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Qu'est-ce qu'une critique littéraire qui ne parle pas du livre lu mais de l'auteur qui l'a écrit ?


Selon la logique "tout le monde est journaliste", une illusion nourrie par internet et les réseaux sociaux à partir des années 2000, pourquoi "tout le monde ne serait-il pas critique littéraire" ?



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Par Abdallah Bensmain

La peopolisation de l'information n'est plus seulement dans les écrits sur la mode, la chanson, le cinéma et la télévision à travers les acteurs, comme elle n'est plus seulement dans la politique, elle a pénétré un des bastions les mieux protégés : la critique littéraire, au sens journalistique du terme, dans la presse « grand public ».

Le modèle n’est plus le magazine littéraire, le Monde des Livres…, mais Voici, un fleuron de la presse people, indifféremment qualifiée, par ailleurs, de « presse à scandale » et de « presse à sensation ».

Selon la logique "tout le monde est journaliste", une illusion nourrie par internet et les réseaux sociaux à partir des années 2000, pourquoi "tout le monde ne serait-il pas critique littéraire" ?

Lacan disait que « tout se vaut » est un fantasme d’enfant… Ce fantasme ne disparait pas avec l’enfance. Il fonctionne comme une sorte de préjugé dont Einstein aurait dit qu’il est plus difficile à briser qu’un atome. 

Bien sûr que l’on peut devenir journaliste (culturel, car il n’y a pas une appellation « journaliste critique littéraire ») si l’on est « journalisable » selon l’expression de Khalid Zekri, comme on peut devenir médecin, pilote d’avion, selon des parcours de formation définis qui sont aussi bien pratiques que théoriques.

Dans la presse d’ailleurs, les journalistes culturels ne disent pas qu’ils font de « la critique littéraire » par les articles qu’ils consacrent à la littérature, mais des comptes rendus de parution, des lectures critiques, c’est-à-dire approfondies, quand la dimension analytique prend le dessus. L’université a tendance à définir cette production non pas de « critique littéraire » mais de « critique journalistique ».

Avant de s’envoler en solo, un élève-pilote passe des heures et des heures avec un moniteur qui lui apprend à voler, sans oublier des heures et des heures de formation théorique au sol pour lui expliquer comment décoller et atterrir, monter, changer de cap, descendre, voler à l’horizontal, le contrôle et la réglementation de l’espace aérien, la fonction des composantes d’un avion… et autres joyeusetés ! 

Et, bien entendu, un pilote d’hélicoptère n’est pas un pilote de chasse et moins encore un pilote de transport de passagers, sans oublier qu’un cardiologue n’est pas un dermatologue et moins encore un pédiatre ou un diabétologue comme la prose n’est pas la poésie, le Nouveau Roman n’est pas le roman de la Dictature et le Surréalisme n’est pas le Romantisme ou son voisin de palier : le Dadaïsme.

Le drame du journalisme vient du fait qu’il est plus facile de prendre sa plume, de taper sur un clavier que de prendre les commandes d’un avion ou de revêtir la blouse du chirurgien dans une salle d’opération.

Dans le journalisme, la maîtrise de la langue de travail est une obligation et la formation une nécessité, mais c’est la pratique qui décide de qui est journaliste et de qui ne l’est pas. 

Tayeb Saddiki aimait à me répéter « comment on peut diriger un supplément culturel si on ne sait pas qui est Poil de carotte, si on n’a pas lu La chèvre de Monsieur Seguin » ? Dans le prolongement : comment on peut être critique littéraire si on ne lit pas et si on ne maitrise pas les outils de la critique littéraire (sociologie, psychanalyse, sémiotique, etc), ensemble ou séparément, qu’importe ? 

Ecrire n’est pas faire du journalisme. Comment se dire journaliste, dès lors, sans la maitrise des règles du journalisme – oui, le journalisme a des règles ! -, et dans l’ignorance de ce qu’information veut dire. 

Le journalisme est une profession qui a sa réglementation : la qualité de journaliste est attestée par une carte de presse qui est délivrée sur présentation d’un dossier par l’entreprise de presse qui le dépose auprès des instances habilitées à délivrer la carte de presse.

La critique littéraire n’est pas une suite d’impressions de lecture- et l’histoire de la littérature et de sa critique sont là pour en témoigner ! -, mais une analyse au sens scientifique du terme qui privilégie les faits, l’écriture, sa dimension esthétique et non le ressenti. 

La critique littéraire dans la presse est fille légitime de la critique académique, universitaire dont elle n’adopte pas la méthodologie, certes, mais fait sienne la rigueur de l’analyse des œuvres littéraires. 

Comment mettre en évidence l’affiliation d’une œuvre si on ne maîtrise pas l’histoire littéraire ? Et comment maîtriser l’histoire littéraire sans formation et sans lectures pour entretenir et approfondir les connaissances acquises en la matière ? 

Parler de l’auteur en critique littéraire ne consiste pas à lui tresser des lauriers sinon argumentés, mais à montrer comment sa vie, sa formation, son parcours, son milieu social et professionnel… ont façonné son œuvre. 

La qualité d’une critique littéraire se mesure à l’étalon des arguments et non à celui des compliments et des impressions de lecture qui relèvent du point de vue, sans plus, point de vue respectable au demeurant quand il s’affiche comme tel. La critique littéraire relève de la conviction argumentative et rarement sinon jamais de la sensibilité et des sentiments.

En écho à Hervé Brusini qui disait : « si tout le monde devient journaliste, qui sera journaliste demain ? »… on peut aussi se poser cette question pour conclure et laisser ouvert le débat : « Si tout le monde devient critique littéraire, qui sera critique littéraire demain ? ». 

La question peut être déclinée enfin pour le cinéma et les arts plastiques en « Si tout le monde devient critique de cinéma, qui sera critique de cinéma demain ? » ou encore « Si tout le monde devient critique d’art, qui sera critique d’art demain ? » 

Tout le monde est journaliste, tout le monde est critique littéraire, tout le monde est écrivain… ce type de croyance irrationnelle fait le lit de « la démocratie des crédules » qui n’emprunte ni le chemin de la connaissance ni le chemin de l’esprit critique, comme l’analyse si bien Gérard Bonner dans un ouvrage qui porte ce titre. 

Umberto Eco a résumé cet état d’esprit que favorisent les réseaux sociaux qui « ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin (ou autour d’un café peut-on ajouter) et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. C'est l'invasion des imbéciles. »… ou des crédules !



Vendredi 25 Août 2023

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