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Du paradoxe de la productivité à l’ère de l’intelligence artificielle : fabrique-t-on encore des esprits libres ?


Par Dr Az-Eddine Bennani

Dès la fin du XXᵉ siècle, la révolution numérique promettait un accroissement sans précédent de la productivité et du savoir. Pourtant, dans ma thèse soutenue à la Sorbonne en 1998, j’avais montré que ces promesses restaient en grande partie illusoires : c’est le paradoxe de la productivité.

Malgré l’informatisation des entreprises, la performance réelle stagnait, car la technologie servait davantage à rationaliser les tâches qu’à stimuler la créativité humaine. Ce paradoxe ne relevait pas d’un échec technique, mais d’un choix organisationnel et culturel : les systèmes d’information furent conçus pour contrôler les flux, non pour libérer les intelligences.



Ce que j’ai appelé à l’époque le paradigme numérique renvoyait à une mutation profonde : la substitution progressive des logiques humaines de jugement et de sens par des logiques computationnelles.

Le numérique, sous couvert d’efficacité, a introduit une forme d’alignement algorithmique des comportements — un monde où la conformité devient plus rentable que la pensée critique. C’est ce que traduit, avec brutalité, la phrase devenue virale : « Un système qui ne veut que 10 % de cadres et 90 % de main-d’œuvre corvéable n’a aucun intérêt à former des enfants capables de penser par eux-mêmes. »

Autrement dit, ce système n’a pas besoin d’esprits libres, mais d’exécutants dociles. Il ne fabrique pas des citoyens, mais des « crétins » fonctionnels, adaptés à une économie du pilotage et de la répétition. L’éducation n’est plus un acte d’émancipation, mais un processus de formatage cognitif, où l’on apprend à exécuter plutôt qu’à comprendre.

Avec l’essor de l’intelligence artificielle, le paradoxe s’amplifie.

L’IA promet de délivrer l’humain de la répétition, mais elle risque d’institutionnaliser la dépendance cognitive. Si l’on ne forme pas les citoyens à la pensée systémique et à l’usage critique de ces outils, l’IA deviendra l’instrument ultime du conformisme intellectuel — la fabrique industrielle des « crétins » numériques. Inversement, si elle est intégrée dans une démarche éducative fondée sur la curiosité, la complexité et la co-intelligence, elle peut devenir un accélérateur d’émancipation.

Le défi n’est donc pas technique, mais pédagogique et éthique : voulons-nous une IA qui pense à notre place, ou une IA qui nous aide à penser autrement ? Former à l’ère de l’IA ne peut se limiter à enseigner le codage ou la manipulation des outils. Il s’agit de restaurer la fonction critique de la pensée : apprendre à interroger, à relier, à comprendre les systèmes dans lesquels nous vivons. C’est la seule voie pour sortir du cercle du paradoxe de la productivité : produire du sens plutôt que de la performance.

Les universités, les écoles et les entreprises doivent redevenir des laboratoires d’intelligence collective, où l’on apprend autant à douter qu’à décider.

Sans cette refondation, la société continuera à produire des diplômés techniquement compétents, mais intellectuellement dépendants : une nouvelle génération de « crétins » diplômés. L’IA, comme le numérique hier, met nos sociétés face à une responsabilité immense : former des individus capables de penser le monde, pas seulement de le reproduire.

Ce choix déterminera la nature de notre avenir collectif; entre automatisation du savoir et renaissance de la pensée. La véritable innovation, à l’ère de l’intelligence artificielle, ne réside pas dans la machine, mais dans la réhabilitation de l’esprit critique. C’est elle seule qui permettra de passer d’une fabrique des « crétins » à une fabrique des consciences éclairées.

Par Dr Az-Eddine Bennani



Lundi 20 Octobre 2025


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