Par Abdeslam Seddiki
Que cette conférence se tienne à l’heure des incertitudes, de la montée des climatosceptiques et du recul de l’engagement en faveur de l’environnement constitue en elle-même un acquis positif. Réunir autour de cette problématique, une soixantaine de chefs d’Etat, des dizaines d'organisations internationales outre la présence massive des représentants de la société civile qui sont quotidiennement sur le terrain, constitue un véritable challenge.
Certes, contrairement aux autres conférences sur le climat (COP) et la diversité, celle relative aux océans ne revêt pas un caractère contraignant et n’oblige pas, par conséquent, les Etats à prendre de engagements chiffrés et précis. Il n’en demeure pas moins cependant, comme cela a été dit tant dans le Message Royal que dans l’intervention inaugurale du Président Français, que c’est un cadre de mobilisation, de sensibilisation aux enjeux et de clarification de la problématique. Un problème bien réfléchi et analysé est une étape vers la solution.
Il faut préciser, au départ, que l’océan est un écosystème vital. Les données suivantes émanant de l’ONU, l’attestent clairement : 70 % de la surface du globe est couverte par les océans ; 3 millions d’espèces aquatiques y vivent ; 3 milliards de personnes sont nourries grâce aux océans ; 800 millions de personnes vivent de la pêche ; 30% des émissions de gaz à effet de serre produites par l’humanité sont absorbées par les océans et 90 % de l’excès de chaleur que ces émissions génèrent ; 90 % des échanges de marchandises dans le monde sont assurés par voie maritime.
Atteinte à un patrimoine commun.
Mais l’océan est victime aussi d’une pollution multi-sources et multiformes, résultant des activités humaines, qui modifient substantiellement le milieu océanique. Cette pollution provient du transport maritime et des marées noires. Elle est liée, également, aux rejets (gazeux, liquides et solides) d’origine urbaine, industrielle et agricole. Ces déchets sont transportés par les vents, la pluie et les cours d’eau ou tout simplement rejetés directement dans l’océan. Rien que pour les plastiques, on estime que 11 millions de tonnes de déchets plastiques finissent chaque année dans l’océan mondial (2020), un chiffre, qui double chaque décennie (soit 30 millions de tonnes par an d’ici 2040 ou 50 kg de plastique par mètre de littoral mondial).
Une telle dégradation risque de s’aggraver suite à la signature par le Président Trump en mars dernier, d’un décret autorisant la délivrance de permis d’exploration et d’extraction de minéraux au-delà de la juridiction américaine, c’est-à--dire dans les eaux internationales, pourtant érigées en patrimoine commun de l’humanité.
Les chiffres annoncés par la Maison-Blanche donnent le tournis : 1 milliard de tonnes de matériaux pourraient être collectés en dix ans, 100 000 emplois créés, pour un gain de 300 milliards de dollars de PIB. Désormais aux mains de Trump, l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique américaine, la NOAA [National Oceanic and Atmospheric Administration], évoque carrément une « nouvelle ruée vers l’or ». Cette mesure marquée par un égoïsme certain et un unilatéralisme outrancier, qui explique d’ailleurs l’absence des USA à Nice, fait fi de la réglementation internationale incarnée par l’Autorité internationale des Fonds marins (AIFM), organisation chargée de définir les règles du jeu dans les eaux internationales et de délivrer les éventuels permis d’exploitation.
Intérêts économiques sournois.
Pour comprendre cet emballement soudain, « il faut plonger dans ces profondeurs où la lumière ne perce pas, le froid règne, la pression se fait écrasante ». En effet, seulement 25 % des fonds marins ont été cartographiés et à peine 1 % a été exploré, mais les connaissances sont suffisantes pour exciter les appétits. On sait, par exemple, qu’ils abritent des métaux en quantité, notamment dans des nodules polymétalliques. Ces cailloux de la taille d’une grosse pomme de terre sont très présents dans le Pacifique - particulièrement dans la zone de Clarion Clipperton (CCZ), immense plaine à plus de 3 000 mètres de profondeur entre Hawaï et le Mexique. Ces minerais sont riches en manganèse, fer, cobalt, cuivre et nickel. Autant de métaux indispensables aux transitions bas carbone et numérique, puisqu’ils entrent dans la fabrication des smartphones, des supercalculateurs et surtout des batteries de voitures et des câbles électriques. Cela explique bien l’appétence de Trump !
Selon l’Agence internationale de l’Energie (AIE), la demande mondiale de métaux devra être multipliée par quatre pour le cuivre, et par vingt pour le cobalt à l’horizon 2040 pour parvenir à la neutralité carbone. D’où les risques d’une exploitation des fonds marins : d’abord, avec l’arrivée de gigantesques engins qui vont racler le sol, broyer la roche, causer du bruit et des vibrations, des espèces risquent de disparaître avant même qu’on ait eu le temps de les connaître. Dans l’océan, on en recense à ce jour plus de 250000, et nous estimons qu’entre 1 et 10 millions restent à découvrir ; ensuite, et comme cela a été dit, face au changement climatique, l’océan est un allié précieux puisqu’il absorbe des quantités massives de CO2 - plus d’un quart des émissions mondiales annuelles ! En remuant les grands fonds, cette fonction essentielle de pompe à carbone pourrait être fragilisée.
L’Océan, terrain d’affrontement entre l’écologie et le capitalisme prédateur.
Une chose est certaine. L’océan est en train de redevenir la zone d’affrontement majeure entre puissances. La récente décision de Donald Trump sur les fonds marins est une illustration de cette bascule. « Les grandes puissances, à commencer par les Etats-Unis, se sont lancées dans une logique d’appropriation des ressources présentes dans les derniers espaces communs de la planète. » On assite à « une lutte à mort entre l’économie écologique, soucieuse des impacts environnementaux et des limites planétaires, et ce capitalisme, autoritaire, impérialiste et prédateur ».
Qui l’emportera ? Le sommet de Nice, qui aura pour (difficile) mission de remettre à l’honneur la parole scientifique et le multilatéralisme, livrera une première réponse. Le Message Royal a posé dans ce sens les jalons pour la gestion de ce bien commun mondial. « Il ne suffit pas d’avoir un océan en partage. Encore faut-il le penser ensemble, le gérer ensemble et le défendre ensemble. Seule une approche africaine coordonnée est à même d’optimiser les chaînes de valeur maritimes, de sécuriser les routes commerciales et de capter une part plus équitable de la richesse océanique mondiale » (Message de SM Le Roi).
Rédigé par Abdeslam Seddiki