L’IA comme fait social total
Elle est extérieure, car elle s’impose à nous à travers des plateformes globales, des modèles préentraînés, des algorithmes qui incarnent une rationalité étrangère à notre contexte culturel. Elle est contraignante, car elle façonne nos manières de travailler, d’apprendre, de gouverner, d’interagir.
Et elle est collective, car elle reconfigure les structures sociales, les professions, les hiérarchies et les croyances autour d’une même utopie : celle du progrès numérique.
L’IA devient donc un fait social total, au sens maussien du terme : elle traverse la totalité du corps social, de la science à l’artisanat, de la politique à la morale.
Du paradigme mécanique au paradigme systémique :
Durkheim, dans sa logique, observait le passage des sociétés à solidarité mécanique vers celles à solidarité organique. Moi, je dirais que nous vivons aujourd’hui le passage d’un paradigme mécanique de la donnée à un paradigme systémique de l’intelligence.
Le paradigme mécanique, celui des débuts du numérique, reposait sur la rationalité calculatoire, la séparation sujet/objet, la linéarité des processus. Le paradigme systémique IA, que je défends, repose au contraire sur : l’interconnexion, la circularité, la co-évolution entre humains, machines et environnements.
C’est une nouvelle forme de solidarité numérique : non plus fondée sur la ressemblance ou la simple complémentarité, mais sur la coopération entre intelligences; humaine, artificielle, collective.
Les élites du discours et la performativité de l’IA
Mais la question durkheimienne demeure : produisent-elles une cohésion réelle ou un simple simulacre de modernité ?
Durkheim aurait observé ces élites comme des agents de socialisation symbolique. Elles construisent un imaginaire collectif autour de l’IA, mais souvent sans paradigme scientifique explicite. Elles parlent de transformation numérique sans toujours en comprendre la structure systémique : les boucles de rétroaction, la dépendance aux données, les logiques d’alignement stratégique.
L’IA, ainsi parlée, devient performative : on ne la pense plus, on la proclame.
Le Maroc à la croisée des paradigmes :
Le Maroc, aujourd’hui, n’est pas seulement un suiveur de tendances. Il est un laboratoire de convergence entre modernité technologique et héritage culturel.
Des initiatives comme AI4Morocco, MedinIA, ou le centre AI Movement de l’OCP montrent que la société marocaine cherche à se doter de sa propre ontologie de l’intelligence : une intelligence enracinée dans la culture, orientée vers la souveraineté, et ouverte à la coopération africaine.
Dans mon modèle MrabaData, j’ai proposé une approche qui articule données, infrastructures et gouvernance. Elle vise à inscrire le Maroc dans une logique systémique d’autonomie numérique, plutôt que dans une dépendance technologique.
C’est cela, le vrai tournant paradigmatique :
Vers une logique marocaine de l’intelligence :
Ce que Durkheim appelait « solidarité », je l’appelle aujourd’hui alignement systémique. L’IA, si elle veut servir le Maroc, doit s’aligner sur : nos valeurs culturelles, nos besoins économiques, et nos objectifs sociétaux.
Elle ne peut être pensée isolément des dimensions éducative, éthique et institutionnelle. Elle doit devenir une logique nationale, pas un effet de mode global.
Car, comme le disait Durkheim, « La société n’est pas la somme des individus, mais le système formé par leur association. »
L’IA au Maroc n’est pas la somme des algorithmes, mais le système formé par leurs usages humains.
De la logique à la cohérence
Les élites marocaines de l’IA ont désormais une responsabilité historique : transformer la fascination en conscience, la parole en projet, et le paradigme en cohérence nationale.
L’IA ne sera une intelligence que si elle devient un système vivant de solidarité et de savoir à l’image du Maroc que nous voulons : souverain, inclusif et systémique.
Par Dr Az-Eddine Bennani












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