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Le PLF 2026 en cinq question


Par Abdeslam Seddiki (Interview avec TelQuel)



1-Pour cette dernière année législative, le gouvernement entend consolider les bases de l’Etat social. Pensez-vous que le PLF 2026 abonde dans ce sens ?

C’est le troisième pilier du PLF. L’intention est bonne. Sur le terrain, les choses se passent autrement. Le gouvernement s’engage d’abord à corriger un certain nombre de dysfonctionnements relevés au niveau de la généralisation de l’AMO et à corriger les aides attribuées aux enfants des familles nécessiteuses.

Il lui reste deux niveaux pour parvenir à la généralisation de la protection sociale telle qu’elle est définie par la loi-cadre : la généralisation de la retraite et l’extension de l’Indemnité pour perte d’emploi à toutes les personnes exerçant un emploi régulier. Ce sont deux dossiers épineux dont la mise en œuvre nécessite un certain nombre de préalables. Ainsi, on ne peut généraliser la retraite qu’en procédant au préalable à la réforme des régimes en cours.

Or, sur ce plan, le gouvernement a avoué son impuissance et ne fait que tourner en rond depuis pratiquement son investiture. Il a du mal à convaincre les partenaires sociaux tant qu’il n’a pas présenté une formule viable. Je pense, au risque de me tromper, que le gouvernement joue au cache-cache et rechigne à dévoiler son projet relatif à la réforme des régimes de la retraite.

La même remarque est valable au niveau de la généralisation de l’IPE qui doit passer au préalable par l’intégration du secteur informel dans l’économie moderne. Or, le secteur informel ne fait que gagner du terrain. On voit mal dans une telle situation de cacophonie par quel miracle le gouvernement tiendrait ses engagements.

En définitive, il y a une forte probabilité que la situation reste telle qu’elle est, sauf éventuellement quelques mesures qui ne sauraient être plus qu’une poudre aux yeux.

2- Le PLF 2026 intervient dans un contexte tendu, marqué par l’émergence du mouvement Gen.Z qui réclame des mesures concrètes notamment pour améliorer la santé et l’éducation. Pensez-vous que les 37.000 nouveaux postes budgétaires annoncés par le gouvernement suffiront à améliorer l’offre/ à calmer les esprits ?

Les emplois prévus dans le PLF, à savoir près de 37000, répartis sur l’ensemble des départements sont utiles, certes, mais insuffisants pour combler le déficit en ressources humaines et tout particulièrement dans des secteurs sociaux comme la santé. Rappelons que le Ministre de la santé a reconnu devant le parlement un manque de 30 0000 postes d’emploi sans faire la distinction entre les médecins, les infirmiers et le personnel administratif.

Par conséquent, les 8000 postes accordés au secteur de la santé ne constituent qu’une goutte d’eau dans l’océan. Pour l’éducation, il est prévu un recrutement par les AREF (Académies Régionales de l’Education et Formation) de 19 000 enseignants. Mais, il faut préciser que la crise que connaissent ces deux secteurs sociaux n’est pas due uniquement au manque du personnel. Ce n’est qu’un arbre qui cache la forêt !

La crise est multidimensionnelle, systémique et complexe : on soulignera entre autres la répartition régionale inégale des infrastructures et des ressources humaines, la mauvaise gouvernance, la corruption qui ronge le secteur de la santé avec les scandales qui éclatent régulièrement, le manque de motivation, les questions pédagogiques et de contenu pour ce qui est de l’éducation. On peut augmenter à l’infini les budgets sans obtenir des résultats concrets si on ne se penche pas sérieusement sur les maux qui freinent toute dynamique positive.

Le grand problème sur lequel il faut être clair est le suivant : quelle est la place du secteur privé dans le social ? S’agit-il d’en faire un secteur d’appoint et complémentaire au secteur public qui doit être la locomotive ou au contraire, lui donner un statut autre ? Quand on voit le développement des cliniques privées et la multiplication des facultés de médecine privées, il y a de quoi se poser de sérieuses questions.

C’est une marchandisation de la santé qui se met en place d’une façon méthodique et bien planifiée. C’est là où il y a danger. Entendons-nous bien : je ne suis pas contre le secteur privé d’une façon absolue ou par principe. Mais il faut mettre des garde fous pour que l’Etat garde la main au niveau de la régulation en matière de déontologie, de tarifs, et même du lieu de l’installation des établissements privés. La santé et l’éducation ne sont pas des secteurs d’activité comme les autres. Ils font partie de « l’économie de la vie »

3- Depuis l’année 2021, l’investissement public est en constante hausse, pourtant cette hausse ne permet ni de relancer l’emploi, ni d’améliorer les conditions de vie de la plupart des Marocains (dont le niveau de revenus stagne). Pourquoi à votre avis ?

C’est une grande question à laquelle je vais essayer d’apporter quelques éléments de réponse. D’abord, il y a une grande différence entre les montants annoncés et les réalisations définitives. Globalement, le taux de réalisation oscille autour de 70%. Ce qui nous amène déjà à réduire l’enveloppe de 30%, ce qui n’est pas négligeable. Ensuite, l’investissement public se fait généralement dans des secteurs intensifs en capital comme les infrastructures et les mégaprojets.

Ils utilisent peu demain d’œuvre. En principe, et selon la théorie keynésienne du multiplicateur, l’investissement en infrastructure crée un effet multiplicateur de 5. Ce qui revient à dire d’une façon concrète : un DH investi aujourd’hui crée un revenu de 5 DH demain. Ceci dans une économie intégrée où existe une bourgeoisie productive et non rentière et spéculative. Le troisième élément réside dans la gouvernance et les détournements de fonds publics.

La corruption et le népotisme faussent tout à fait le jeu économique. Les marchés publics ne sont pas attribués au moins disant, mais « au plus offrant » (en bakchiche !). Quand on voit le coût de la construction d’une salle de classe, il y a de quoi s’affoler !! La Cour des Comptes a beau faire des rapports, mais ça ne change pas beaucoup à la réalité. Et ce sont les personnes honnêtes qui paient généralement le prix !

Résultat final de cette gabegie : les problèmes s’aggravent comme la pauvreté, le chômage, les inégalités sociales et territoriales. Et a contrario une minorité s’enrichit sur le dos de l’Etat et des pauvres gens. C’est une réalité amère, mais il faut le dire tout haut au risque de heurter quelques consciences !

4- Selon de nombreux experts, l’un des défis majeurs de l’économie marocaine réside dans la collusion entre le politique et les affaires, avec les nombreux conflits d’intérêts que cela engendre, en plus du manque de transparence et du défaut de reddition des comptes. Êtes-vous de cet avis ? Si oui, est-ce un frein à l’émergence de l’Etat social ?

Je viens de répondre indirectement à votre question. Effectivement, tout ce que vous aviez entendu est vérifié et vérifiable. J’y adhère totalement. Sans m’appesantir outre mesure sur cette problématique, je rappelle pour être objectif que ces problèmes ne sont pas nés avec le gouvernement actuel. Ils se sont amplifiés dans la mesure où le Chef du Gouvernement porte deux casquettes : celle d’un chef de l’Exécutif et celle d’un businessman.

Et généralement, il oublie parfois la casquette qu’il porte et cela lui crée de la confusion. Ce faisant, il encourage les autres membres du gouvernement à faire de même. Pour leur faciliter la tâche, on a procédé au retrait du parlement d’un texte de loi relatif à l’enrichissement illicite. C’est un signal fort adressé aux mafieux de tout genre disant « enrichissez-vous, vous êtes protégés ».

Les voleurs se couvrent mutuellement : un voleur dénonce rarement un autre voleur. Et comme l’argent est leur véritable religion, ils sont capables de tout. Ils croient qu’avec l’argent, ils sont en mesure de se frayer un chemin dans la mer. Voilà où nous en sommes !! Ce sont ceux qui dénoncent l’arbitraire qui sont poursuivis par la justice. Quel contraste !

5- Plus globalement, quelles sont vos premières remarques concernant le PLF 2026 ?

Comme je viens de l’écrire dans ma dernière chronique, le PLF 2026 contient certaines mesures positives. Mais le budget garde toujours sa structure et ses faiblesses. Un budget qui n’est pas équitable, manque de transparence sur certains aspects. Un budget où domine le point de vue de l’exécutif : il sera voté comme il a été proposé sauf des amendements mineurs acceptés selon l’humeur des deux Ministres en se barricadant derrière l’article 77 de la Constitution. Je rappelle que cet article mérite une clarification de la Cour Constitutionnelle.

Comme une hirondelle ne fait pas le printemps, ce n’est pas un seul PLF qui va redresser la situation et remettre les pendules à l’heure. Il nous faut un vrai changement dans la durée et revoir les priorités pour de bon en répondant à la question suivante : quelles est la finalité de l’acte économique ? Est-ce la satisfaction des besoins fondamentaux des citoyens en assurant leur bien-être ou l’enrichissement d’une minorité de nantis et de privilégiés ? C’est de la réponse à cette question politique que dépendra tout le reste.

PAR ABDESLAM SEDDIKI/PPS.MA 



Lundi 3 Novembre 2025


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