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Les errements...De la cour constitutionnelle-Une lecture de commentaires de jurisprudence récente


La nouvelle Constitution du 29 juillet 2011 a consacré, entre autres, une grande avancée : celle de l’institution d’une Cour constitutionnelle en lieu et place du Conseil constitutionnel. Tout le titre VIII de la loi suprême, avec six articles, élargit et précise ses attributions. Quelle a été sa jurisprudence ?



Par Mustapha Sehimi

Un ancien membre du Conseil constitutionnel, mon collègue de la faculté de droit (Rabat-Agdal) Mohammed Amine Benabdallah* suit et commente dans la revue marocaine d’administration locale et de développement (REMALD) de manière sourcilleuse toutes les décisions qu’elle a rendues. Une évaluation quelque peu interpellative ; elle nourrit en effet bien des interrogations sur le « calage » de cette institution dans son périmètre de compétences mais aussi dans son rôle dans l’édifice institutionnel.
 

Pour ne retenir que les quatre années écoulées de la Cour constitutionnelle,  il faut commencer par faire référence à la décision numéro 02/17 du 12 avril 2017 relative à la vacance, quelques jours auparavant, de sièges parlementaires par suite de onze membres de la nouvelle Chambre des représentants nommés dans le cabinet El Othmani le 7 avril 2017. En l'espèce, c'était là une situation d'incompatibilité devant être réglée sur la base des dispositions de l'article 14 de la loi organique n° 27-11 du 3 novembre 1911. 
 

Sur le papier, rien à y redire : la procédure prévue a bien été mise en œuvre et respectée. Mais de fait, il en est autrement dans la mesure où les onze ministres concernés n'étaient pas, à cette date du 12 avril 2017, des ministres de plein exercice, des vrais "ministres", pourrait-on dire. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient membres d'un gouvernement nommé mais pas encore investi par un vote de confiance de la Chambre des représentants, comme le prévoit les dispositions de l'article 88 (al.3) de la Constitution du 29 juillet 2011. Ici, il faut solliciter une autre loi organique, du 2 avril 2015 tout aussi applicable, relative à l'organisation et à la conduite des travaux du gouvernement et au statut de ses membres. Que dit-elle précisément sur un tel cas d'incompatibilité ? Elle  prévoit un délai de soixante jours au plus pour la régularisation de la situation d'un parlementaire nommé ministre et ce à compter de la date d'investiture du gouvernement (art.35). 
 

Or, la Cour constitutionnelle, deux jours après sa saisine par le président de la Chambre des représentants, s'est empressée de déclarer la vacance des onze sièges sauf à préciser qu'elle  a appliqué la législation mais de manière partielle, voire erronée; elle ne s'est guère souciée en effet des prescriptions de la seconde loi organique précitée, qui, elle rappelons-le, accorde un délai de soixante jours couvrant en principe la période "transitoire" entre la nomination et 1’investiture par la Chambre basse du Parlement.
 

 Ce n'est pas faire montre d'un juridisme excessif que de relever que la Cour constitutionnelle aurait dû prendre en compte la seconde loi organique alors qu'elle s'est limitée à la première, inapplicable en l’espèce. C’était élémentaire ! C’est d'autant plus difficile à agréer que si l'on a bien affaire à deux lois organiques réglant la situation d'incompatibilité, celle qu'elle a appliquée date de 2011 alors que l'autre a été édictée en 2015 et, au surplus, elle concerne, comme l’a relevé le professeur Amine Benabdallah, la situation des membres du gouvernement. Au reste, face à cette double législation, le principe qui prévaut  priorise la seconde tout à fait applicable au cas soumis à la Cour, mais rien n’y fait. En poussant plus loin, ce qu'a décidé la Cour, que serait-il advenu des concernés si le gouvernement n'avait pas été investi alors que onze parlementaires avaient déjà perdu leurs sièges dans l'intervalle ? Un imbroglio institutionnel et politique... 
 

De l'exception d'inconstitutionnalité... 

 

Avec une autre décision (C.C. n° 70-18, 6 mars 1978) se trouve posée  cette fois une question de principe: celle de la nature et de la portée des attributions de cette juridiction. Il faut rappeler pour commencer que la Constitution a innové en la matière en instituant l'exception d'inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle. La procédure est la suivante : au cours d'un procès, l'une des parties estime que la loi  retenue dans l'instance "porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution" (art. 133). 
 

Précisément, c'est cette procédure qui retient l'intérêt. Aux termes de l'article précité de la loi suprême, c'est à la Cour constitutionnelle qu'est confiée la pleine compétence d'examen de l'exception d'inconstitutionnalité. La Cour de cassation n'est pas compétente pour se prononcer sur la recevabilité de cette procédure. Si tel était le cas, cette juridiction déborderait de son strict champ d'attributions pour se voir reconnaître un pouvoir de contrôle préliminaire de constitutionnalité. Le problème posé ici c'est qu'il ne peut y avoir un examen d'une exception et d'inconstitutionnalité que si celle-ci est dûment constatée et bien avérée. Mais qui doit la soulever ? Ce ne peut être que l'une des parties et dans le cadre du lien d'instance existant devant une juridiction. À cet égard, l'exception soulevée doit établir un rapport avec le litige, faute de quoi elle est déclarée irrecevable. 
 

Au Maroc, le constituant n'a pas tranché - à la différence de la France - en précisant quelle juridiction doit se prononcer sur la recevabilité et son bien-fondé. Il a ainsi laissé au législateur organique (le parlement) l'étude de la recevabilité de l'exception d'inconstitutionnalité, soit la Cour de cassation, soit la Cour constitutionnelle. Et celle-ci ne peut décider de la compatibilité - et / ou de la conformité - de la demande avec la loi suprême que si elle est en mesure d'étudier tous les aspects du litige. Question à relever : cette haute juridiction est-elle en mesure d'appréhender des domaines autres que celui du respect de constitutionnalité ? Le risque est grand de voir un encombrement au niveau de la Cour constitutionnelle ne pouvant qu'allonger davantage les retards. Ce contrôle s'exerce a priori, avant la promulgation de la loi. La Cour constitutionnelle considère que c'est la Constitution qui lui a accordé à titre exclusif la pleine compétence en matière d'exception d'inconstitutionnalité. 
 

Dans cette même ligne, ce n'est pas à la Cour de cassation de se prononcer sur la recevabilité de celle-ci. Si elle en était autrement, ce serait lui reconnaître un pouvoir de contrôle préliminaire de constitutionnalité. Il reste que la Cour constitutionnelle qui n'est pas partie intégrante du pouvoir judiciaire - comme en Allemagne par exemple- ne dispose pas de son propre système de fonctionnement. Le législateur organique n'a pas prévu une exigence d'un procès équitable avec en particulier une audience publique. Et la Cour constitutionnelle, dans sa décision en date du 6 mars 2018, s'en est tenue à une lecture littérale des dispositions l'article 133 de la Constitution – précitées en contrôlant l’opportunité de l’option et non la constitutionnalité. Ni audace, ni imagination... mais une lecture stricte du texte comme l’a relevé Haj Lfdoul, personnage qu’a fait parler le Professeur Benabdallah dans l’une de ses chroniques constitutionnelles.
 

Règlement intérieur de la Chambre des conseillers

 

Ici, il s'agit d'une décision de la Cour constitutionnelle en date du 9 juillet 2019 relative aux dispositions de l'article 215 du règlement intérieur de la Chambre des représentants. Ce texte avait prévu qu'une opposition d'irrecevabilité soulevée à propos d'une délibération d'un projet de texte législatif devait être présentée au président du groupe parlementaire ou au gouvernement avant la séance plénière de la Chambre. Si cette exception est soumise au vote et approuvée, le texte est rejeté. La Cour a censuré cet article 215 invoquant le fait que la question du contrôle de constitutionnalité ne revenait qu'à elle, conformément à la loi suprême du royaume.  Il faut rappeler que la Constitution n'a prévu formellement que deux formes d'irrecevabilité, l'une financière (art.77) et l'autre législative (art.79). En dehors de celles-ci, aucune autre irrecevabilité n'est valable ni fondée. Pour autant, il est possible d'ouvrir au sein de la Chambre des conseillers une discussion ou un débat et partant d'organiser suivant une procédure particulière les modalités de cette délibération. Il avait été ainsi prévu un temps de parole de cinq minutes accordé à l'un des signataires de l'opposition d'irrecevabilité, au gouvernement, et au président - ou au rapporteur - de la commission parlementaire compétente. 
 

Dans un autre considérant, la Cour constitutionnelle rappelle qu'il n'appartient pas à la Chambre des conseillers de se prononcer sur la constitutionnalité ou non d'un projet de texte législatif en débat. Une telle déclaration lui revient en propre, à titre exclusif. Elle a au surplus l'autorité de la chose jugée, sans aucun recours possible. Ses décisions s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles" (art.134). En fait, tel que le relève M. Benabdallah, débattre en commission ou même en plénière de la constitutionnalité d’une disposition, ce n’est pas du tout se substituer à la Cour constitutionnelle tant il est vrai qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une cuisine interne.
 

Voilà bien une position de principe à laquelle l'on ne peut que se rallier. Sauf à préciser que ce contrôle de constitutionnalité intéresse et ne peut porter que sur une loi organique, une loi ou un règlement intérieur de l'une ou l'autre des deux Chambres du parlement. Cela veut dire qu'avant toute finalisation actée par un vote de ces textes, les parlementaires exercent leur droit à la parole sans aucune possibilité pour la Cour constitutionnelle de le censurer. Et ce n'est que s'il y a une procédure formelle de saisine que cette haute juridiction peut assurer ses attributions de contrôle de constitutionnalité. Elle ne peut aucunement outrepasser celles-ci et les élargir au suivi de textes seulement en phase de préparation et de délibération parlementaire. Comme l'a noté, le professeur Amine Benabdallah, vu que la Chambre des conseillers n’a demandé qu’à organiser un débat en commission à propos de la conformité d’une disposition à la Constitution, nous voilà en présence d’une inconstitutionnalité douteuse soulevée par la Cour constitutionnelle. D’ailleurs, pour assurer la réalisation d’une telle décision, poursuit l’auteur, il faudrait mettre des policiers dans l’enceinte parlementaire pour interdire et verbaliser les députés ou conseillers qui s’aventureraient à discuter de constitutionnalité. Ubuesque ! C’est d'autant plus patent et singulier que cette même juridiction avait validé, dans sa décision en date du 11 septembre 2017, deux ans auparavant donc, l’article 187 du règlement intérieur de la Chambre des représentants. Un texte identique... à l'article 215 de celui de la Chambre des conseillers ! Comprenne qui pourra!... 
 

Un silence qui inquiète...

 
 

Voici un an, dans sa décision du 4 juin 2020, le Cour constitutionnelle a statué sur une saisine de 81 membres de la Chambre des représentants. Ce qui était en cause, en l'espèce, c'était la constitutionnalité de la loi de ratification du décret-loi du 7 avril 2020 relatif au dépassement du plafond des financements extérieurs. Un décret-loi peut-il modifier un article de la loi de finances 2020 alors qu'en principe cela doit se faire par une loi de finances rectificative ? 
 

La Cour constitutionnelle a une compétence générale pour se prononcer sur la loi de ratification en y incluant, dans son examen, le décret-loi à ratifier. Il vaut de rappeler que le Conseil constitutionnel - une instance qui a fonctionné de 1994 à 2017- avait eu à connaître une question similaire, et ce à propos d'un contrôle de constitutionnalité relatif à la ratification d'un décret-loi instituant une taxe sur les paraboles. Saisie ainsi d'une loi de ratification d'un décret-loi, cette institution avait déclaré que l'examen doit porter sur la loi ainsi que sur le décret-loi parce qu'il s'agit d'un tout inséparable. Or, la Cour constitutionnelle, elle, n'est pas allée jusque-là, ne contrôlant pas ainsi la totalité des dispositions du texte (loi et décret-loi). 
 

Voilà une question de principe à évoquer. Un décret-loi avec un article unique et une seule phrase, est venu modifier la loi de finances 2020. La Cour s'est limitée à se prononcer et à valider sa constitutionnalité. Or, aux termes de la loi organique des finances" Seules les lois de finances rectificatives peuvent en cours d'année modifier les dispositions de la loi de finances de l'année". Avec sa décision du 4 juin 2020, l'on peut considérer implicitement qu'une loi de finances peut désormais être modifiée sans loi rectificative, un décret-loi du gouvernement pouvant entrainer les mêmes effets. Comme on l'a relevé,  "C'est ce qui coule telle une cascade dans la mesure où puisque la Cour a le pouvoir de censurer toute loi en s'appuyant sur tous les moyens, elle donne un brevet, un satisfecit de constitutionna1ité à tout ce qui lui est soumis et qu'elle n'a pas assuré ". (M-A. Benabdallah). Manque de créativité juridique donc, gestion à minima de son contrôle aussi. Une occasion manquée d'enrichir le droit constitutionnel jurisprudentiel. Une occasion de mettre en relief la fameuse théorie du droit public, celle des circonstances exceptionnelles !
 

Refus de "statuer en l'état"

 

Avec cette décision du 6 août 2020, la Cour constitutionnelle a rendu une décision de refus de "statuer sur le règlement intérieur de la Chambre des conseillers". Le 26 juillet 2020, cette institution parlementaire avait approuvé six articles modifiant et complétant son règlement intérieur. En application de la Constitution, le président 1es soumet à l’approbation de la Cour constitutionnelle. Celle-ci déclare que ce texte ne peut être examiné en l’état quant à sa conformité à la Constitution. Le motif ? Le Chambre des conseillers, n'a pas observé les dispositions de l'article 69 de la Constitution relatives à 1’harmonisation et à la complémentarité des règlements intérieurs des deux Chambres ; qu’elle ne l’a pas voté dans son intégralité ; et qu’elle s’est ainsi 1imitée aux seuls articles 1e modifiant et le complétant. 
 

Assurément, voilà une nouveauté jurisprudentielle qui se distingue totalement de sa propre jurisprudence antérieure. Dans sa décision du 9 juillet 2019, la Cour avait examiné le règlement intérieur de cette même Chambre des Conseillers - avec des articles déclarés conformes à la Constitution et d'autres non conformes - mais sans se soucier de leur conformité aux principes d’harmonisation et de complémentarité, des impératifs qu'elle met en avant dans la décision précitée du 6 août 2020. Il faut ajouter qu’il s’agit là d’une   double notion qui est une "trouvaille" quelque peu singulière. Dans une décision en date du 11 septembre 2017, cette même Cour n’y avait en effet aucune référence. Mais il y a plus.  Qu’impliquent en effet nos deux principes ? Comment vérifier leur application ? Un travail qui aurait dû être fait par rapport à un texte antérieur, en l'occurrence le règlement intérieur en vigueur de la Chambre des représentants. 
 

Comme pour persévérer dans un cheminement erratique, la Cour qui avait pourtant  approuvé certains articles du règlement intérieur (décision du 9 juillet  2019) demande donc qu'ils lui soient  de nouveau soumis dans leur intégralité avec les modifications apportées aux articles non approuvés. Elle a invoqué à cet égard ce qu'elle appelle "l'unité organique" du règlement intérieur. Ce qui implique à ses yeux que la Chambre des conseillers qui modifie ou complète son règlement intérieur doit le voter de nouveau dans son intégralité, même les dispositions déjà déclarées conformes à la Constitution. Comme qu’il y avait une sorte de péremption pour le premier vote…
 

Laborieux tout cela. Erratique même…

Rédigé par Mustapha Sehimi sur https://quid.ma




Mardi 27 Juillet 2021


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