L'ODJ Média

lodj






À hauteur de lucidité : le seuil encore à franchir


Dans un Maroc où la vision royale se précise avec acuité, les rouages de l’État peinent à suivre. Entre clarté stratégique au sommet et inertie bureaucratique à la base, Adnan Debbarh scrute le paradoxe d’un pays qui réalise tant et met en attente autant. Une réflexion lucide sur les verrous institutionnels, les leviers de transformation, et l’urgence d’un État orchestré plutôt que dispersé.



Par Adnan Debbarh

Un pays qui sait où il veut aller, mais qui semble encore chercher comment y parvenir. C’est cette énigme, à la fois politique, institutionnelle et stratégique, que nous devons interroger.
Un pays qui sait où il veut aller, mais qui semble encore chercher comment y parvenir. C’est cette énigme, à la fois politique, institutionnelle et stratégique, que nous devons interroger.
Il arrive que l’histoire hésite.                                                                                          

Non pas qu’elle ignore sa trajectoire, mais parce qu’au moment d’avancer, certains de ses rouages internes rechignent à s’accorder. C’est peut-être ce que vit aujourd’hui le Maroc, à sa manière singulière : un pays où l’impulsion est donnée avec clarté depuis le sommet, mais où la traduction de cette impulsion dans les faits reste inégalement assurée.                                                                              

Un pays qui sait où il veut aller, mais qui semble encore chercher comment y parvenir. C’est cette énigme, à la fois politique, institutionnelle et stratégique, que nous devons interroger.

Le paradoxe marocain est saisissant : plus la vision royale se précise, plus les blocages structurels deviennent visibles. À mesure que les orientations stratégiques se clarifient, dans leurs priorités comme dans leur ambition, un sentiment de viscosité revient : celui d’un appareil d’État qui peine à suivre le tempo, comme s’il était resté attaché à des réflexes d’un autre temps.

Le Souverain anticipe, alerte, désigne les enjeux ; mais en aval, les mécanismes de traduction font défaut. Les diagnostics sont posés avec justesse, mais la mise en œuvre, elle, hésite, bifurque, ou s’attarde. Ce n’est plus l’intention qui manque, c’est la synchronisation.

Dans cette configuration, la question n’est plus "que faire ?", mais bien "comment faire ?". Les priorités sont connues : réindustrialisation, inclusion sociale, transition énergétique, gouvernance territoriale, efficacité publique.

Ce qui fait obstacle, c’est l’architecture même de l’action publique. Trois verrous, souvent silencieux, ralentissent l’élan national : une déconnexion hiérarchique qui dilue les directives dans les sédiments administratifs ; une opacité persistante des processus de décision, où la norme se perd dans les arcanes de procédures sans propriétaire clair ; et enfin, une faible culture de redevabilité, où la reddition des comptes reste trop discrète pour stimuler l’action et banaliser l’inertie.

Ce n’est pas l’idée du changement qui manque : c’est son incarnation dans les rouages de l’État.
       
Il ne s’agit plus seulement de produire des feuilles de route, mais de s’assurer que chaque administration, chaque niveau hiérarchique, chaque acteur opérationnel s’en saisit avec la même intensité. Or aujourd’hui, l’État avance en ordre dispersé. Les feuilles de route deviennent des partitions que chacun interprète selon sa lecture, son tempo, voire ses intérêts. À la clé, un affaiblissement du message, une déperdition d’énergie et un risque de lassitude citoyenne.

Dans un tel contexte, trois leviers concrets mériteraient d’être activés pour réconcilier la parole et l’acte.

D’abord, un tableau de bord public des réformes structurantes, visible, mis à jour régulièrement, lisible par tous. Il s’agirait de suivre en temps réel l’avancement des chantiers prioritaires : délais de traitement, taux d’exécution, progrès budgétaires.  À l’image des Delivery Units britanniques ou malaisiennes, un tel outil permettrait à la fois le pilotage, la reddition et l’adhésion. Ce sont des unités de suivi du Premier ministre britannique (PMDU), qui ont accéléré 80% des réformes clés entre 2001-2010. L’enjeu n’est pas de surveiller, mais d’orchestrer.

Ensuite, la mise en place de contrats de performance pour les hauts fonctionnaires. Ces derniers incarnent la colonne vertébrale de l’administration : sans leur engagement mesurable, aucune réforme ne peut aboutir. Des objectifs chiffrés, assortis d’évaluations annuelles et de systèmes de bonus-malus, permettraient de créer un lien de responsabilité concret entre stratégie nationale et actions individuelles.

Enfin, la consolidation de l’instance de médiation, la rendant stratégique, indépendante, qui pourrait intervenir sur les dossiers bloqués. Non pas un énième conseil consultatif, mais un acteur doté d’un mandat clair : débloquer, accélérer et rendre des comptes.

Ces leviers ne sont pas des gadgets technocratiques. Ils constituent la condition même d’un passage de la vision à l’action. Car un État moderne ne se juge pas à la clarté de ses discours, mais à sa capacité à produire des résultats tangibles pour ses citoyens.

Ce que révèle aujourd’hui la scène marocaine, c’est une tension de fond entre une verticalité stratégique assumée, rare dans le monde, et un système d’exécution qui n’a pas encore intégré la logique de l’efficacité, de la traçabilité et de la responsabilité. Cette tension n’est pas insurmontable. Mais elle ne se réglera ni par la répétition des diagnostics, ni par l’accumulation des incantations réformatrices.

La lucidité royale a ouvert la voie. Le relais appartient désormais à l’écosystème étatique dans son ensemble : ministères, collectivités, agences, corps intermédiaires. Ce n’est pas le sommet qui manque à l’appel, mais trop souvent la chaîne d’interprétation et d’appropriation.

Nous vivons un moment charnière : celui où l’histoire nous demande non plus seulement de comprendre, mais de transformer. Cela suppose un effort collectif de maturité politique, de rigueur managériale et de courage institutionnel.

Sans quoi, le Maroc demeurera ce pays aux promesses formidables, mais au présent encore empêché.

Un pays dont les pièces du puzzle stratégique existent, il reste à les assembler.




Dimanche 10 Août 2025

Billet | Chroniqueurs invités | Experts invités | Quartier libre | Chroniques Vidéo | Replay vidéo & podcast outdoor | Podcast Agora


Bannière Réseaux Sociaux


Bannière Lodj DJ

Avertissement : Les textes publiés sous l’appellation « Quartier libre » ou « Chroniqueurs invités » ou “Coup de cœur” ou "Communiqué de presse" doivent être conformes à toutes les exigences mentionnées ci-dessous.

1-L’objectif de l’ODJ est de d’offrir un espace d’expression libre aux internautes en général et des confrères invités (avec leurs accords) sur des sujets de leur choix, pourvu que les textes présentés soient conformes à la charte de l’ODJ.

2-Cet espace est modéré  par les membres de la rédaction de lodj.ma, qui conjointement assureront la publication des tribunes et leur conformité à la charte de l’ODJ

3-L’ensemble des écrits publiés dans cette rubrique relève de l’entière responsabilité de leur(s) auteur(s).la rédaction de lodj.ma ne saurait être tenue responsable du contenu de ces tribunes.

4-Nous n’accepterons pas de publier des propos ayant un contenu diffamatoire, menaçant, abusif, obscène, ou tout autre contenu qui pourrait transgresser la loi.

5-Tout propos raciste, sexiste, ou portant atteinte à quelqu’un à cause de sa religion, son origine, son genre ou son orientation sexuelle ne sera pas retenu pour publication et sera refusé.

Toute forme de plagiat est également à proscrire.

 







LODJ24 TV
آخر الأخبار
جاري تحميل الأخبار...
BREAKING NEWS
📰 Chargement des actualités...

Inscription à la newsletter

Plus d'informations sur cette page : https://www.lodj.ma/CGU_a46.html

















Vos contributions
LODJ Vidéo