Le projet de loi de finances 2026 ne se prête pas seulement à une lecture comptable ou macroéconomique.
Le communiqué du Conseil des ministres et les documents publics qui l’accompagnent tracent la silhouette d’un État qui veut s’affirmer comme stratège modernisateur. L’ambition n’est plus seulement de stabiliser les équilibres macroéconomiques, mais de refonder la méthode de gouvernance elle-même. L’économie, le social, le territoire et la gouvernance sont désormais pensés comme les dimensions d’un même tout. Les priorités budgétaires confirment une cohérence doctrinale : réforme de la gouvernance par la LOLF (la loi organique relative à la loi des finances), accélération de la charte de l’investissement, déploiement du partenariat public-privé, renforcement des politiques sociales et territoriales.
Mais cette cohérence ne signifie pas rupture. Elle traduit plutôt la continuité d’un État-architecte, qui ajuste sa structure sans renoncer à son rôle de centre. C’est ici que se joue la première lecture archéologique : le Maroc n’entre pas dans la modernité par substitution, mais par sédimentation. Les instruments de réforme s’ajoutent couche après couche, LOLF, protection sociale, régionalisation avancée, sans que la culture de gouvernance change au même rythme.
Nous assistons à une mutation silencieuse : celle d’un État qui cherche à transformer son logiciel sans altérer son ADN. Cette tension entre modernisation technique et continuité culturelle est le cœur du défi. Elle explique pourquoi chaque nouvelle strate réformatrice risque de se superposer aux précédentes sans les remplacer, créant une complexité cumulative qui peut elle-même devenir un frein à l’action. La territorialisation devient, dans ce budget, un axe majeur. Le texte introduit la “nouvelle génération des programmes territoriaux intégrés”, portés par le principe de solidarité entre les entités régionales.
Pourtant, cette territorialisation reste pilotée depuis le centre : les programmes sont cadrés par des chartes nationales, des normes de gestion et des dispositifs d’arbitrage centralisés. Ce double mouvement : ouverture vers le local et recentralisation méthodologique révèle un décalage structurel entre la réforme institutionnelle et son appropriation sociale.
La gouvernance reste un transfert d’intentions plus qu’un partage de pouvoir. En ce sens, la faille n’est pas dans les textes mais dans la culture : celle qui hésite encore à faire confiance aux acteurs de terrain pour co-produire la décision publique.
C’est pourtant à ce niveau que se jouera la prochaine étape :
Santé, éducation, protection sociale, logement : ces politiques cessent d’être périphériques pour constituer le cœur même du contrat national. Ce glissement est décisif : la légitimité du pouvoir se déplace de la promesse de stabilité vers la capacité de réparation et de redistribution. Le social devient ainsi un vecteur de reconnaissance au sens de Charles Taylor : un espace où l’État reconnaît ses citoyens en tant que sujets de droits, non plus seulement comme bénéficiaires. La logique du don recule ; celle du droit s’impose.
La transformation est lente, mais irréversible. La réforme de la loi organique des finances, souvent perçue comme technique, devient à la lumière de cette lecture un pivot politique. Elle traduit la volonté d’instaurer une culture de résultat, de responsabilité et de transparence.
Elle constitue, à bien des égards, la première tentative de gouvernance par la confiance structurelle : non plus une confiance accordée à la hiérarchie, mais une confiance mesurable par la performance et la redevabilité. Cette approche rejoint l’intuition de Douglass North : les institutions ne créent pas seulement des règles, elles conditionnent l’efficacité du développement.
À gouvernance constante, tout accroissement budgétaire produit des résultats décroissants ; à gouvernance améliorée, la même dépense devient levier de transformation.
Or cette dimension reste encore embryonnaire : les instruments existent, mais leur usage demeure administratif plus que politique. La confiance se construit par le partage effectif de l’information et du pouvoir de décision. Sans cela, le risque est de créer une transparence à sens unique, où l’État exige des comptes sans s’exposer lui-même à une délibération ouverte sur ses propres choix. Le budget 2026 trace la voie sans encore installer le réflexe de la mesure publique.
Un autre enseignement, implicite mais profond, ressort de cette lecture : la lenteur n’est plus un défaut, mais une méthode. Le discours budgétaire assume la progressivité : les réformes “dans la durée”, “par étapes”, “selon un rythme maîtrisé”. Cette sémantique traduit la prudence de l’appareil administratif celle d’un État qui avance sans rupture, préférant la continuité à la discontinuité. Mais cette prudence porte un risque : celui de voir la modernisation tourner à vide si la temporalité de l’administration reste désynchronisée de celle de la société.
Cette désynchronisation n’est pas seulement un décalage de vitesse ; elle est souvent le symptôme d’une résistance passive, où les logiques informelles du système — ses lourdeurs, ses réflexes centralisateurs — absorbent et neutralisent la volonté de changement portée par les textes formels.
La lenteur n’est vertueuse que si elle construit la profondeur ; elle devient un obstacle lorsqu’elle s’installe dans la répétition. Le Maroc a atteint ce seuil critique où la sédimentation doit devenir transformation.
La modernité de la gouvernance ne se décrète pas :
C’est là que se joue l’avenir : dans la capacité de l’État à faire passer la réforme de la sphère du texte à celle du réflexe, du décret à l’habitude. Cette mutation appelle un nouvel équilibre : celui d’un État qui reste stratège mais devient partenaire, qui conserve la verticalité de la vision tout en intégrant l’horizontalité de la délibération. Autrement dit, un État qui ne se contente plus de dire le progrès, mais qui apprend à le co-produire.
Le budget 2026 peut être lu comme un texte de transition, mais cette transition doit être orientée. Le Maroc est en train de se réécrire, non pas contre lui-même, mais à partir de lui-même. Les réformes s’empilent, les structures s’ajustent, les intentions convergent : tout indique un effort de cohérence systémique. Mais la véritable modernité viendra quand la confiance sera devenue structure, quand la société sera invitée à être co-autrice du progrès.
L’archéologie de demain ne fouillera pas les budgets, mais les écarts : entre ce que le pays projette et ce qu’il parvient à incarner. Et c’est précisément dans cette tension que réside le signe d’un État vivant.
PAR ADNAN DEBBARH/QUID.MA












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