Par Mustapha SEHIMI
Pour la première fois en effet, contre Israël, des missiles à têtes multiples. Un "choc stratégique" et un "nouveau défi" pour les défenses israéliennes. L'objectif ? Pas seulement des cibles mais démontrer la capacité à saturer et à submerger l'ensemble du réseau de défense d'un adversaire technologiquement supérieur. Et, malgré les efforts d'interception israéliens et alliés, les attaques ont causé des dommages et des victimes significatifs, des dizaines de missiles ayant pénétré les défenses. Une démonstration de l'Iran qui a atteint un certain niveau de parité stratégique - brisant la perception d'invulnérabilité d'Israël...
Occident: le "dilemme du défenseur"!
Plus globalement, ce conflit a une autre portée: celle de la mise en lumière d'une vulnérabilité critique de la doctrine militaire occidentale: le coût prohibitif de la défense contre des systèmes offensifs de masse à bas prix. Dans les états-majors, cela porte un nom: le "dilemme du défenseur". Israël a intercepté la plupart des menaces et gagne peut-être le taux d'échange tactique. Mais elle est en train de perdre la guerre d'usure stratégico- militaire. Le système de défense multicouche d'Israël (Dôme de fer, Fronde de David et systèmes Arrow) est technologiquement sophistiqué. Mais le coût par interception est extrêmement élevé : environ 50 000 dollars pour un intercepteur Tamir du Dôme de fer, et plus de 2 millions de dollars pour un intercepteur de la Fronde de David ou d'Arrow.
En comparaison, les moyens offensifs de l'Iran (drones, missiles balistiques) sont bien moins coûteux à produire et à déployer en grand nombre. Si bien que l'Iran peut imposer des coûts économiques massifs à Israël et ce à chaque salve. Les estimations actuelles de ce coût total retiennent une fourchette comprise entre 12 et 20 milliards de dollars (dépenses directes et indirectes) soit 1% du PIB.
Un problème pour un modèle économique soutenable. Cela implique à long terme une nécessaire orientation de l'avenir de la défense aérienne vers des armes moins chères - armes à énergie dirigée, système laser Irob Beam... Ce conflit de 2025 présente, entre autres, cette particularité: il agit en effet comme un catalyseur brutal pour cette nécessaire évolution technologique et doctrinale.
C'est une guerre hybride sur de multiples fronts. Israël a lancé des cyberattaques à fort impact sur les infrastructures financières iraniennes (piratage d'une bourse de cryptomonnaies pour 80 millions de dollars). En réponse, des "hacktivistes" pro-iraniens ont mené des attaques par déni de service généralisées contre les secteurs gouvernementaux, manufacturiers de télécommunications israéliens ; ils les ont aussi accompagnées de campagne de désinformation pour semer la panique (faux SMS, pénuries de carburant).
Israël Iran même logique
Autre périmètre de conflit: le domaine spatial. Un brouillage persistant et sévère des signaux de GPS près de l'Iran a ainsi affecté près d'un millier de navires. Une tactique délibérée pour perturber les munitions guidées (drones, missiles) ainsi que l'activité commerciale. Téhéran et Tel Aviv s'appuient également sur le renseignement satellitaire pour le ciblage et l'évaluation des dommages. Le rôle de l'intelligence artificielle (IA) s'étend - sélection des cibles pour des opérations en Iran, essaims de drones autonomes, reconnaissance avancée de cibles...
Le conflit de 2025 fait la démonstration que la guerre moderne entre États n'est plus spécifique à un domaine mais plus largement une compétition de "système de systèmes" entièrement intégrée. Les frappes cinétiques, les opérations cybernétiques et la guerre électronique ne sont pas des activités distinctes ; elles sont interdépendantes et se renforcent mutuellement. Une frappe cinétique israélienne sur une base de missiles iranienne est certainement précédée d'une reconnaissance par satellite pour identifier la cible ; il faut également faire référence à d'autres opérations parallèles (brouillage des radars de défense iraniens par des avions de guerre électronique, réseaux de commandement et de contrôle, systèmes financiers de 1'Iran)...
L'Iran emprunte la même logique notamment avec le couplage de missiles à des cyberattaques contre les infrastructures israéliennes. Une convergence qui élargit le champ de bataille. La supériorité militaire se pose désormais en des termes nouveaux. Le meilleur missile ou avion sans doute mais c’est insuffisant. Va prévaloir de plus en plus la capacité à dominer l'ensemble du spectre électromagnétique et informationnel et l'amélioration des opérations cinétiques.