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Les paradoxes d’un simulacre d’enquête


En consacrant six épisodes à « L’énigme Mohammed VI », Le Monde a cru lever le voile sur un règne qu’il ne comprend pas. Mais ce feuilleton révèle moins le Maroc qu’il ne traduit les impasses d’un journalisme à charge, saturé d’insinuations, de raccourcis et de conditionnels. Dans cette deuxième partie, Driss Ajbali, sociologue et essayiste, et Naïm Kamal, directeur de Quid.ma, analysent comment vingt-six ans après son accession au Trône, les journalistes français, incapables de saisir la complexité d’un souverain réformateur et bâtisseur, et s’acharnent à réduire ses réalisations à des anecdotes et ses succès diplomatiques à des soupçons. Ce faisant, ils finissent par admettre ce qu’ils refusent de reconnaitre.



Par Driss Ajbali et Naïm Kamal

Toute la force de ‘’l’enquête’’ du journal français Le Monde tient dans l’alléchant titre ‘’L’énigme Mohammed VI’’. Produit d’appel, le titre, dit tout. Un échec et une impuissance. Vingt-six ans après son accession au Trône, ceux qui croient faire et défaire le monde à leur guise, peinent à cerner les ressorts d’un Roi qui échappe à leur entendement et à leur subjectivité. Faute de mieux, nos deux journalistes ont confectionné un chapelet de « prêt-à-penser » dans le pays du « prêt-à-porter ». C’est signe du temps. La France perd de son prestige et le journal Le Monde en est l’un des présages.

Ce que les deux journalistes ont fait dans ce feuilleton estival n’est pas nouveau. Faudra-t-il rappeler que les méthodes de ce journal furent en 2003, si méticuleusement dévoilées par une enquête, vraie celle-ci, de Pierre Péan et Philippe Cohen, dans La face cachée du Monde (1), ‘’tâchée’’ comme le souffle Abdelhamid Jmahri (2). Sur plus de 600 pages, Péan et Cohen ont divulgué ce qu’ils ont qualifié de journalisme de connivences, un journalisme où règne les relations incestueuses, l’accumulation des jugements à l’emporte-pièce et les approximations qui font fi de la vérification, première et impérieuse exigence du journalisme.

Les Services, ce nid de sécuritaires

En tentant de pénétrer dans la mare des services, là où l’eau est rarement claire, les deux compères veulent révéler les rivalités entre centres de pouvoir. Ce qui est inhérent au fonctionnement de tout État et qui, le plus souvent, traduit la vitalité d’un système institutionnel. Au Maroc, il devient un roman policier de petite facture et un facteur de paralysie. Et puisque entourés de mystère, ce qui est le propre même de leur métier, le renseignement et la sécurité deviennent des cibles privilégiées. Abdellatif Hammouchi d’un côté (DGSN/DGST), Yassine Mansouri de l’autre (DGED). Deux figures, deux institutions, deux miradors, qui, particulièrement depuis 2003, veillent sur la sécurité du pays.

Pour Hammouchi, n’ayant rien à se mettre sous la dent, les auteurs convoquent curieusement une vieille affaire qui a servi d’arrière-plan à la crise entre Paris et Rabat en 2014. Elle fut déclenchée par la convocation d’Abdellatif Hammouchi, alors en visite en France, par un juge français. L’affaire fut échafaudée sur la base d’une plainte pour « complicité de torture ». Pour le rapport entre cette saugrenue affaire et les prétendus « tiraillements » entre services marocains, on reste sur sa faim.

A moins qu’entacher l’image de ces deux hauts commis de l’État, et à travers eux l’efficience de leur travail, soit le seul objectif.  Les services marocains, de notoriété publique ont gagné, au fil du temps, en légitimité, en modernité et en efficacité. Ils sont des partenaires appréciés par leur collègues dans le monde tant ils apportent une précieuse valeur ajoutée dans la coopération en matière de sécurité internationale et de lutte contre le terrorisme. Au Maroc, ils sont respectés par toute la classe politique. Et c’est visiblement cette opérationnalité qui est dérangeante, et, en conséquence, victime d’une cabale répétée.

Le Roi, la constitution et les islamistes

« Mohammed VI a véritablement usé les islamistes, comme Mitterrand l’avait fait pendant la cohabitation avec Chirac ». Ces propos sont attribués à Hubert Védrine. Il aurait été plus judicieux de choisir l’exemple de Mitterrand et les Communistes. Chirac a perdu en 1988. Il sera élu en 1995. Les Communistes, puissant avant 1981, ont, eux, dilapidé leur pactole électoral suite à l’expérience du programme commun. Comme cela sera le cas du PJD.

Au lendemain de la nouvelle constitution de juillet 2011 et des élections législatives de novembre de la même année, le PJD est arrivé en tête.  Conformément à la nouvelle loi suprême, Mohamed VI a chargé Abdellah Benkirane, comme chef du gouvernement (et non plus en tant que premier ministre) de former le nouveau cabinet. Premier mais sans majorité, il est contraint à des alliances pour en constituer une coalition. Porté par l’air du changement, Benkirane réussit aisément à en former une.

En 2016, c’est une autre affaire. Premier, il a même progressé, mais il a aussi pris de l’embonpoint et des pattes d’oie ont fait leur apparition autour des yeux. Sa débordante truculence ne lui a pas fait que des amis et en face de lui quatre fauves : Hamid Chabat (Istiqlal), Ilyass El Omari (PAM), Driss Lachgar (USFP) et Aziz Akannouch, ministre de l’agriculture du gouvernement sortant, devenu, entre temps, président du RNI.

Sans parler de ses amis, lassés de ses mots et de ses manœuvres, à commencer par Saad-Eddine El Otmani, lâché par Benkirane en cours de route, et qui allait prendre sa revanche en le remplaçant à la tête du gouvernement. Dix ans d’exercice gouvernemental, ça use les slogans. En 2022, les islamistes sont naturellement balayés par les urnes. Que le Roi les apprécie ou les abhorre, n’a rien à voir. Il a respecté les dispositions de la constitution à la lettre.   Du grand art ? Sans aucun doute.

L’art de réduire un quart de siècle à un paragraphe

Le feuilleton du Le Monde tord les faits quand ils ne les escamotent pas. Il présume plus qu’il ne révèle. Il suppose plus qu’il n’analyse. Mais, contraints, les deux journalistes admettent, tout de même, la popularité intacte du Roi. Forcés, ils évoquent ‘’des acquis incontestables’’ durant son règne.

L’on voit passer, non sans avarice narrative, la reconnaissance ‘’des infrastructures nettement améliorées, le seul train à grande vitesse en Afrique (Tanger-Casablanca), des autoroutes, le complexe portuaire de Tanger Med, le désenclavement du nord du pays, une électrification rurale à 99 %, l’émergence d’une classe moyenne dans les grandes villes et une gestion remarquable de la pandémie de Covid-19’’.

On sait que les journalistes détestent les trains qui arrivent à l’heure. En termes d’acquis, ce qui mériterait un chapitre est réduit à un maigre paragraphe aussitôt neutralisé par le genre de pirouette qui annule le positif : ces acquis auraient ‘’transformé le paysage politique national en un véritable désert’’. Comme si la France, secouée par ses propres crises de représentation, et bien d’autres pays, n’étaient pas touchés par les transformations d’un monde qui se cherche de nouvelles formes d’expressions, d’action et de fonctionnement.

Le même état d’esprit toxique est observé quand ils abordent « l’attrait (du Roi) pour le « business », en particulier quand ils évoquent la holding royale Al MADA. Le ton est détracteur. Et l’accusation de gloutonnerie est à peine dissimulée. Ils finiront cependant par admettre la pertinence de la conviction royale que ‘’seul un capitalisme d’Etat musclé peut faire pièce à la mondialisation et aux investissements étrangers, qui risquent d’accaparer l’économie marocaine’’. Mais pour ‘’légitime’’ qu’elle soit, c’est eux qui l’affirment, ‘’l’inspiration’’ lui serait venu ‘’peut-être des Émirats arabes-unis’’. Un peut-être qui en dit long sur la vulnérabilité des affirmations. On le sait, le conditionnel et le « peut-être » sont les meilleurs airbags d’un journaliste.

Diplomatie, les contorsions d’une gêne

La volonté de dépossession est patente et se poursuit tout au long du feuilleton. Elle s’exprime régulièrement comme lorsqu’ils abordent le pouvoir religieux du sultan. Émanant de l’ancestral Commanderie des croyants, introduit par les Idrissides, consolidé par son arrimage à une ascendance chérifienne par les Saadiens et fortement reconduit par les Alaouites, Mohammed VI et ses ancêtres se voient redevables à Lyautey, et donc à la France.

L’histoire, elle, n’ignore pas que c’est plutôt le premier Résident général du protectorat français qui s’est dissimulé derrière le pouvoir religieux du Sultan pour mener à bien sa mission coloniale. Et c’est aller vite en besogne que de lui attribuer le sens et l’essence mêmes d’Imarat Al Mouminines.

De la même manière ils procèdent en tentant de faire planer l’ombre tutélaire de Jacques Chirac sur Mohammed VI. L’ancien président français, ami du Maroc, à bien essayé de s’immiscer indélicatement dans la gestion des affaires du Royaume, mais il a vite compris que Mohammed VI est très sourcilleux sur son périmètre puisqu’il fut très courtoisement tenu à distance. D’approximation en approximation, leur élan contorsionniste les amène à attribuer également le mérite de l’initiative du plan d’autonomie marocain à la France et qu’importe si Paris a mis dix-huit ans pour adhérer à la souveraineté marocaine sur le Sahara.

D’ailleurs il n’est pas sans signification si c’est au chapitre de la politique extérieure du Roi que les contorsions stylistiques des deux ‘’enquêteurs’’ se fissurent. Ils tentent bien, une nouvelle fois, d’attribuer le ‘’statut de puissance régionale émergeante’’ à ‘’l’adoubement d’Emmanuel Macron (qui) conforte(ainsi) le Maroc’’. 

Néanmoins et au risque de friser le ridicule, les deux compères n’ont d’autres choix, que d’admettre les coups de maitre de la diplomatie royale : l’ancrage africain du Royaume. La reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur la Sahara. La reconnaissance, en mars 2022, du plan marocain d’autonomie comme « la base la plus sérieuse par l’Espagne du premier ministre socialiste, Pedro Sanchez. L’Allemagne, de son côté, a bien suggéré de freiner le développement du Maroc, avant de se rendre, à son tour, à l’évidence de la marocanité du Sahara.

Last but not least, le bras de fer avec la France qui, à la grande déconvenue de Ayad et Bibon, se termine, dans l’apothéose, par la visite d’État à Rabat du président français. Ils déplorent qu’Emmanuel Macron n’ait pas pu résister à Mohammed VI avant de lancer, dans un soupir de regrets : si au moins ‘’la relation franco-algérienne – son premier tropisme – n’était pas restée toxique, si sa main tendue (de Macron) avait été saisie par Alger, bref, si son rêve d’une réconciliation avait été exaucé’’.

Avant de finir par s’incliner devant ‘’Mohammed VI, Roi des grandes manœuvres diplomatiques’’. Voilà qui nous met loin du jour où, en pleine crise maroco-espagnole de 2021, Le Monde appelait dans un éditoriale l’Union Européenne à « remettre à sa place » le Royaume chérifien.

Epilogue

On peut relativiser chaque succès. Lester chaque acquis par le soupçon. On peut avoir recours à plus puissant que le faux, en procédant à une mixtion du vrai et du faux. Il reste une chose sûre : la mystification résiste rarement aux faits. Mohammed VI, et l’Histoire le reteindra, est un réformateur et un bâtisseur. Il a conduit son pays à des avancées historiques tant économiques que sociales.

Un seul chiffre : Le PIB marocain a été multiplié par 4 passant de 43 milliards de dollars en 2000 à 151 milliards en 2025. Les ‘’enquêteurs’’ du Le Monde n’ont plus d’autre choix que de rendre au Roi ce qui appartient au Roi, contraints une nouvelle fois de l’admettre :  Mohammed VI a repositionné le Maroc dans le concert de nations. Il a imposé le Sahara marocain comme une évidence diplomatique et travaillé à une Afrique nouvelle.

En voulant écrire la ‘’fin de règne », ils ont signé, sans le vouloir, la reconnaissance d’un règne qui leur glisse entre les doigts et échappe à leur entendement et à ce qu’ils supposent être leur puissance de subversion. Pour ne réussir en définitive qu’à éloigner un peu plus les Marocains de la France, si toutefois leur dessein n’est pas ailleurs.

* « La Face cachée du Monde : du contre-pouvoir aux abus de pouvoir » est un livre d'investigation de plus de 600 pages, publié en 2003 aux éditions Mille et Une Nuits. Écrit conjointement par les journalistes Pierre Péan et Philippe Cohen, il dévoile une dérive de la ligne éditoriale et de la gouvernance du quotidien Le Monde, qui, selon eux, est passé du rôle traditionnel de contre-pouvoir à une posture d'influence partisane et d’abus de pouvoir.

L’ouvrage, résultat de deux années d’enquête, a connu un engouement remarquable, se vendant à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Journaliste du Monde, Daniel Schneidermann fait publiquement une critique positive du livre, ce qui conduit à son licenciement. Il obtiendra gain de cause devant les prud'hommes.

**Abdelhamid Jmahri est éditorialiste et directeur du quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki 




Dimanche 31 Août 2025

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