Fracture numérique au Maroc : qui sont les 19 % de Marocains encore hors ligne en 2025 ?


Rédigé par La rédaction le Mercredi 18 Juin 2025



Des chiffres trompeusement rassurants

Alors que le Maroc célèbre un taux de connexion aux réseaux sociaux de 81 % en 2025, près d’un cinquième de la population demeure exclu de la révolution digitale. Derrière ce chiffre se cachent des disparités profondes et des réalités sociales parfois ignorées.

Le Baromètre 2025 des réseaux sociaux au Maroc, publié par Sunergia, affiche un bilan plutôt flatteur : 81 % des Marocains utilisent au moins un réseau social. À première vue, le pays semble bien engagé dans sa transition numérique. Pourtant, un Marocain sur cinq reste hors ligne. Cette part, relativement stable depuis plusieurs années, signale une fracture structurelle que ni les progrès technologiques, ni les politiques publiques ne sont parvenus à réduire significativement.

La population "hors ligne" — ces 19 % de Marocains qui ne scrollent pas, ne partagent pas et ne commentent jamais — n’est pas un groupe homogène. Elle est composée à la fois de personnes qui choisissent de ne pas se connecter et d’autres qui n’en ont pas les moyens ou l’opportunité. Le rapport met ainsi en évidence des profils bien distincts, qui méritent une attention particulière.

Les seniors sont les plus représentés dans cette catégorie. Selon le rapport, 47 % des personnes âgées de plus de 64 ans et 35 % de la tranche 55-64 ans ne sont pas connectées. Ce chiffre est à comparer aux jeunes de 18-24 ans, connectés à plus de 90 %. L'écart est vertigineux, révélateur d’une fracture générationnelle.

Deuxième critère d’exclusion : la ruralité. En 2025, 29 % des habitants des zones rurales ne sont pas connectés. Ce chiffre traduit des retards persistants dans le déploiement des infrastructures (fibre optique, couverture 4G/5G), mais aussi des freins culturels et éducatifs à l’adoption du numérique.

Enfin, les catégories socio-économiques les plus modestes (CSP D-E) sont fortement surreprésentées : 31 % d’entre elles n’ont pas accès aux réseaux sociaux. Les coûts d’accès à internet, le prix des smartphones ou l’instabilité financière rendent parfois l’usage des outils numériques secondaire face aux besoins de première nécessité.

Contrairement aux idées reçues, cette fracture numérique n’est pas uniquement due à un manque d’équipement ou de connectivité. Certains Marocains refusent volontairement de s’inscrire dans l’univers numérique. Par choix idéologique, rejet de la surveillance, fatigue informationnelle ou attachement à un mode de vie plus traditionnel.

Mais ces cas restent minoritaires. Dans l’écrasante majorité, la non-connexion est subie, et non désirée. Elle est le produit de l’illettrisme numérique, de la méconnaissance des outils, ou tout simplement d’un manque d’accompagnement. À cet égard, la question n’est pas seulement technologique, elle est aussi éducative, culturelle et sociale.

Une population invisible pour les algorithmes, inaudible pour les décideurs
Dans un monde où les politiques publiques, les services et même les campagnes électorales se numérisent à grande vitesse, ne pas être en ligne, c’est être exclu d’une partie croissante de la vie citoyenne. Ces Marocains "hors réseau" ne sont pas ciblés par les publicités, pas consultés dans les sondages d’opinion en ligne, pas exposés aux services d’e-gouvernement.

Cela pose un problème de représentativité démocratique et de cohésion sociale. Dans un pays où les décisions publiques se basent de plus en plus sur les données collectées en ligne, les déconnectés deviennent invisibles, donc oubliés. Ce biais algorithmique introduit une nouvelle forme d’injustice sociale.

L’inclusion numérique est pourtant un pilier officiel du Nouveau Modèle de Développement (NMD). Le rapport souligne que "comprendre pourquoi ces citoyens restent à l’écart, par choix ou par contrainte, et comment ils pourraient rejoindre, ou non, l’écosystème numérique" est une question politique majeure.

Mais sur le terrain, les initiatives restent fragmentées et peu coordonnées. Des efforts existent : centres de médiation numérique, subventions aux zones blanches, formations de base. Toutefois, l'impact reste limité face à l’ampleur des besoins. La fracture numérique ne se résorbera pas uniquement par la fibre ou les smartphones subventionnés.

Il faut une politique volontariste, structurée et transversale, mêlant éducation, services sociaux, sensibilisation, et développement local. À titre d’exemple, le modèle estonien ou les villages digitaux au Rwanda pourraient inspirer une version marocaine de l’accès universel.

Au-delà de l’accès, une autre fracture émerge : celle des usages. Être connecté ne signifie pas forcément être inclus. Certains usagers restent en marge de la culture numérique dominante : ils consomment peu, ne créent pas de contenu, ou n’interagissent pas dans les sphères sociales et économiques qui comptent.

À l’inverse, certains jeunes ultra-connectés vivent dans une bulle numérique, avec des références, des aspirations et des modèles qui s’éloignent des réalités de leur propre entourage. Cela crée un clivage culturel entre générations, entre rural et urbain, entre élites numériques et citoyens analogiques.

Si le Maroc veut faire du digital un levier d’équité, il ne peut se contenter de pourcentages de couverture réseau. Il doit penser l’humain derrière le pixel : accompagner les primo-utilisateurs, valoriser les usages utiles, créer des ponts entre les mondes physiques et numériques.

Cela suppose aussi de revaloriser les voix des exclus, de les réintégrer dans le débat public, et de rendre le numérique désirable. Car sans désir, il n’y a pas d’usage durable. Un réseau social, aussi puissant soit-il, ne remplacera jamais une démarche pédagogique, un contact humain, ou une politique d’inclusion structurée.

La fracture numérique au Maroc en 2025 n’est pas une déconnexion technique, mais une cassure sociale, générationnelle et territoriale. Les 19 % de Marocains "hors ligne" nous rappellent qu’un pays connecté n’est pas forcément un pays uni. Pour inverser cette dynamique, il faudra un engagement sincère et massif pour humaniser la transition numérique, afin que le digital serve la société, et non l’inverse.

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Source : 6ᵉ édition du Baromètre des Réseaux Sociaux publié par Sunergia.





Mercredi 18 Juin 2025
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