La réforme de l’enseignement supérieur a souvent été pensée comme un horizon sans cesse repoussé, un chantier dont les contours évoluent au gré des urgences économiques. Le projet de loi 59.24, adopté en Conseil de gouvernement, tente d’inscrire la transformation dans une ossature normative plus stable. Derrière la sobriété du libellé institutionnel affleure une ambition: réaligner l’université avec les besoins structurels de la montée en gamme économique et de la souveraineté cognitive. Former, oui, mais former utile, agile, responsable et inséré dans des chaînes de valeur émergentes.

Le texte veut renforcer le rôle fondamental de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique dans la réalisation des priorités de développement. Une formule dense qui renvoie à une mutation attendue: passer d’une logique cumulative de diplômés à une ingénierie stratégique des compétences. La notion de capital humain, souvent brandie, retrouve ici une consistance: elle ne se mesure plus seulement aux volumes de diplômés mais à la pertinence des profils vis-à-vis des transitions numérique, énergétique, agroalimentaire ou sanitaire. La création d’incitations pour l’interdisciplinarité et la valorisation des résultats de recherche est appelée à briser les silos qui freinent l’innovation.

La question sous-jacente demeure celle des instruments. Une loi peut-elle à elle seule impulser la modernisation? Elle prépare le terrain pour des mécanismes de gouvernance plus responsabilisants: contractualisation entre l’État et les établissements, indicateurs de performance académique et sociétale, soutenabilité budgétaire, ouverture à des partenariats industriels encadrés. L’enjeu n’est pas uniquement d’aligner des cursus sur des fiches métiers mouvantes, mais de développer des capacités d’adaptation cognitive. L’université devient alors un système nerveux qui capte les signaux faibles d’une économie mondialisée et les traduit en parcours pédagogiques flexibles.

La recherche scientifique, souvent confinée à des publications disséminées, est appelée à se structurer autour de pôles d’excellence connectés à l’écosystème productif. La valorisation, longtemps mot galvaudé, doit se matérialiser par des brevets, des prototypes, des transferts technologiques et des start-up incubées, tout en préservant l’indépendance méthodologique. La loi se veut fondation pour ce passage de la recherche contemplative à la recherche transformative.

Néanmoins, toute réforme sera jugée à l’épreuve de l’exécution: financement soutenable, formation continue des enseignants-chercheurs, gouvernance des établissements, équité territoriale. L’adoption du projet de loi 59.24 constitue un jalon, non l’achèvement. Elle installe un cadre qui, s’il est nourri par des politiques cohérentes de bourses, d’hébergement, de ressources numériques et d’internationalisation maîtrisée, peut repositionner l’université marocaine comme acteur stratégique. L’étincelle normative est allumée; reste à entretenir la flamme institutionnelle pour qu’elle éclaire durablement le développement.