Rédigé par Mustapha SEHIMI
L'attaque israélienne visant le programme nucléaire de l'Iran le 13 juin dernier a été présentée par Tel Aviv comme une guerre préventive pour faire face à une menace "existentielle et imminente". De fait, ce recours à la force armée n'est rien d'autre qu'une violation des normes impératives du droit international. Une agression. Mustapha Sehimi l'explique.
Voici un mois, le 13 juin, une attaque israélienne a visé le programme nucléaire iranien. Ce n'est pas une nouvelle étape d'un conflit en cours mais le début d'une séquence nouvelle : celle de la destruction du potentiel d'enrichissement nucléaire de ce pays. Elle a été qualifiée par Netanyahou d'action préventive destinée à faire face à une menace "existentielle et imminente".
Voilà qui renvoie au droit international à propos précisément de l'emploi de la force armée d'un État contre un autre. Le texte central en la matière, largement reconnu comme relevant des normes impératives (jus cogens) est l'article 2 & 4 de la Charte des Nations unies. Ce texte la prohibe quand elle est dirigée "contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies". Les emplois licites de la force armée, relevant donc de l'exception, renvoient à deux hypothèses l'autorisation, en vertu du chapitre VII de la Charte, du Conseil de sécurité de "prendre toutes les mesures nécessaires"; et la légitime défense, prévue à l'article 51 de la Charte.
Un risque futur ? Irrecevable
Israël ne prétend pas réagir à une agression dont il aurait été victime. Il proclame qu'il veut se prémunir contre un risque futur : empêcher l'Iran d'obtenir les moyens lui permettant de commettre ce qu'il appelle l'irréparable. Une telle justification est irrecevable et inadmissible au regard du droit international. Les faits incriminés à Téhéran ne sont pas confirmés : tant s'en faut - L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et même d'autres puissances (USA...) ne valident pas l'existence en Iran de capacités nucléaires explosives. Les internationalistes se retrouvent dans un très large consensus pour ne laisser aucune place à l'attaque préventive : elle est porteuse de risques d'excès qui minent le principe d'interdiction. L'attaque israélienne renvoie à des précédents historiques : celui de la destruction par Tsahal en 1981 du réacteur Osirak près de Bagdad ; celui aussi, en 2003, à l'occasion de la seconde guerre d'Irak, à propos de menaces liées aux armes de destruction massives avec l'invasion américaine des menaces post imaginaires...
Changement du régime des mollahs
L'agression israélienne invoque également un autre élément : celui du changement du régime des mollahs, intrinsèquement "fanatique et hostile" Et dans cette même ligne, Tel Aviv considère que le meilleur moyen de se prémunir est de contribuer à son renversement. Le droit international ne se reconnaît pas non plus dans une telle approche. Chaque État est souverain et cette souveraineté est protégée par le droit international. La Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye l'a rappelé dans son arrêt du 27 juin 1986 (Activités militaires et paramilitaires des États-Unis au Nicaragua) pour tout État d'avoir le "droit fondamental de choisir et de mettre en œuvre comme il l'entend son système politique, économique et social". Et une attaque destinée à renverser un régime politique est clairement une utilisation de la force armée contre "l'indépendance politique" d'un État, au sens de la Charte. Cela signifie qu'un État n'a pas le droit unilatéralement de poser la question du régime des autres et d'intervenir militairement en conséquence. Même l'intervention humanitaire, désormais envisagée sous l'expression de "responsabilité de protéger", ne trouve guère de place dans le droit international actuel, dès lors qu'elle n'est pas inscrite dans la force légitimante et légalisante du Conseil de sécurité.
Argumentaire israélien : doublement erroné
Mais il y a plus. L'argumentaire israélien qui se fonde sur l'inadmissibilité de la possession par l'Iran de l’arme nucléaire renvoie en filigrane à la question du Traité de non prolifération (TNP) signé le 1er juillet 1968. Que l'Iran possède ou non des armes nucléaires, ne donne pas à Israël et à Washington le droit d'intervenir, pour garantir le respect de ce traité. Le Conseil de sécurité n'a jamais autorisé un quelconque État à intervenir militairement à l'appui de la constatation d'un manquement. Bien au contraire, il a strictement veillé à contenir les sanctions dans un cadre pacifique (article 41 de la Charte qui vise des mesures n'incluant pas l'emploi de la force armée). Il faut aussi mentionner le droit des traités en analysant la réaction israélienne comme une contre-mesure à une violation du TNP par l'Iran. Cette lecture est doublement erronée : d'une part, Israël n'est pas partie audit traité ; d'autre part, les contre-mesures ne peuvent pas porter atteinte à des obligations pesant sur les États, en particulier celle de ne pas recourir à la force.
Au final, l'action conjointe des États-Unis et d'Israël n'a pas été autorisée par le Conseil de sécurité, elle est non justifiable au titre de l'article 51 de la Charte des Nations Unies et du droit des traités : elle est juridiquement une agression...