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Débat sur Intelligence artificielle et école marocaine

Pour une doctrine publique lucide, souveraine et équitable


Rédigé par La rédaction le Dimanche 28 Décembre 2025

L’irruption de l’intelligence artificielle générative dans l’espace éducatif marocain ne relève plus de la prospective. Elle est déjà à l’œuvre, de manière diffuse, non régulée, souvent invisible. Les élèves l’utilisent, les enseignants la découvrent parfois par défaut, l’institution l’observe encore à distance. Cette situation crée une tension majeure : l’IA progresse sans projet éducatif explicite, tandis que l’école, elle, reste sommée de garantir l’équité, la cohérence et le sens.

Les douze échanges du débat, ci-dessous, entre spécialistes de l’éducation nationale invités par la rédaction convergent vers un constat central : la question de l’IA à l’école n’est ni technique ni pédagogique au sens étroit, elle est fondamentalement politique.

Intervenants : Dr AD, inspectrice pédagogique générale, ancienne cadre au ministère de l’Éducation nationale et Pr YB, professeur en sciences de l’éducation, spécialiste des innovations pédagogiques.



IA et école marocaine : un débat nécessaire à travers douze échanges approfondis entre deux spécialistes de l’éducation nationale

Image IA
Image IA
L’IA est-elle déjà dans l’école marocaine ?

Pr YB : Il faut commencer par une vérité simple : l’IA est déjà entrée dans l’école marocaine, sans autorisation ni cadre. Les élèves l’utilisent à la maison, dans les cybercafés, sur leurs téléphones. Elle est présente dans les devoirs, les exposés, parfois même dans les examens préparatoires. La question n’est donc pas faut-il ouvrir la porte, mais que fait-on maintenant que la porte est déjà entrouverte ?

Dr AD : Je ne nie pas cette réalité. Mais l’école ne peut pas fonctionner selon la logique du fait accompli. Si l’on suit ce raisonnement, toute technologie socialement diffuse devrait être institutionnalisée. Or l’école a une responsabilité particulière : elle doit filtrer, structurer, protéger. Ce qui entre dans l’espace scolaire engage l’État, l’équité, et le sens même de l’éducation.

​Rupture pédagogique ou continuité historique ?

Pr YB : Je soutiens qu’il y a rupture. Pas parce que la technologie est nouvelle, mais parce qu’elle touche au cœur de l’acte scolaire : produire du texte, reformuler un savoir, répondre à une question. Quand une machine peut générer une dissertation correcte en quelques secondes, toute la chaîne pédagogique est interrogée.

Dr AD : Je suis plus prudente. Chaque innovation majeure a été annoncée comme une rupture définitive : l’imprimerie, la calculatrice, Internet. À chaque fois, l’école s’est adaptée. Ce que vous appelez rupture est peut-être une accélération, mais pas un effondrement du modèle scolaire.

Le risque d’une école à deux vitesses ?

Dr ADi : Le Maroc n’est pas un système homogène. Entre un lycée d’excellence à Rabat et une école rurale de l’Atlas, les conditions sont radicalement différentes. Introduire l’IA sans stratégie différenciée, c’est renforcer une école à deux, voire trois vitesses.

Pr YB : C’est justement pour cela que l’IA peut être utile. Elle peut soutenir un élève isolé, proposer des explications supplémentaires, aider à la remédiation. Le problème n’est pas l’outil, mais l’absence de politique publique d’accompagnement.

​Plagiat : faux débat ou vrai signal d’alarme ?

Pr YB : Le débat sur le plagiat me semble mal posé. Si un devoir peut être intégralement fait par une IA, c’est qu’il mesure une compétence superficielle. L’IA agit ici comme un révélateur des faiblesses de notre évaluation.

Dr AD : Sur le terrain, ce raisonnement est difficile à appliquer. Les enseignants gèrent des classes surchargées, avec peu de moyens. Repenser l’évaluation demande du temps, de la formation et une refonte institutionnelle. On ne peut pas leur demander de s’adapter seuls.

​L’autorité de l’enseignant en question ?

Dr AD : Je m’inquiète d’un affaiblissement symbolique de l’enseignant. Quand l’élève pense que la machine « sait mieux », le rapport pédagogique se déséquilibre. L’école repose aussi sur la confiance.

Pr YB : Je dirais plutôt que l’autorité change de nature. L’enseignant n’est plus seulement celui qui transmet, mais celui qui donne du sens, qui apprend à douter, à vérifier, à contextualiser. C’est une autorité intellectuelle, pas technique.

Quid des données scolaires, souveraineté et dépendance technologique

Dr AD : La question des données est centrale et, à mon sens, sous-estimée dans le débat public marocain. Nous parlons d’élèves mineurs, de trajectoires scolaires, parfois de données sociales sensibles. Or, aujourd’hui, la majorité des outils d’IA utilisés par les élèves ou les enseignants reposent sur des plateformes étrangères, hébergées hors du pays, soumises à des logiques commerciales opaques. Introduire l’IA à l’école sans cadre clair, c’est accepter une forme de dépossession silencieuse : des données éducatives marocaines deviennent une matière première exploitée ailleurs.

Pr YB : Vous avez raison sur le diagnostic, mais pas sur la conclusion. Ce risque existe précisément parce que l’État est absent du terrain. Le vide réglementaire pousse les usages vers des solutions privées, non maîtrisées. Une stratégie nationale de l’IA éducative pourrait, au contraire, imposer des standards : hébergement local, solutions open source, contrôle public des corpus. Refuser l’IA par peur de la dépendance, c’est en réalité laisser cette dépendance se construire sans garde-fous.

​IA et standardisation pédagogique : une menace réelle ?

Dr AD : L’école marocaine repose sur une diversité de contextes linguistiques, culturels et territoriaux. Or les modèles d’IA, notamment génératifs, sont entraînés majoritairement sur des corpus dominés par certaines langues, certaines visions du monde. Le risque est une pédagogie standardisée, lissée, qui ne reflète ni la réalité sociale des élèves ni les spécificités nationales.

Pr YB : Ce risque est réel si l’on confond usage et délégation. Une IA utilisée comme assistant pédagogique ne remplace pas le jugement de l’enseignant. Elle peut proposer, suggérer, reformuler. La contextualisation reste humaine. Le danger n’est pas la standardisation algorithmique en soi, mais l’abandon de la responsabilité pédagogique.

​Automatiser les décisions scolaires : reste-elle une ligne rouge ?

Pr YB : Il faut être clair : l’IA ne doit jamais décider à la place de l’humain dans des situations à fort enjeu — orientation, évaluation certificative, admission. Elle peut éclairer, pas trancher. L’enseignant doit rester « dans la boucle ».

Dr AD : Sur le principe, je suis d’accord. Mais l’expérience administrative montre que ce qui commence comme une aide devient souvent une norme implicite. Dans un système sous pression, avec des effectifs importants et peu de ressources, la tentation de l’automatisation est forte. Le risque est que la décision humaine se transforme progressivement en validation automatique d’une recommandation algorithmique.

Formation des enseignants : urgence ou précaution ?

Dr AD : Parlons formation. La majorité des enseignants marocains n’a reçu aucune formation sérieuse sur l’IA, ni technique, ni éthique. Introduire ces outils sans accompagnement, c’est créer une fracture interne au corps enseignant : certains s’adapteront, d’autres seront marginalisés.

Pr YB : C’est précisément pour éviter cette fracture qu’il faut agir vite. Mais attention : former à l’IA ne signifie pas former au code ou aux prompts. Il s’agit d’une formation critique : comprendre ce que fait l’IA, ce qu’elle ne fait pas, comment détecter ses erreurs, ses biais, ses limites. Une culture numérique éclairée, pas une course à la compétence technique.

Et ​l’angle mort écologique ?

Dr AD : On parle beaucoup de performance, rarement de coût environnemental. Les modèles d’IA sont énergivores, gourmands en ressources, en eau, en électricité. Le Maroc, qui s’efforce de penser sa transition énergétique, ne peut importer sans débat des technologies dont l’empreinte écologique est lourde.

Pr YB : C’est un point essentiel. Il impose une sobriété d’usage. L’IA ne doit pas être omniprésente, mais ciblée, justifiée pédagogiquement. Là encore, le problème n’est pas l’outil, mais l’absence de doctrine d’usage responsable.

La neutralité est-elle encore possible ?

Pr YB : Il faut accepter une idée dérangeante : refuser l’IA à l’école est aussi un choix politique. Un choix qui peut coûter cher à long terme, en termes de compétences, d’adaptation, de compétitivité intellectuelle.

Dr AD : Et l’adopter sans cadre est un choix politique tout aussi risqué. L’école marocaine n’a pas vocation à servir de terrain d’expérimentation à des technologies non maîtrisées. Le rôle de l’État est de décider, pas de suivre.

Vos conclusions !

Dr AD : L’IA ne doit jamais dicter l’école. Elle doit rester subordonnée à un projet éducatif clair, démocratiquement débattu, ancré dans nos priorités nationales.

Pr YB : Et ce projet doit être formulé maintenant, collectivement, avec les enseignants, les chercheurs, les parents. Car l’IA avance vite, et l’indécision est déjà une décision.





Dimanche 28 Décembre 2025

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