On peut saluer les prévisions publiées par l’OCDE pour le Maroc :
Dans un environnement mondial marqué par la fragmentation géoéconomique, par le renchérissement du commerce international et par les incertitudes énergétiques, cette photographie n’a rien d’anodin : elle signale un Maroc résilient, capable d’absorber les chocs tout en préservant ses fondamentaux.
Beaucoup s’en réjouiront, et à juste titre. Mais comme toujours, une lecture attentive du document-mère révèle un paysage plus nuancé que celui relayé par les titres de la presse économique, qui fait son travail : extraire les tendances clés, rassurer parfois les investisseurs, comme c’est le cas partout dans le monde.
La profondeur d’un rapport ne peut jamais se réduire à ses intertitres.
Notre démarche, elle, obéit à un autre impératif.
Lire un rapport international n’est pas commenter un tableau de chiffres : c’est chercher ce qui se dit, mais aussi ce qui ne peut pas se dire ; c’est comprendre les liens invisibles entre les indicateurs, les trajectoires institutionnelles, les dynamiques territoriales et les temporalités contradictoires qui composent le réel.
Le Maroc n’est pas un agrégat de courbes, mais une architecture vivante, traversée par ses héritages, ses tensions productives, ses vulnérabilités et ses promesses. Et c’est seulement en observant l’ensemble de la structure que la prévision prend son sens.
De ce point de vue, le rapport de l’OCDE mérite d’être lu autrement : non pour le contredire, mais pour l’élargir. Car si la croissance annoncée est bien là, la question qui se pose n’est plus celle de croître, mais celle de se transformer.
Le Maroc a su attirer, stabiliser, résister. Il lui reste désormais à approfondir. A passer d’un régime d’accumulation de projets à un régime de sélectivité stratégique, capable de produire du contenu local, de l’emploi qualifié et des effets d’entraînement durables.
C’est la véritable ligne de crête du rapport, que l’on ne perçoit qu’en le lisant dans son intégralité.
Prenons d’abord ce que l’OCDE reconnaît explicitement.
Le noyau exportateur : automobile, aéronautique, offshoring, bientôt hydrogène vert, continue d’afficher une solidité qui force le respect.
L’inflation redevient maîtrisable, la consolidation budgétaire suit son cours et la dette publique se stabilise. Nous venons de traverser un cycle de turbulences inédit et le Maroc s’en sort mieux que beaucoup d’autres économies émergentes.
C’est un fait. Mais un fait n’est pas une stratégie. Et c’est précisément là que la lecture s’approfondit.
Car au détour des paragraphes, l’OCDE insiste, discrètement mais fermement, sur deux angles morts qui conditionnent l’avenir : la productivité et l’emploi, en particulier l’emploi des jeunes.
La création de postes formels reste insuffisante pour absorber l’arrivée annuelle de nouveaux diplômés sur le marché du travail et la productivité stagne depuis une décennie, en dépit des performances sectorielles.
C’est là un signal majeur : une croissance qui n’élargit pas le socle des opportunités finit, tôt ou tard, par se heurter à ses propres limites.
Si la demande intérieure reste un moteur de croissance, une question se pose : combien de cette demande profite réellement à l’économie locale ? Car une partie significative des biens consommés au Maroc : électroménager, produits transformés, intrants industriels, est encore importée.
De même, une fraction significative de l’investissement public repose sur des équipements importés. Autrement dit : une partie de l’impulsion de croissance créée au Maroc s’échappe vers des appareils productifs étrangers.
Le multiplicateur keynésien reste faible, et l’OCDE, tout en mentionnant les importations, ne va pas jusqu’à articuler ce constat à la question centrale : la montée en gamme du tissu productif national.
C’est ici que la distinction entre la croissance et la transformation prend tout son sens. Une croissance dont le contenu local demeure faible mobilise des ressources sans toujours renforcer les capacités internes.
Elle fait avancer l’économie, mais rarement la société ; elle génère du mouvement, mais pas forcément de la profondeur.
Le secteur industriel, quant à lui, ressort renforcé dans le rapport et ce diagnostic est juste.
L’automobile assemble, mais irrigue encore peu. L’aéronautique excelle, mais reste une enclave technologique. L’offshoring crée des emplois, mais fabrique peu d’effets d’entraînement.
Le rapport valide la progression, mais la question essentielle demeure : comment faire de cette industrialisation non plus une exception performante, mais une dynamique partagée ? Comment transformer des filières en systèmes et des systèmes en territoires productifs ?
Cela suppose d’affronter une réalité que les modèles internationaux peinent à intégrer : le Maroc n’est pas un bloc homogène. Il est un pays de résiliences différenciées : le Souss innove, le Nord se renforce, Laâyoune se projette, l’Oriental patine, le Haouz expérimente.
Dans certains territoires, la confiance sociale, ce capital invisible que North, Greif ou Ostrom ont théorisé, facilite les coopérations économiques ; ailleurs, elle se délite et rend toute politique publique plus lente et plus coûteuse.
Dans ces conditions, la diffusion de la croissance dépend moins de sa vitesse que de sa capacité à circuler.
Une croissance qui ne s’organise pas, qui ne synchronise pas ses temporalités : urgence climatique, temps long de la formation, inertie administrative, horizon industriel, finit par s’épuiser. Une croissance qui se structure devient un projet national.
Le rapport de l’OCDE laisse ainsi apparaître, en creux, plusieurs priorités qui ne relèvent pas de politiques isolées, mais de la coordination.
La question n’est plus d’accumuler des projets, mais d’arbitrer, de choisir, de séquencer. Moins d’instruction verticale, davantage d’alignement stratégique.
Moins de dispositifs juxtaposés, davantage d’effet systémique.
C’est dans cette capacité à synchroniser les décisions, les incitations et les calendriers que se jouera désormais l’efficacité de l’État.
Il reste enfin une variable, plus discrète mais décisive : la qualité des interactions locales.
Là où la confiance existe, la transformation devient possible ; ailleurs, elle reste théorique.
C’est ce capital immatériel, fait de réputation, de fiabilité, de coopération, qui fera la différence entre une croissance comptée et une croissance construite.
Le Maroc avance, le rapport de l’OCDE le montre. Mais il avance sur une trajectoire où la vitesse dépasse parfois la qualité des appuis. La croissance rassure, mais elle ne suffit plus.
L’enjeu est désormais de grandir, c’est-à-dire de convertir la résilience en puissance, et le mouvement en capacité.
Le Maroc en a les moyens : les talents, les territoires, les institutions. Ce qui lui manque encore, ce n’est pas un nouveau modèle : c’est un geste stratégique, simple et profond, qui permettra de passer de la croissance constatée à la transformation assumée.
C’est ce geste-là qu’il faut désormais accomplir.
PAR ADNAN DEBBARH/QUID.MA












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