Une rencontre organisée par l'IRES, avec le concours de l'Association "One Health Maroc", a réuni les représentants des organisations internationales, notamment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et le Centre de surveillance et de contrôle des maladies de l’Union africaine (CDCAfrica), ceux des départements ministériels concernés ainsi qu’un panel de haut niveau comprenant des experts marocains et étrangers dans le domaine de la santé planétaire.

Elle a permis de mieux appréhender le concept "One Health", d’en mettre en exergue les enjeux actuels et futurs et de réfléchir aux perspectives de la mise en œuvre de cette approche au Maroc.

Selon le groupe consultatif conjoint constitué par la FAO, (OIE), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et l’OMS, le principe "One health" est une approche intégrée qui vise à équilibrer et à optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes, reconnaissant l’étroite interdépendance entre ces éléments.

La crise sanitaire a accéléré l’adoption de l’approche "One health" par de nombreux pays à travers le monde, étant donné que les maladies infectieuses qui ont atteint des proportions épidémiques au cours des quatre dernières décennies ont été majoritairement d’origine zoonotique.

En effet, sur les 1 407 agents pathogènes affectant l’humain, 58% sont des zoonoses, des maladies infectieuses qui se transmettent entre l’animal -sauvage ou domestique- et l’être humain. Ce sont souvent les pratiques humaines qui créent les conditions d’émergence et d’expansion de ces zoonoses.

Les perturbations de l’environnement et de l’interface humain-nature, accrues par l’explosion démographique et les déplacements de populations, multiplient les contacts entre la faune sauvage, la faune domestique et les êtres humains, facilitant ainsi la circulation de nombreux pathogènes.

Par ailleurs, le changement climatique et les augmentations, même légères, de la température atmosphérique moyenne engendrent des variations génétiques aléatoires, tandis que la surexploitation des ressources naturelles et ses conséquences néfastes sur la biodiversité représentent un accélérateur de la promiscuité entre la faune sauvage et l’homme.

Face à cela, "One Health" représente un changement de paradigme à opérer, car ce concept permet des approches unifiées de politique publique intégrant santé animale, humaine et environnementale. Pour ce faire, il repose sur des démarches 22 d’"intersectorialité" et de "transdisciplinarité" pour faire face aux menaces sanitaires communes telles que les maladies zoonotiques, la résistance aux antimicrobiens (RAM), la sécurité alimentaire, la santé animale, les maladies à transmission vectorielle et les événements météorologiques extrêmes, qui peuvent tous perturber les populations. 

Au Maroc, l’adoption du concept "One health" est encore limitée à un cercle restreint d’experts.

Son application est, aussi, à un stade de réflexion embryonnaire, promue par les organisations internationales représentées au Maroc, mais toujours absente des programmes nationaux comme ceux de la lutte contre les maladies zoonotiques et de la prévention contre les facteurs de risque des maladies non transmissibles. Les maladies zoonotiques les plus courantes au Maroc (rage, fièvre du West Nil, leishmaniose, kyste hydatique, ...) sont traitées par des commissions permanentes établies par circulaire.

Pendant la pandémie de la Covid-19, d’autres institutions de gestion de crise ont été réactivées à l’instar du Poste Central de Commandement, réunissant des représentants des départements ministériels de la Santé, de l’Agriculture, de l’Intérieur, du service de santé des Forces Armées Royales, de la Protection civile, du Haut-Commissariat aux Eaux et Forêts et de la Gendarmerie Royale.

Néanmoins, les stratégies sectorielles mises en œuvre ne font aucune référence à l’approche "One Health", à l’exception de la stratégie nationale de lutte contre la résistance aux antimicrobiens, récemment adoptée par les départements ministériels concernés et soutenue par la FAO, l'OMS, l’OIE et le PNUE.

Dans le domaine de la formation et de la recherche, les institutions nationales, qui représentent des pôles d’expertise importants sur les maladies infectieuses à potentiel épidémique, n’utilisent pas l’approche "One Health", qui n’est, par ailleurs, pas l’objet de recherches au sein des universités.

Or, la transversalité et la transdisciplinarité caractéristiques de cette approche innovante pourraient contribuer à remédier aux insuffisances et aux limites des approches et des méthodes traditionnelles pour endiguer les zoonoses endémiques.

Ces insuffisances découlent, notamment, de la faiblesse des mécanismes de coordination les départements concernés, du manque d’efficience du partage de l’information entre les différents opérateurs, d’une surveillance des maladies zoonotiques qui n’est pas effectuée en temps réel, de l’absence d’activités conjointes de formation et de renforcement des capacités ainsi que de l’absence d’inclusion des communautés locales dans le déploiement des programmes.

L’ensemble de ces causes soulignent aussi bien la nature multiple des moyens (ressources financières, institutions, infrastructures, …) à déployer, que la diversité des acteurs à mobiliser. 

Les liens entre santé animale, humaine et environnementale dans le contexte national génèrent des problématiques diverses et des enjeux d’importance à différents niveaux socio-économiques et sanitaires, dont des incidences sur la production agricole et l’industrie alimentaire, l’apparition de maladies émergentes, la résurgence de maladies négligées et le développement de la résistance aux antimicrobiens.

A ce titre, la démarche "One Health", si elle devait être adoptée au Maroc, serait un outil de politique publique contribuant à renforcer la résilience du Maroc à travers l’anticipation, la prévention et à répondre de manière adaptée à ces risques et menaces.

Pour y parvenir, son adoption devrait être inclusive et s’inscrire dans un cadre de responsabilité collective. Sa mise en œuvre permettrait d’assoir les mécanismes pour une planification conjointe entre les secteurs concernés et une approche programmatique plus intégrée, de renforcer l’interopérabilité entre les systèmes, de développer l’inclusivité, d’actualiser et de compléter les cadres législatifs et réglementaires.

A ce propos, le Maroc est un des rares pays en Afrique du Nord à disposer d’un plan stratégique de résistance aux antimicrobiens, mais l’absence d’un cadre légal incitatif limite son rayon d’action et son efficacité.

Par ailleurs, le concept "One Health" est un puissant levier de développement des collaborations scientifiques entre chercheurs de différentes disciplines. Il suggère un décloisonnement disciplinaire et la mise en place de passerelles entre les différentes formations (médecine vétérinaire, médecine humaine, santé publique, sciences agronomiques, sciences biologiques, sciences humaines et sociales, …).

Afin de favoriser l’adoption de l’approche "One Health", le Maroc devrait intégrer le concept "One Health" en tant qu'axe stratégique de la refonte du système de santé, en en faisant un levier de gouvernance innovant, le promouvoir et en favoriser l’appropriation collective par les professionnels et la société civile et, enfin, encourager une diplomatie du "One Health" et en faire un facteur d’attractivité du Maroc à l’international.