Par Dr Anwar CHERKAOUI Médecin, expert en communication médicale et journalisme de santé
Le Professeur Benacer Benyahya, figure légendaire de la chirurgie vasculaire au Maroc, n’opérait jamais sans ses compagnons invisibles : Mozart, Beethoven, parfois même Chopin. Dans ce ballet chirurgical, le scalpel devenait baguette, et l’acte médical, une chorégraphie sensible. Loin des standards bruyants des hôpitaux, son bloc était un sanctuaire d’élégance et de concentration, où chaque note semblait dicter la prochaine incision.
je me souviens : « Nous étions jeunes, impressionnés, et pourtant la musique nous rassurait. Elle offrait à nos mains tremblantes un peu de grâce. » Le son du violon apaisait, le piano rythmait, et le cœur du patient suivait une partition subtile. La médecine devenait art, et la salle d’opération, un opéra miniature.
Quarante ans plus tard, la scène a changé. Le stéthoscope est toujours là, le bistouri aussi. Mais les notes ont pris une autre couleur. Dans certains blocs opératoires marocains, c’est désormais Hajib qui donne la cadence, Fatna Bent Lhoucine qui accompagne l’incision, et le bendir qui scande les gestes. Un autre monde sonore, une autre ambiance, mais le même objectif : soigner avec humanité.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la musique chaâbi n’est pas une distraction. Elle devient, dans les mains de ces chirurgiens contemporains, un outil presque thérapeutique. Elle rassemble l’équipe, détend l’atmosphère, rythme les séquences techniques. Elle insuffle un peu de familiarité dans un environnement souvent anxiogène.
Un chirurgien de Casablanca témoigne : « Quand retentit la voix de Naïma Samih, même les moments les plus critiques trouvent un équilibre. C’est comme si cette musique populaire portait quelque chose de profondément marocain, de profondément rassurant. » Et il ajoute, non sans humour : « Parfois, c’est Fatna qui m’aide à ne pas perdre le fil d’une artère capricieuse ! »
La science moderne valide d’ailleurs cette intuition ancienne : écouter de la musique pendant une intervention chirurgicale réduit le stress, améliore la concentration, et peut même abaisser la tension artérielle des praticiens. Des études internationales montrent que les équipes médicales travaillant avec une bande-son choisie ont un taux de complications inférieur, une meilleure communication, et une endurance accrue.
Mais au-delà des chiffres, il y a l’émotion. La musique crée un espace intime dans un lieu froid et technicisé. Elle réintroduit de l’humain dans un environnement dominé par la machine. Elle rappelle que derrière chaque blouse blanche, il y a un cœur qui bat au même rythme que le oud, un esprit qui cherche la précision dans la douceur d’une mélodie, et une main qui se veut moins tremblante quand elle vibre avec le rythme d’une chanson.
Dans un monde médical de plus en plus automatisé, où l’intelligence artificielle commence à guider certaines décisions, le retour à la musique est une forme de résistance douce. C’est un rappel discret mais puissant que soigner ne se résume pas à réparer, mais aussi à accompagner.
Faut-il alors hiérarchiser les musiques ? Opposer Mozart à Hajib ? Certainement pas. Car dans le regard d’un patient qui se réveille, sauvé, peu importe le nom du compositeur. Ce qui compte, c’est la qualité du geste, la concentration de l’équipe, la précision de l’incision… et l’amour du métier. La musique n’est ici qu’un support, une enveloppe, une lumière douce dans le tunnel du soin.
Certains blocs osent même des playlists éclectiques, passant de Vivaldi au malhoun, selon l’heure, l’humeur ou la pathologie. L’essentiel est ailleurs : créer une atmosphère propice à l’excellence, où le chirurgien n’est pas qu’un technicien, mais un artiste du vivant.
Un infirmier, témoin quotidien de ces transformations, résume ainsi la magie de ces ambiances : « On n’a jamais aussi bien opéré qu’en chantant doucement. Et les patients, même inconscients sous anesthésie, ressentent cette énergie. Ça se voit à leur réveil, à leur sourire. »
Si l’on devait résumer cette évolution en une seule image, ce serait celle d’un bistouri qui danse. Danse avec la peau, la chair, le muscle. Mais aussi avec les voix, les percussions, les refrains.
La médecine marocaine, portée par ses traditions et ouverte à l’innovation, s’autorise aujourd’hui à mêler le scalpel au bendir, le protocole à la culture, le sérieux à l’âme. Elle rappelle que dans les moments les plus graves, le soin ne doit pas être grave. Qu’un geste chirurgical peut être rigoureux et joyeux, précis et habité.
Et que parfois, il suffit d’un accord de oud, d’une montée en gamme de Bach ou d’un refrain de chaâbi bien lancé pour transformer l’angoisse en calme, la tension en inspiration.
Un dernier mot… en musique
Et surtout, au Professeur Benacer Benyahya, ce pionnier visionnaire qui, bien avant l’heure, avait compris que dans le silence des blocs, la musique ne fait pas que remplir l’espace. Elle donne du sens. Elle redonne souffle. Elle donne vie.












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