Par Abdeljelil Lahjomri – Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume
L’intention pédagogique est cependant louable et prometteuse. Je confie à ce même site une autre chronique intitulée « Chella : des anguilles et des hommes » qui peut paraître étrange aux lecteurs qui me font l’amitié de me lire, consacrée au bassin qui dans Chella protège ces « poissons », faisant un autre vœu : celui de voir ce minuscule « signe » archéologique inscrit au « Patrimoine des Mémoires du monde » de l’Unesco.
Il en est digne et Chella déjà inscrite dans le registre « Patrimoine universel de l’humanité » le mérite. Mais un détail m’a échappé, qui « fâche ». J’aime et suis soucieux du détail surtout quand il m’arrive d’écrire, (peut-être que c’est à cause de cela que j’écris peu), incapable d’oublier la remarque de mon professeur qui s’échinait à me conseiller, corrigeant mes copies flottantes, de chercher sans relâche le mot juste, unique et irremplaçable. Éprouvante entreprise. Et il surenchérissait : « dans le cas contraire n’écrivez pas et si vous écrivez sans parvenir à le trouver ne publiez pas ».
Le détail à Chella qui fâche concerne le texte de la plaque proche du bassin et les quelques lignes qui le présentent aux touristes pressés. Elle donne le ton de la visite mais en réalité elle la déforme. Il y est écrit : « Le bassin des anguilles, ancienne salle des ablutions de la mosquée de Abou Youssef. Après l’abandon du site ce bâtiment va être transformé en bassin abritant des poissons et des tortues ayant acquis une sacralité dans les légendes populaires en raison de leur proximité aux marabouts ». Cette plaque et son texte brouille l’histoire du lieu et par conséquent l’histoire de Chella. Que fait le visiteur : il s’arrête, il lit rapidement, photographie et repart : le texte ainsi gravé dans la mémoire de son appareil fera foi. Vont se propager dès lors dans les guides, les blogs et réseaux sociaux des contresens, un mélange d’hypothèses et de faits avérés et d’autres moins vérifiés.
A Chella ce bassin s’apparente comme révélateur à la biologie, à l’archéologie, à l’anthropologie et à l’histoire locale. A la lecture du cartel de Chella on peine à distinguer de ce qui provient de la croyance locale, de l’usage ou de la connaissances scientifique.
C’est bien dommage mais c’est surtout bien injuste pour Chella. Que disent les standards professionnels comme la Charte ICOMOS pour l’interprétation et la présentation des sites du patrimoine. Ils exigent une information juste, exacte, contextualisée et qui évite toute interprétation fausse parce que les textes déficients peuvent nuire à l’authenticité des lieux.
Que dit de plus l’ICOM (institut international des musées). Il va dans le même sens et insiste pour que l’information présentée dans les expositions et dispositifs publics soient fondées en tenant compte des communautés et des croyances représentés. L’Unesco qui octroie les labels convoités, parce que la connaissance évolue, recommande de réviser périodiquement tout texte et toute information concernant la signalétique patrimoniale parce que le site est vivant et la mise à jour devrait être perpétuelle.
Qu’est-ce qui « fâche » dans ce cartel ? En premier lieu l’effacement mémoriel du lieu, la dimension vivante populaire. Je ne sais si les archéologues sont unanimes sur la fonction initiale du bassin, les traces matérielles ne me semblant pas confirmer de façon catégorique que ce bassin faisait partie initialement d’une salle des ablutions de la mosquée de Abou Youssef.
Deuxièmement l’expression « a été transformée » suggère qu’un jour une autorité, impossible aujourd’hui de l’identifier avec certitude, a décidé avec une intention claire de convertir cet ancien bassin en un vivier à poissons.
Écrire « transformée » donne l’impression d’un acte volontaire et surtout DATABLE. Je suis plutôt convaincu qu’après l’abandon il s’est plutôt agi d’une réappropriation progressive et chaotique par des populations autochtones et que ce lieu a continué à accueillir l’eau, et la vie aquatique qui s’y déversait depuis bien avant les Mérinides. De tout temps les anguilles parvenaient à la source naturellement depuis l’Oued Bouregreg.
Cette source s’appelle AIN JENNA, « Source du Paradis ». Pourquoi ? (Cela mériterait une autre chronique). La plaque laisse entendre qu’il y a eu une manipulation humaine alors que c’est bien probablement la nature qui a peuplé le bassin. De plus en fait de sacralité des anguilles à cause de la proximité des saints, la plaque laisse entendre qu’il s’agit d’une superstition tardive alors que les anguilles de Chella s’inscrivent dans un imaginaire plus ancien où le lien entre poisson, fécondité et sacré est attesté dans plusieurs traditions et cultures du monde. Le texte offert aux selfies des visiteurs réduit ce lieu de mémoire en une simple distraction exotique.
D’aucuns pourront me trouver quelque peu présomptueux et revendiqueront à juste titre quel texte je pourrais proposer pour atténuer toute irritation.
Me soumettant volontiers à l’exercice je proposerai le texte suivant : « Ce bassin, d’époque Mérinides, appartenait probablement au complexe hydraulique de la mosquée voisine et aurait pu servir aux ablutions. Après l’abandon du site, il a continué d’accueillir l’eau et la vie : anguilles et tortues s’y sont installées naturellement.
Peu à peu, ce bassin est devenu lieu de légendes. Les anguilles, associées à la fécondité et à la prospérité ont été entourées d’un respect particulier, renforcé par la présence des marabouts voisins. Elles ont fait de ce bassin plus qu’un élément architectural, un espace de croyances populaires, un lieu des mémoires du monde ».
Mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui pourraient s’avérer plus judicieux et plus convaincants. Parce que notre histoire s’écrit dans les livres mais aussi dans les pierres, je crains que d’autres plaques, n’aient eu le même sort et que notre histoire ne s’écrive sur des présentoirs imprécis, brouillés et tronqués.
Pourquoi maintenant ? Parce que la recherche avance et que le MONDIAL de 2030 approche à grande vitesse et qu’un afflux considérable de visiteurs envahira les stades mais aussi les sites archéologiques à dominance touristiques, comme Chella. Il est temps de faire un AUDIT ÉDITORIAL des plaques et notices de tous les lieux historiques, petits et grands du ROYAUME. Et que cette mise à niveau soit régulière. Et ce dans toutes les langues (Arabe, Amazigh, Français, Anglais et Espagnol et Portugais si nécessaire).
Qui s’en occuperait : un comité de salut historique et patrimonial pour mettre en œuvre une signalétique avec des textes précis, sourcés et datés. Parce que nous n’allons rien inventer, nous allons simplement nous conformer aux règles et standards de déontologie internationalement reconnus, ceux de l’ICOMOS et de l’ICOM déjà cités, ceux de l’UNESCO. Nous ne brouillerons plus notre histoire et serons en paix avec notre mémoire. Peut-être me suis-je cru un moment lanceur d’alerte ? Le lecteur me le pardonnera mais l’imprécision dans l’histoire surtout écrite sur les pierres c’est meurtrir notre identité pour ne pas dire l’offenser pour l’éternité.
Scripta manent. Verba Volent. Les écrits restent. Les paroles s’envolent.












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