Je ne suis pas un écrivain : « Je ne fais pas de littérature, je fais des livres. Des petits livres.
Adnane Benchakroun n’aime pas qu’on l’appelle « écrivain ». Il corrige aussitôt, d’un sourire qui désamorce toute solennité : « Je ne fais pas de littérature, je fais des livres. Des petits livres. » L’expression est à son image : modeste, presque ironique, mais profondément sincère. Depuis des années, il aligne les volumes comme d’autres accumulent des carnets de route. Déjà une cinquantaine, disponibles en téléchargement libre sur le web, comme autant de bouteilles lancées à la mer numérique.
Ce qui l’anime n’est ni la gloire littéraire, ni la reconnaissance institutionnelle, encore moins l’illusion commerciale. Son seul objectif, répète-t-il, est le partage. Partager une réflexion, une inquiétude, une curiosité. Partager aussi des fragments de mémoire, des bribes de vécu, ou encore une colère lucide face à ce monde qui tourne trop vite. Dans ses « petits livres », on trouve des essais courts, des méditations philosophiques, des récits fragmentés. Tous tracent une même trajectoire : celle d’un homme qui écrit pour relier, et non pour s’imposer.
À l’heure où l’édition se crispe sur ses modèles économiques et où les réseaux sociaux avalent la patience des lecteurs, le geste d’Adnane Benchakroun prend une valeur rare : écrire comme on tend la main. Sans condition. Sans mot de passe. Sans tarif. Une invitation ouverte, que chacun peut accepter ou ignorer.
C’est dans cet esprit et avec beaucoup de difficulté qu’il a accepté de répondre à nos questions sur un thème central : la vérité en littérature. Doit-on dire quelque chose de vrai quand on écrit ? Peut-on mentir pour mieux révéler ? Comment se situer entre mémoire et oubli, entre engagement et neutralité, entre parole et censure ?
Avant de commencer, il a tenu à preciser :
Ce qui l’anime n’est ni la gloire littéraire, ni la reconnaissance institutionnelle, encore moins l’illusion commerciale. Son seul objectif, répète-t-il, est le partage. Partager une réflexion, une inquiétude, une curiosité. Partager aussi des fragments de mémoire, des bribes de vécu, ou encore une colère lucide face à ce monde qui tourne trop vite. Dans ses « petits livres », on trouve des essais courts, des méditations philosophiques, des récits fragmentés. Tous tracent une même trajectoire : celle d’un homme qui écrit pour relier, et non pour s’imposer.
À l’heure où l’édition se crispe sur ses modèles économiques et où les réseaux sociaux avalent la patience des lecteurs, le geste d’Adnane Benchakroun prend une valeur rare : écrire comme on tend la main. Sans condition. Sans mot de passe. Sans tarif. Une invitation ouverte, que chacun peut accepter ou ignorer.
C’est dans cet esprit et avec beaucoup de difficulté qu’il a accepté de répondre à nos questions sur un thème central : la vérité en littérature. Doit-on dire quelque chose de vrai quand on écrit ? Peut-on mentir pour mieux révéler ? Comment se situer entre mémoire et oubli, entre engagement et neutralité, entre parole et censure ?
Avant de commencer, il a tenu à preciser :
Je ne suis qu'un voisin et je ne suis pas assez légitime pour répondre à cette question existentielle en littérature. Mais je joue le jeu pour vous faire plaisir, par curiosité intellectuelle et pour relever un défi personnel. Suis-je capable de répondre à cette grande question ? Go pour le challenge avec mes excuses d'avance!
Adnane Benchakroun
Peut-on mentir en écrivant ?
Depuis toujours, la littérature joue avec la frontière entre vérité et mensonge. Les contes populaires marocains, transmis par les halqa de la place Jamaâ El-Fna, regorgent de fabulations. Les romanciers modernes, de Paul Auster à Mohamed Choukri, ont revendiqué le droit au mensonge comme stratégie littéraire. Mais quand un écrivain marocain contemporain est interrogé sur le mensonge, la question prend un relief particulier : peut-on inventer des vies, des douleurs, dans un pays où la réalité est parfois plus incroyable que la fiction ?
Réponse : « Mentir en écrivant n’est pas trahir, c’est travailler une matière invisible. Le mensonge littéraire n’est pas celui de la politique ou de la publicité, qui cherchent à manipuler. Le nôtre est une invention qui vise à révéler. Lorsque je crée un personnage qui n’a jamais mis les pieds dans un douar du Souss, mais qui pleure la sécheresse comme si sa propre mère se desséchait, je mens. Mais dans ce mensonge, j’essaie de transmettre une douleur collective qui, elle, est bien réelle.
D’ailleurs, la culture marocaine valorise le récit enjolivé. Dans les cafés populaires, l’histoire d’un simple accident devient une épopée ; un voisin exagère ses malheurs pour susciter la compassion. Nous grandissons dans ce bain où la parole est déjà une fiction. Écrire, c’est prolonger cette tradition, mais avec une conscience esthétique.
Peut-on mentir sur soi ? Bien sûr. Quand j’écris un narrateur qui dit : “J’ai grandi sans amour”, est-ce vrai ou faux ? Peut-être que dans ma vie, j’ai connu l’amour. Mais ce narrateur porte une vérité émotionnelle, celle de milliers de lecteurs qui se reconnaîtront. Ce mensonge devient donc un miroir.
En revanche, il y a un mensonge qui me paraît dangereux : celui qui flatte le systéme social en place ou qui efface les injustices. Là, l’écrivain devient complice. Un roman qui ferait croire que le Maroc est un pays sans pauvreté, sans contradictions, serait un faux mensonge : il ne fabriquerait aucune vérité.
Alors oui, on ment en écrivant. Mais c’est un mensonge de magicien : une illusion destinée à mieux voir la réalité, à la rendre plus palpable. Comme dans un conte des Mille et Une Nuits, on invente pour survivre et pour dire ce que le réel, trop cru, refuse parfois de laisser passer. »
Réponse : « Mentir en écrivant n’est pas trahir, c’est travailler une matière invisible. Le mensonge littéraire n’est pas celui de la politique ou de la publicité, qui cherchent à manipuler. Le nôtre est une invention qui vise à révéler. Lorsque je crée un personnage qui n’a jamais mis les pieds dans un douar du Souss, mais qui pleure la sécheresse comme si sa propre mère se desséchait, je mens. Mais dans ce mensonge, j’essaie de transmettre une douleur collective qui, elle, est bien réelle.
D’ailleurs, la culture marocaine valorise le récit enjolivé. Dans les cafés populaires, l’histoire d’un simple accident devient une épopée ; un voisin exagère ses malheurs pour susciter la compassion. Nous grandissons dans ce bain où la parole est déjà une fiction. Écrire, c’est prolonger cette tradition, mais avec une conscience esthétique.
Peut-on mentir sur soi ? Bien sûr. Quand j’écris un narrateur qui dit : “J’ai grandi sans amour”, est-ce vrai ou faux ? Peut-être que dans ma vie, j’ai connu l’amour. Mais ce narrateur porte une vérité émotionnelle, celle de milliers de lecteurs qui se reconnaîtront. Ce mensonge devient donc un miroir.
En revanche, il y a un mensonge qui me paraît dangereux : celui qui flatte le systéme social en place ou qui efface les injustices. Là, l’écrivain devient complice. Un roman qui ferait croire que le Maroc est un pays sans pauvreté, sans contradictions, serait un faux mensonge : il ne fabriquerait aucune vérité.
Alors oui, on ment en écrivant. Mais c’est un mensonge de magicien : une illusion destinée à mieux voir la réalité, à la rendre plus palpable. Comme dans un conte des Mille et Une Nuits, on invente pour survivre et pour dire ce que le réel, trop cru, refuse parfois de laisser passer. »
Le Maroc influence-t-il votre manière de chercher la vérité ?
Le Maroc est un pays pluriel, traversé par ses langues (arabe, amazigh, français, espagnol), ses territoires (littoraux, montagnes, déserts), ses traditions et ses ruptures modernes. Cette complexité se reflète forcément dans la littérature. Pour un écrivain marocain, chercher la vérité, ce n’est pas seulement raconter une histoire : c’est composer avec une mosaïque identitaire.
Réponse : « Le Maroc influence ma quête de vérité à chaque ligne. C’est un pays où la réalité est toujours multiple, où la vérité d’un quartier de Casablanca n’est pas celle d’un village du Rif. Nous vivons dans une mosaïque comparable au zellige : chaque carreau est une histoire, une mémoire, un langage. Écrire, c’est accepter que le tableau ne sera jamais unifié, mais toujours fragmentaire.
Prenons la langue : quand j’écris en français, je ne dis pas les choses de la même façon qu’en arabe ou en amazigh. L'arabe porte des images plus vraies, la poésie amazighe est saturée de symboles de la nature, le français m’offre une précision analytique. La vérité que je cherche dépend de cette langue. Chaque fois que je choisis un mot, je laisse un autre derrière moi, et cette perte fait partie de la vérité marocaine.
Il y a aussi la géographie. Un écrivain de Rabat ne parle pas comme un écrivain de Laâyoune. Les montagnes de l’Atlas m’ont appris que la vérité peut se cacher dans le silence des paysages, alors que la Médina de Fès m’a montré que chaque ruelle est un récit bavard.
Enfin, il y a l’histoire. Nous vivons dans un pays marqué par les archives manquantes, les récits officiels qui contredisent les mémoires populaires. En tant qu’écrivain, je n’ai pas le luxe de choisir une seule version. Je dois juxtaposer, montrer les fissures, restituer le doute.
Chercher la vérité au Maroc, c’est comme marcher dans un souk : les voix s’entremêlent, les couleurs s’entrechoquent, les odeurs se mélangent. La vérité, c’est ce chaos organisé. J’essaie de l’écrire sans la simplifier. »
Réponse : « Le Maroc influence ma quête de vérité à chaque ligne. C’est un pays où la réalité est toujours multiple, où la vérité d’un quartier de Casablanca n’est pas celle d’un village du Rif. Nous vivons dans une mosaïque comparable au zellige : chaque carreau est une histoire, une mémoire, un langage. Écrire, c’est accepter que le tableau ne sera jamais unifié, mais toujours fragmentaire.
Prenons la langue : quand j’écris en français, je ne dis pas les choses de la même façon qu’en arabe ou en amazigh. L'arabe porte des images plus vraies, la poésie amazighe est saturée de symboles de la nature, le français m’offre une précision analytique. La vérité que je cherche dépend de cette langue. Chaque fois que je choisis un mot, je laisse un autre derrière moi, et cette perte fait partie de la vérité marocaine.
Il y a aussi la géographie. Un écrivain de Rabat ne parle pas comme un écrivain de Laâyoune. Les montagnes de l’Atlas m’ont appris que la vérité peut se cacher dans le silence des paysages, alors que la Médina de Fès m’a montré que chaque ruelle est un récit bavard.
Enfin, il y a l’histoire. Nous vivons dans un pays marqué par les archives manquantes, les récits officiels qui contredisent les mémoires populaires. En tant qu’écrivain, je n’ai pas le luxe de choisir une seule version. Je dois juxtaposer, montrer les fissures, restituer le doute.
Chercher la vérité au Maroc, c’est comme marcher dans un souk : les voix s’entremêlent, les couleurs s’entrechoquent, les odeurs se mélangent. La vérité, c’est ce chaos organisé. J’essaie de l’écrire sans la simplifier. »
La censure façonne-t-elle ce que vous écrivez ?
Dans le Maroc moderne, la censure n’est plus aussi brutale que durant les années 70. Elle n’est pas absente pour autant : elle s’insinue dans les interdits implicites, les tabous religieux, les sensibilités politiques, les pressions sociales. Les écrivains doivent composer avec ces contraintes. Mais parfois, la censure devient paradoxalement un moteur de créativité.
Réponse : « La censure est une ombre permanente. Elle n’est pas toujours visible, mais elle plane. Je sais qu’en écrivant sur certains sujets – la sexualité, la religion, ... – je m’aventure sur un terrain glissant. Pourtant, cette ombre ne m’empêche pas d’écrire. Elle m’oblige à inventer.
Regardez la poésie soufie : elle parle de l’ivresse de l’amour divin avec les images du vin et du désir charnel. Était-ce une ruse pour contourner la censure religieuse, ou une simple esthétique ? Peu importe. Cette ambiguïté nous inspire encore.
Dans mes textes, je choisis parfois la métaphore pour dire l’indicible. Au lieu de parler d’un prisonnier politique, on peut raconter l’histoire d’un oiseau enfermé dans une cage d’or. Au lieu de nommer la corruption, je décris une pluie qui ne mouille que les puissants. Le lecteur comprend. Cette langue codée est notre héritage.
Paradoxalement, la censure nourrit notre imagination. Elle nous force à inventer des chemins obliques. Quand on ne peut pas dire frontalement, on crée une image, une parabole, un silence. Ce silence, parfois, est plus éloquent qu’un discours direct.
Mais je refuse de glorifier la censure. Elle reste une entrave, une violence faite à la parole. Elle prive des générations d’écrivains de la possibilité d’explorer certaines vérités. J’espère qu’un jour, nos jeunes auteurs pourront écrire sans cette ombre mais en responsabilité.
En attendant, nous transformons la contrainte en matière poétique. Et peut-être est-ce là une des forces de la littérature marocaine : une écriture à la fois courageuse et rusée, consciente du danger mais déterminée à dire malgré tout.
Réponse : « La censure est une ombre permanente. Elle n’est pas toujours visible, mais elle plane. Je sais qu’en écrivant sur certains sujets – la sexualité, la religion, ... – je m’aventure sur un terrain glissant. Pourtant, cette ombre ne m’empêche pas d’écrire. Elle m’oblige à inventer.
Regardez la poésie soufie : elle parle de l’ivresse de l’amour divin avec les images du vin et du désir charnel. Était-ce une ruse pour contourner la censure religieuse, ou une simple esthétique ? Peu importe. Cette ambiguïté nous inspire encore.
Dans mes textes, je choisis parfois la métaphore pour dire l’indicible. Au lieu de parler d’un prisonnier politique, on peut raconter l’histoire d’un oiseau enfermé dans une cage d’or. Au lieu de nommer la corruption, je décris une pluie qui ne mouille que les puissants. Le lecteur comprend. Cette langue codée est notre héritage.
Paradoxalement, la censure nourrit notre imagination. Elle nous force à inventer des chemins obliques. Quand on ne peut pas dire frontalement, on crée une image, une parabole, un silence. Ce silence, parfois, est plus éloquent qu’un discours direct.
Mais je refuse de glorifier la censure. Elle reste une entrave, une violence faite à la parole. Elle prive des générations d’écrivains de la possibilité d’explorer certaines vérités. J’espère qu’un jour, nos jeunes auteurs pourront écrire sans cette ombre mais en responsabilité.
En attendant, nous transformons la contrainte en matière poétique. Et peut-être est-ce là une des forces de la littérature marocaine : une écriture à la fois courageuse et rusée, consciente du danger mais déterminée à dire malgré tout.
Quel rapport entre vérité et mémoire ?
Au Maroc, la mémoire collective est traversée par des fractures : les années avant et pendant le protectorat, les premières années de l'indépendance, les années 70-80, ...., aujourd'hui , les migrations, l’exil, la mémoire coloniale, la transmission orale. Entre silence et parole, l’écrivain est souvent convoqué comme gardien ou comme perturbateur de mémoire.
Réponse : « Mémoire et vérité sont inséparables, mais jamais identiques. La mémoire est subjective, fragmentaire, parfois blessée. La vérité, elle, prétend à l’universalité. Quand un écrivain visite les années 1980, ce qu'il restitue n’est pas “la vérité historique”, mais une mémoire vécue, subjective et partiale. Pourtant, cette mémoire dit quelque chose de vrai : l’angoisse, le manque de liberté, la pauvreté dans les quartiers périphériques.
Dans nos familles, beaucoup de choses se transmettent par le silence. Mon grand-père n’a jamais parlé des colons français qu’il avait côtoyés. Mon père évoquait rarement les années 70. Ces silences, je les porte dans ma langue. Écrire devient alors un geste de réparation. J’essaie de recoudre, de donner voix à ce qui fut tu.
Mais la mémoire peut aussi trahir. Elle reconstruit, elle enjolive. La littérature doit assumer cette trahison. Ce n’est pas grave si le souvenir est inexact : l’important est de rendre perceptible la charge émotionnelle.
Le Maroc vit encore dans une tension entre mémoire officielle et mémoire populaire. L’écrivain, lui, doit oser la polyphonie : "faire coexister plusieurs mémoires, même contradictoires. Peut-être que la vérité, justement, se trouve dans cette pluralité"
Réponse : « Mémoire et vérité sont inséparables, mais jamais identiques. La mémoire est subjective, fragmentaire, parfois blessée. La vérité, elle, prétend à l’universalité. Quand un écrivain visite les années 1980, ce qu'il restitue n’est pas “la vérité historique”, mais une mémoire vécue, subjective et partiale. Pourtant, cette mémoire dit quelque chose de vrai : l’angoisse, le manque de liberté, la pauvreté dans les quartiers périphériques.
Dans nos familles, beaucoup de choses se transmettent par le silence. Mon grand-père n’a jamais parlé des colons français qu’il avait côtoyés. Mon père évoquait rarement les années 70. Ces silences, je les porte dans ma langue. Écrire devient alors un geste de réparation. J’essaie de recoudre, de donner voix à ce qui fut tu.
Mais la mémoire peut aussi trahir. Elle reconstruit, elle enjolive. La littérature doit assumer cette trahison. Ce n’est pas grave si le souvenir est inexact : l’important est de rendre perceptible la charge émotionnelle.
Le Maroc vit encore dans une tension entre mémoire officielle et mémoire populaire. L’écrivain, lui, doit oser la polyphonie : "faire coexister plusieurs mémoires, même contradictoires. Peut-être que la vérité, justement, se trouve dans cette pluralité"
Le roman a-t-il plus de liberté que l’essai pour dire le vrai ?
L’essai cherche la rigueur, la démonstration. Le roman se permet le détour, la fiction, l’ambiguïté. Mais dans un contexte marocain, où certains sujets sont sensibles, le roman peut parfois dire ce que l’essai n’oserait pas.
Réponse : « Le roman est un espace de liberté incomparable. L’essai, avec ses notes de bas de page et ses arguments, doit convaincre. Le roman, lui, séduit, émeut, détourne. C’est pourquoi, dans nos sociétés, il peut parfois dire plus vrai que l’essai.
Par exemple, écrire un essai sur la corruption demanderait des preuves, des chiffres. Mais un roman peut créer un personnage de fonctionnaire qui détourne des fonds. Ce personnage est inventé, mais le lecteur sait que c’est vrai, parce que c’est plausible.
Le roman a aussi l’avantage de la complexité. Là où l’essai cherche la thèse, le roman accepte la contradiction. Il peut montrer un agent administratif corrompu mais aussi tendre, un ministre cynique mais aussi fragile. Cette nuance est plus proche de la vérité humaine.
Au Maroc, beaucoup d’écrivains ont utilisé la fiction comme bouclier. Elle permet d’aborder l’exil, la misère, l’interdit religieux, sans être directement accusé. La fiction devient alors un refuge, mais aussi un couteau.
Réponse : « Le roman est un espace de liberté incomparable. L’essai, avec ses notes de bas de page et ses arguments, doit convaincre. Le roman, lui, séduit, émeut, détourne. C’est pourquoi, dans nos sociétés, il peut parfois dire plus vrai que l’essai.
Par exemple, écrire un essai sur la corruption demanderait des preuves, des chiffres. Mais un roman peut créer un personnage de fonctionnaire qui détourne des fonds. Ce personnage est inventé, mais le lecteur sait que c’est vrai, parce que c’est plausible.
Le roman a aussi l’avantage de la complexité. Là où l’essai cherche la thèse, le roman accepte la contradiction. Il peut montrer un agent administratif corrompu mais aussi tendre, un ministre cynique mais aussi fragile. Cette nuance est plus proche de la vérité humaine.
Au Maroc, beaucoup d’écrivains ont utilisé la fiction comme bouclier. Elle permet d’aborder l’exil, la misère, l’interdit religieux, sans être directement accusé. La fiction devient alors un refuge, mais aussi un couteau.
Écrire sur la politique marocaine, est-ce trahir ou libérer ?
La politique est omniprésente au Maroc, mais longtemps, la littérature s’en est tenue à distance par prudence ou par esthétisme. Pourtant, certains écrivains choisissent de mettre en scène la corruption, les inégalités ou la domination du pouvoir. La question se pose : est-ce un acte de trahison envers le pays, ou une libération pour les lecteurs ?
Réponse : « Écrire sur la politique marocaine, c’est toujours risqué. On me demande parfois : “Pourquoi salir l’image du pays ?” Mais dire la vérité politique, ce n’est pas salir, c’est rendre service. L’écrivain ne travaille pas pour l’État, ni contre lui. Il travaille pour la mémoire, pour la conscience.
Bien sûr, il y a un risque : on peut être accusé de trahison, d’anti-marocanisme. Pourtant, ignorer la politique, ce serait pire. Car la politique façonne nos vies quotidiennes : le prix du pain, l’école de nos enfants, la liberté de circuler. Refuser d’en parler reviendrait à écrire une littérature déconnectée.
J’essaie humblement de rester juste et jamais nihiliste : critiquer sans haine, apporter la contradiction utile, observer sans flatterie. La littérature n’est pas un programme électoral. Elle peut libérer une parole, ouvrir un espace de débat. Peut-être que le rôle de l’écrivain est moins de trahir que de mettre un miroir devant la société, même si ce miroir dérange.
Mais il faut aussi rester honnête intellectuellement parlant, la Maroc a changé. Le Maroc d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier. Ces 25 dernières années, il s'est métamorphosé à grande vitesse dans le bon sens, on respire mieux au Royaune, tout n'est pas rose, mais on est loin du gris et du noir.
Réponse : « Écrire sur la politique marocaine, c’est toujours risqué. On me demande parfois : “Pourquoi salir l’image du pays ?” Mais dire la vérité politique, ce n’est pas salir, c’est rendre service. L’écrivain ne travaille pas pour l’État, ni contre lui. Il travaille pour la mémoire, pour la conscience.
Bien sûr, il y a un risque : on peut être accusé de trahison, d’anti-marocanisme. Pourtant, ignorer la politique, ce serait pire. Car la politique façonne nos vies quotidiennes : le prix du pain, l’école de nos enfants, la liberté de circuler. Refuser d’en parler reviendrait à écrire une littérature déconnectée.
J’essaie humblement de rester juste et jamais nihiliste : critiquer sans haine, apporter la contradiction utile, observer sans flatterie. La littérature n’est pas un programme électoral. Elle peut libérer une parole, ouvrir un espace de débat. Peut-être que le rôle de l’écrivain est moins de trahir que de mettre un miroir devant la société, même si ce miroir dérange.
Mais il faut aussi rester honnête intellectuellement parlant, la Maroc a changé. Le Maroc d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier. Ces 25 dernières années, il s'est métamorphosé à grande vitesse dans le bon sens, on respire mieux au Royaune, tout n'est pas rose, mais on est loin du gris et du noir.
Les réseaux sociaux ont-ils changé la vérité littéraire ?
Les réseaux sociaux bouleversent la manière dont les lecteurs consomment des récits. Le temps est réduit, l’attention fragmentée, la vérité malmenée par les fake news. Comment la littérature se positionne-t-elle dans cet écosystème où tout le monde “écrit” et “publie” ?
Réponse : « Oui, les réseaux sociaux ont changé le rapport au texte. Ils favorisent la rapidité, le slogan, l’émotion instantanée. Le roman, lui, demande lenteur, patience, immersion. Nous écrivons à contre-courant d’un monde pressé.
Mais je ne crois pas que la littérature soit condamnée. Au contraire, plus les réseaux simplifient, plus la littérature doit complexifier. Les lecteurs qui viennent vers un roman cherchent une profondeur que Twitter ou TikTok ne donnent pas.
Cela dit, les réseaux influencent notre style. J’ai remarqué que certains écrivains, par exemple, écrivent des phrases plus courtes, plus directes, comme des posts. Peut-être que nous devons composer avec ça : intégrer le rythme du numérique sans sacrifier la densité.
Quant à la vérité, les réseaux la malmènent par la prolifération de rumeurs. La littérature doit résister : proposer une vérité plus lente, plus durable, plus incarnée.
Réponse : « Oui, les réseaux sociaux ont changé le rapport au texte. Ils favorisent la rapidité, le slogan, l’émotion instantanée. Le roman, lui, demande lenteur, patience, immersion. Nous écrivons à contre-courant d’un monde pressé.
Mais je ne crois pas que la littérature soit condamnée. Au contraire, plus les réseaux simplifient, plus la littérature doit complexifier. Les lecteurs qui viennent vers un roman cherchent une profondeur que Twitter ou TikTok ne donnent pas.
Cela dit, les réseaux influencent notre style. J’ai remarqué que certains écrivains, par exemple, écrivent des phrases plus courtes, plus directes, comme des posts. Peut-être que nous devons composer avec ça : intégrer le rythme du numérique sans sacrifier la densité.
Quant à la vérité, les réseaux la malmènent par la prolifération de rumeurs. La littérature doit résister : proposer une vérité plus lente, plus durable, plus incarnée.
Peut-on être écrivain et rester neutre ?
La neutralité en littérature est une vieille illusion. Sartre affirmait déjà que “tout écrivain est en situation dans son époque”. Au Maroc, cette question prend une dimension aiguë : écrire, c’est choisir entre prendre position ou se taire.
Réponse : « Rester neutre est impossible. Même choisir de ne pas écrire sur un sujet brûlant, c’est prendre position. Quand une femme est humiliée dans la rue et que je décide de ne pas en parler dans mes livres, je cautionne par mon silence.
Certains écrivains revendiquent la neutralité esthétique : écrire pour la beauté du style, sans message. C’est respectable, mais même ce choix est politique. Dans un pays où certaines voix sont ignorées, écrire un roman “purement esthétique” est déjà un privilège.
Pour ma part, je préfère assumer que mes textes prennent parti : pour les marginaux, pour les oubliés, pour les voix qui dérangent. Pas au sens militant, mais au sens humain.
L’écrivain est une conscience, pas un juge. Mais une conscience qui se tait cesse d’être écrivain.Et je vous rappelle que je ne suis pas écrivain mais que j'écris simplement des petit livres.
Réponse : « Rester neutre est impossible. Même choisir de ne pas écrire sur un sujet brûlant, c’est prendre position. Quand une femme est humiliée dans la rue et que je décide de ne pas en parler dans mes livres, je cautionne par mon silence.
Certains écrivains revendiquent la neutralité esthétique : écrire pour la beauté du style, sans message. C’est respectable, mais même ce choix est politique. Dans un pays où certaines voix sont ignorées, écrire un roman “purement esthétique” est déjà un privilège.
Pour ma part, je préfère assumer que mes textes prennent parti : pour les marginaux, pour les oubliés, pour les voix qui dérangent. Pas au sens militant, mais au sens humain.
L’écrivain est une conscience, pas un juge. Mais une conscience qui se tait cesse d’être écrivain.Et je vous rappelle que je ne suis pas écrivain mais que j'écris simplement des petit livres.
Si vous deviez définir votre vérité d’écrivain en une phrase ?
L’entretien touche à sa fin. La question est volontairement brutale : comment condenser toute une philosophie littéraire en une phrase ?
Réponse : « La vérité pour un vrai écrivain, je la définirais ainsi : écrire, c’est graver une empreinte fragile mais honnête dans le sable mouvant de notre époque.
Pourquoi fragile ? Parce qu’un livre peut être oublié, censuré, détruit. Rien n’est garanti. Mais cette fragilité n’est pas une faiblesse : elle rappelle que l’écriture est un geste humble, qui accepte de disparaître.
Pourquoi honnête ? Parce que même quand il invente, il dois être sincère. S'il crée un personnage qui souffre, il dois souffrir un peu avec lui. S'il décris un paysage, il dois sentir la lumière qui s’y dépose.
Pourquoi sable mouvant ? Parce que notre monde change à une vitesse folle : numérique, politique, climatique. L’écrivain n’écrit pas dans le marbre, il écrit dans une matière instable. Mais parfois, une phrase, une image, résiste. Elle devient un repère.
Voilà, ma vérité est modeste. Je ne prétends pas sauver le monde, mais offrir quelques balises dans la tempête.
Réponse : « La vérité pour un vrai écrivain, je la définirais ainsi : écrire, c’est graver une empreinte fragile mais honnête dans le sable mouvant de notre époque.
Pourquoi fragile ? Parce qu’un livre peut être oublié, censuré, détruit. Rien n’est garanti. Mais cette fragilité n’est pas une faiblesse : elle rappelle que l’écriture est un geste humble, qui accepte de disparaître.
Pourquoi honnête ? Parce que même quand il invente, il dois être sincère. S'il crée un personnage qui souffre, il dois souffrir un peu avec lui. S'il décris un paysage, il dois sentir la lumière qui s’y dépose.
Pourquoi sable mouvant ? Parce que notre monde change à une vitesse folle : numérique, politique, climatique. L’écrivain n’écrit pas dans le marbre, il écrit dans une matière instable. Mais parfois, une phrase, une image, résiste. Elle devient un repère.
Voilà, ma vérité est modeste. Je ne prétends pas sauver le monde, mais offrir quelques balises dans la tempête.
Un dernier mot de la rédaction de L'ODJ Média
Quand on referme cet échange avec Adnane Benchakroun, on comprend mieux sa réticence à se dire « écrivain ». Ce qu’il fait va à rebours des vanités littéraires : pas de quête de prix, pas de posture d’oracle, pas de désir d’appartenir à un cénacle. Il écrit comme d’autres respirent, pour habiter le monde un peu plus lucidement, et surtout pour offrir à ceux qui voudront bien lire.
Ses « petits livres », comme il les appelle, sont autant de gestes de partage. On les télécharge librement, on les lit d’une traite ou par fragments, on les abandonne ou on y revient. Ils circulent sans contrainte, sans médiation marchande, comme des graines laissées sur un chemin. Leur valeur n’est pas dans le papier, ni dans l’objet, mais dans ce qu’ils suscitent : une pensée en mouvement, une question qui nous poursuit, une émotion qui ne nous lâche pas.
En parlant de vérité, de mensonge, de mémoire ou de censure, Benchakroun rappelle que l’écrivain n’a pas de mission sacrée mais une responsabilité simple : témoigner de ce qu’il perçoit, de ce qu’il ressent, avec la plus grande sincérité possible. Et si ses réponses paraissent parfois nuancées, c’est qu’il sait que la vérité n’est jamais unique, qu’elle ressemble plus à un zellige qu’à une ligne droite.
Écrire pour partager, écrire pour transmettre, écrire pour rester vivant. C’est peut-être là, au fond, la seule vérité qui vaille.
Ses « petits livres », comme il les appelle, sont autant de gestes de partage. On les télécharge librement, on les lit d’une traite ou par fragments, on les abandonne ou on y revient. Ils circulent sans contrainte, sans médiation marchande, comme des graines laissées sur un chemin. Leur valeur n’est pas dans le papier, ni dans l’objet, mais dans ce qu’ils suscitent : une pensée en mouvement, une question qui nous poursuit, une émotion qui ne nous lâche pas.
En parlant de vérité, de mensonge, de mémoire ou de censure, Benchakroun rappelle que l’écrivain n’a pas de mission sacrée mais une responsabilité simple : témoigner de ce qu’il perçoit, de ce qu’il ressent, avec la plus grande sincérité possible. Et si ses réponses paraissent parfois nuancées, c’est qu’il sait que la vérité n’est jamais unique, qu’elle ressemble plus à un zellige qu’à une ligne droite.
Écrire pour partager, écrire pour transmettre, écrire pour rester vivant. C’est peut-être là, au fond, la seule vérité qui vaille.












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