Quand la douleur des femmes reste invisible : le grand oubli des maladies chroniques féminines


Des douleurs bien réelles, mais encore trop ignorées :

Endométriose, cystite interstitielle, syndrome des ovaires polykystiques, vulvodynie… autant de mots que l’on entend aujourd’hui un peu plus souvent, mais dont la réalité reste largement méconnue. Ces maladies chroniques, souvent invisibles à l’œil nu, touchent des millions de femmes dans le monde et pourtant, la recherche, le diagnostic et la prise en charge médicale demeurent dramatiquement en retard.

Pendant des décennies, la médecine a été pensée, étudiée et expérimentée selon des standards masculins. La majorité des essais cliniques menés au XXe siècle ont exclu les femmes, jugées “trop complexes” à cause des variations hormonales. Résultat : les maladies qui les concernent principalement ont été reléguées au second plan, perçues comme des “douleurs de femmes”, synonymes d’exagération ou d’anxiété.

L’endométriose en est un exemple frappant : il faut en moyenne 7 à 10 ans pour obtenir un diagnostic. La cystite interstitielle, elle, reste souvent confondue avec des infections urinaires répétées ou du “stress”. Pourtant, ces pathologies provoquent des douleurs physiques intenses, épuisantes, parfois invalidantes altérant la vie quotidienne, le sommeil, la sexualité, le travail.

Au Maroc comme ailleurs, beaucoup de femmes apprennent à vivre avec ces souffrances, faute d’écoute ou de reconnaissance. Le tabou autour du corps féminin persiste, et parler de règles douloureuses, de brûlures pelviennes ou de douleurs intimes reste difficile. La douleur, ici, n’est pas seulement physique : elle est aussi sociale et symbolique.



Une médecine encore trop sourde à la douleur féminine

L’un des plus grands paradoxes de la médecine moderne, c’est de pouvoir transplanter un cœur ou réparer un gène défaillant, mais d’être encore incapable d’expliquer ou de soulager des douleurs chroniques féminines pourtant massives.
 

Selon plusieurs études internationales, moins de 10 % des budgets de recherche en santé reproductive sont consacrés à des maladies comme l’endométriose ou la cystite interstitielle. À titre de comparaison, certaines maladies touchant majoritairement les hommes bénéficient de fonds beaucoup plus importants, même lorsqu’elles concernent une population bien moindre.
 

Ce déséquilibre n’est pas qu’économique : il est culturel. La douleur féminine est souvent minimisée, associée à la nervosité, au stress ou à la fragilité émotionnelle. De nombreuses patientes au Maroc comme ailleurs ressortent des consultations avec des antidépresseurs ou des anxiolytiques, sans diagnostic clair, ni prise en charge adaptée.
 

Ce biais médical systémique est le fruit d’une longue histoire : celle d’une médecine construite par des hommes, pour des hommes. Longtemps, le corps féminin a été perçu comme “instable”, “hystérique” ou “trop complexe à comprendre”. Ces stéréotypes persistent encore, consciemment ou non, dans les mentalités médicales et sociales.


Les réseaux : un cri collectif contre le silence médical

Face à ce déni persistant, un phénomène inattendu a émergé : la mobilisation numérique. Sur les réseaux sociaux, des milliers de femmes ont pris la parole, souvent avec courage, pour partager leurs symptômes, leurs parcours et leurs frustrations.
 

Il suffit qu’une influenceuse ou une simple internaute poste une vidéo décrivant les douleurs d’une cystite interstitielle pour que les commentaires explosent :

“Oh mon Dieu, moi aussi je vis ça.”
“Personne ne me croit quand j’en parle.”
“Je pensais être seule.”

Cette sororité numérique a transformé les réseaux en véritables espaces de reconnaissance et d’entraide. Ce sont souvent les malades elles-mêmes qui diffusent l’information, traduisent les termes médicaux, proposent des stratégies de soulagement, alertent sur les manques du système.
 

Au Maroc, cette tendance émerge doucement. Des comptes féminins commencent à aborder sans détour les sujets du cycle menstruel, des douleurs pelviennes, du diagnostic difficile souvent dans un mélange de darija et de français, accessible et décomplexé. Ces voix contribuent à casser le silence, à normaliser le dialogue et, surtout, à pousser la société à reconnaître ces maladies comme ce qu’elles sont : réelles, sérieuses et dignes d’attention.
 

Mais il reste encore beaucoup à faire. La recherche doit se féminiser, les politiques de santé doivent intégrer ces pathologies dans leurs priorités, et les médecins doivent être mieux formés pour détecter, comprendre et accompagner.
 

Car tant que la douleur féminine sera traitée comme un mystère, elle continuera d’être un fardeau solitaire. Et dans ce silence, ce ne sont pas seulement des femmes qui souffrent, mais une société entière qui passe à côté de la moitié de sa vérité.


Endométriose, cystite interstitielle, santé des femmes, médecine, recherche médicale, douleur chronique, Maroc, invisibilité médicale.


Mardi 14 Octobre 2025



Rédigé par Salma Chmanti Houari le Mardi 14 Octobre 2025
Dans la même rubrique :