses origines, fuir les autres, rester sur le qui-vive... Une enfance assurément peu enviable, comme Mazarine M. Pingeot le laisse elle-même entendre, à mille lieues du paradis à jamais perdu de l’enfance chanté par tant de poètes et d’écrivains.

Loin des soi-disant « ors de la République », on découvre une vie spartiate, à la limite du monacal : on n’achète quasiment jamais de vêtements, on les coud, on ne meuble pas l’appartement de fonction, on veille scrupuleusement à ne gaspiller aucun morceau de légume, les sorties sont rarissimes...Pas de fantaisie, aucune folie douce ne vient égayer une existence recluse et routinière. Difficile de ne pas faire le lien avec l’image de Picsou qui collait à la peau de François Mitterrand.

Puis un jour de 1994, sans crier gare, Paris Match extirpe Mazarine manu militari de son anonymat, jetant en pâture à l’opinion publique française la « chose », la « bête de cirque », le « monstre », la « bâtarde » conçue avec « l’épouse morganatique ». La ressemblance père-fille est tellement frappante qu’elle fait dire à l’époque à une amie, experte ès-formules choc : « Mais c’est Mitterrand qui s’est mis du rouge à lèvres ! » (« Hada Mitterrand dar al 3akar » en darija).

Trente ans après la fracassante une de Paris Match, la fille cachée de d’Anne Pingeot et de François Mitterrand revisite dans ce roman le « 11 quai Branly », soit l’appartement de fonction occupé « clandestinement » par ses parents et elle-même pendant plus de 15 ans...Mazarine M. Pingeot y séjournera 24 heures pour les besoins de l’écriture de ce roman. Une madeleine de Proust qui s’avèrera aussi douce qu’amère.

Extrait (page 20):

« Mon prénom a été jeté en pâture comme le talisman du scandale, son code secret « Mazarine ! », qui passerait de bouche en bouche, assaisonné différemment en fonction des penchants politiques, ah, oh, beurk, quoi !, horreur !, drôle !, incroyable !, je le savais. Il a servi d’aliment à tous les repas de famille, on l’a mâché, dégluti, avalé, recraché. On avait toujours quelque chose à en dire. Que mon existence ait été cachée à ceux qui avaient déjà un droit sur moi, celui de savoir, de me connaître, de suivre ma courbe de croissance, d’être au moins prévenus ! a été perçu comme un vol rétrospectif, un mensonge. On ne nous dit rien. »