Dix ans après sa disparition, la sociologue et écrivaine marocaine demeure une voix incontournable sur l’islam, les femmes et l’égalité. Son rire, son audace et ses écrits pionniers continuent d’inspirer le Maroc et le monde arabe.

Fatima Mernissi s’est éteinte silencieusement le lundi 30 novembre 2015 à Rabat, laissant un vide immense. Universitaire et militante féministe, elle a inspiré des figures aussi diverses que la journaliste Mona Eltahawy ou la théologienne féministe Amina Wadud.

S’emparant avec courage des grandes questions de société – féminisme, islam et modernité – Mernissi est devenue, d’abord au Maghreb puis au-delà, une icône intellectuelle. Dans Rêves de femmes, elle mêle récit autobiographique et réflexion sociologique à travers les yeux d’une fillette découvrant le monde et les frontières imposées par une société patriarcale. Traduit en vingt-cinq langues, ce livre a consacré son parcours original, loin des sentiers académiques classiques.

Après des études à Rabat, la Sorbonne et un doctorat en sociologie à l’université américaine de Brandeis, elle publie en 1975 Beyond the Veil, un ouvrage devenu un classique des cultural studies. Elle y démontre que les restrictions faites aux femmes dans le monde islamique ne proviennent pas tant des textes religieux que de structures sociales mises en place dans un second temps de l’histoire islamique.

De retour à Rabat, elle enseigne à l’université Mohammed-V et côtoie l’avant-garde intellectuelle marocaine. Le poète Mohammed Bennis se souvient : « Elle a ouvert des fenêtres vers la culture arabe et islamique. »

Son engagement dépasse l’université. En 2003, elle reçoit le prix Prince des Asturies, mais elle connaît aussi des moments de solitude et d’opposition, notamment avec Le Harem politique (1987), où elle plaide pour une réappropriation du message du prophète Mahomet face à la misogynie de ses successeurs.

Dans les années 1990, Mernissi s’investit dans la vie associative : ateliers d’écriture, accompagnement d’anciens prisonniers, militants des droits humains, journalistes… Tous se sentent aujourd’hui orphelins. Fadma Aït Mous, politologue, se souvient : « Par son humilité et sa curiosité intellectuelle, elle incarnait la joie de vivre et la capacité de s’émerveiller du quotidien. »

Le legs de Fatima Mernissi est immense : maîtrise du patrimoine musulman, recherche de modernité et d’un islam cosmique, antidote contre la peur et les cloisonnements. Dix ans après sa disparition, elle reste une lumière arabe, une voix libre et nécessaire, et une figure féministe incontournable.