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La maternité célibataire au Maroc : manque de protection juridique et sociale


Rédigé par le Vendredi 10 Février 2023

Pècheresses, hors-la-loi. Tel est l'appellation donnée aux femmes qui ont un enfant en dehors des liens du mariage au Maroc. Les discriminations endurées par ces Marocaines et leurs enfants restent inébranlables. Stigmatisées à la fois socialement et juridiquement, cette catégorie sociale est profondément marginalisée.

En se préoccupant du sort des mères célibataires au Maroc, on entre en résistance. Aïcha Ech-Channa, présidente de l'association casablancaise Solidarité Féminine, se bat depuis plus de 20 ans pour obtenir la reconnaissance des mères célibataires, qui sont considérées comme des parias.



Le cri a marqué le début d'un combat. Aïcha Ech-Channa est une femme déterminée qui ne se laisse pas abattre par le destin. Elle croit fermement en la force des signes, et elle est convaincue que c'est l'un d'eux qui lui a été envoyé ce jour-là. Avec une voix douce, elle partage son histoire avec honnêteté et sincérité.
« Je venais d’être mère pour la première fois et je reprenais tout juste mon travail. J’étais dans le bureau d’une de mes collègues assistantes sociales. Une jeune femme est là, assise, qui donne le sein à son enfant. L’assistance sociale lui fait signer un acte d’abandon. Et soudain, on lui arrache le bébé, le lait gicle du sein. Et ce cri de l’enfant ! Jamais de toute ma vie, je ne pourrais l’oublier. »

En 1985, cette pionnière en matière d'assistance sociale et sanitaire ainsi que de planning familial a fondé l'association Solidarité Féminine à Casablanca, ce qui a marqué le début de son engagement en faveur des mères célibataires au Maroc. Dans un pays où « l’honneur des jeunes filles est entre leurs jambes », une femme enceinte hors mariage est une paria. Au yeux de la loi, qui la considère comme une prostituée. Aux yeux de la famille, qui la renie le plus souvent, même en cas de viol. Aux yeux du père biologique qui la plupart du temps refuse de reconnaître l’enfant.

Code de la famille

Depuis lors, beaucoup de progrès ont été réalisés dans cette étonnante aventure, mais ce n'était pas sans obstacles. S'intéresser aux destins des mères adolescentes, c'est se rebeller contre les traditions et les prêches de certains imams islamistes qui ont considéré Aïcha Ech-Channa comme la défenseure des "dépravées".

Contre l'hypocrisie qui consiste à "recoudre les hymens sur demande pour les certificats de mariage". Aïcha n'a plus le compte des visites chez les pères, parfois accompagnée de peur, ni des nuits sans sommeil.

À l'âge de 66 ans, le combat de cette femme pour les mères adolescentes l'a propulsée en tant que leader de la société civile marocaine en pleine croissance. Bien qu'elle soit mitigée à propos de la réforme de la Moudawana en 2003, le code de la famille, elle y voit un signe positif de la volonté de changement, même si le contenu du texte n'a pas beaucoup amélioré la situation des mères célibataires - le père peut toujours reconnaître l'enfant sans épouser la mère.  « Le roi a reçu dans la salle du trône les associations de femmes. Pour la première fois. » Reste pour Aïcha le moment où il faudra passer la main. La tentation d’abandonner le navire l’a saisie. Souvent. L’épuisement également, à côtoyer la souffrance de ces femmes d’aussi près. Elle raccrochera un jour. Mais pas tant que ses songes seront hantés de jeunes mères sans visages et de dizaines d’enfants qui s’accrochent à ses jambes.

Une étude réalisée par INSAF en 2010 a révélé qu'entre 2003 et 2009, il y avait plus de 210 000 mères célibataires au Maroc et que 24 enfants étaient abandonnés chaque jour. Lorsque cette étude a été mise à jour en 2015, il a été constaté que dans la seule région de Casablanca-Settat, 44 000 enfants nés hors mariage ont été enregistrés entre 2004 et 2014, ce qui représente une moyenne de 3 366 par an.

Pour la même période, INSAF a également montré que 9 400 enfants ont été abandonnés dans cette région, soit une moyenne de 850 par an.

Hors-la-loi !

Au Maroc, le sort des mères célibataires est toujours considéré comme un sujet tabou. Bien que des efforts aient été faits par la société pour améliorer leur situation, elles continuent à subir des discriminations. Il y a plusieurs raisons à cela, notamment les aspects religieux et juridiques qui considèrent ces femmes comme étant hors-la-loi. L'article 490 du Code pénal punit les relations sexuelles hors mariage, ce qui entraîne des peines de prison allant d'un mois à un an. Dans la plupart des cas, les femmes endossent la responsabilité de ces relations, même si elles sont consenties, car les géniteurs refusent souvent de reconnaître leur enfant.

De nombreuses lois ne correspondent plus aux droits fondamentaux des femmes et des mères célibataires et leurs enfants. Par exemple, l'article 490 cause de graves conséquences pour les mères célibataires, tandis que les géniteurs de l'enfant n'en subissent aucune. Pour garantir l'accès aux droits fondamentaux, il est nécessaire de réviser les lois en faveur de cette catégorie. Cela inclurait la reconnaissance de la mère célibataire en tant que chef de famille monoparentale, la garantie d'une identité pour l'enfant, la reconnaissance systématique de la paternité à travers des tests ADN, et l'accès aux droits sociaux et à la protection sociale.

IVG : La solution «maudite»

Ce qui rend difficile la situation pour les mères célibataires, c'est qu'elles sont obligées de garder leur enfant, car ni la religion ni la législation marocaine ne permettent l'avortement. En référence au cadre religieux, les articles 449 à 504 du Code pénal interdisent l'avortement, sous peine d'emprisonnement, à moins que la grossesse ne mette en danger la santé de la mère.

Avant d'être retirée par le nouvel exécutif, une proposition de loi adoptée par le Conseil de gouvernement en 2015 prévoyait trois exceptions supplémentaires pour justifier l'avortement. Il s'agissait de la malformation fœtale, d'un trouble mental subi par la mère, et de grossesses résultant d'un viol ou d'un inceste.

Cependant, pour éviter les problèmes juridiques, de nombreuses femmes optent pour une IVG clandestine, ce qui met en danger leur vie. Selon les données de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (AMLAC), entre 600 et 800 avortements clandestins sont effectués quotidiennement au Maroc.

Livret de famille : Tu ne l’auras point

Les mères célibataires subissent une véritable épreuve au quotidien, que ce soit avant ou après l'accouchement. En raison de leur situation considérée comme illégale, elles et leurs enfants sont privés des droits les plus fondamentaux. La loi relative à l'état civil, dans son article 23, exclut les mères célibataires de la liste des personnes éligibles à recevoir le livret de famille, un document indispensable pour accéder à de nombreux services. Afin de faire évoluer la condition des mères célibataires au Maroc, il est nécessaire de changer la façon de voir les choses.

En novembre dernier, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a annoncé que des mesures seraient prises pour responsabiliser davantage les géniteurs dans le cadre de la situation des mères célibataires.
Il a déclaré que cela serait intégré dans le Code pénal.  «Si l’ADN prouve qu’une relation extraconjugale entre un homme et une femme a conduit à la grossesse puis à la naissance d’un enfant, l’un des parents de ce dernier doit le prendre en charge jusqu’à ce qu’il atteigne ses 21 ans», a-t-il indiqué.

Salma LABTAR





Salma Labtar
Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 10 Février 2023

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