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Ma copie du Bac de Philo 2030


Sujet Bac philo 2030 : Et si l’on confondait le fait d’être heureux avec le fait d’être momentanément distrait de notre chagrin quotidien



La Copie de Adnane Benchakroun

Il y a un geste discret, banal, qui raconte déjà notre époque : balayer l’écran du pouce pour chasser une notification au moment précis où remonte un pincement au cœur. Une vidéo, un message, un “like”, et le silence intérieur se remplit. Pendant quelques secondes, la pesanteur se dissipe. On sourit. Faut-il y voir un signe de bonheur ? Ou seulement l’ombre chinoise d’un soulagement fugace, un simple déplacement d’attention qui met notre chagrin en veille ?

La question n’est pas rhétorique ; elle est existentielle. Elle nous oblige à distinguer l’état d’être heureux durablement, structurant des effets anesthésiants d’une distraction brève et  dérivante. Derrière cette confusion se joue la qualité de nos vies.

Depuis Pascal, on sait nommer ce mécanisme : le divertissement. Non pas la fête innocente, mais l’art de se détourner de soi pour ne pas rencontrer la vérité de sa condition. On court, on parle, on travaille, on scrolle, pour éviter d’entendre ce qui persiste au fond : la fatigue, le manque, l’angoisse, l’inachevé. Notre modernité a industrialisé ce réflexe.

L’économie de l’attention, les algorithmes et la culture du “toujours plus” ont transformé la diversion en système. Rien de nouveau sur le fond ; tout change dans l’intensité et la portabilité. La distraction est désormais à portée de main, sans friction, à tout moment où l’âme flanche. Et plus l’accès est facile, plus la confusion est dangereuse : la pause paraît être la paix.

Pour démêler, commençons par préciser les mots. Être distrait, c’est subir ou choisir un déplacement de l’attention. Un autre objet s’empare de notre esprit et, par effet de saturation, le chagrin recule hors champ.

Être heureux, c’est autre chose : une tonalité d’existence où le désir, l’action et le sens trouvent un accord, même fragile. Le bonheur n’est pas l’absence de douleur ; c’est la présence d’une cohérence qui rend la douleur vivable. Sur ce point, Épicure ne disait pas seulement que le plaisir est bon ; il rappelait le rôle de l’ataraxie, cette tranquillité de l’âme qui se construit par la mesure, l’amitié, la lucidité. Rien à voir avec la succession de micro-évasions qui épuisent sans édifier.

Certes, la distraction peut soulager, et le soulagement n’est pas méprisable. Nietzsche lui-même, qui exhorte à dire “oui” à la vie, n’ignore pas le besoin de respirations brèves. Mais le soulagement ne suffit pas à fonder une vie. Il est à la souffrance ce que la morphine est à la fracture : utile, parfois nécessaire, insuffisant à réparer l’os. Le risque de notre temps n’est pas la distraction en soi ; c’est sa promotion au rang de finalité. On confond l’interlude avec la symphonie, l’entracte avec la pièce. On collectionne des moments “up” pour ne pas réécrire la partition.

Cette confusion s’alimente de trois croyances fallacieuses. Première croyance : “Sentir quelque chose d’agréable, c’est être heureux.” Mais l’agréable peut être trompeur. Les micro-récompenses — une notification, un achat, une flatterie — fonctionnent comme des étincelles chimiques dans le cerveau. Elles ne construisent pas une orientation, elles l’interrompent. Deuxième croyance : “Le temps rendra tout supportable si je m’occupe assez.” Or le temps n’opère pas par magie ; il dépose ce qu’on refuse de regarder et le durcit. Ce qui n’est pas traversé revient sous d’autres masques : irritabilité, cynisme, sabotages. Troisième croyance : “La souffrance est un bug qu’il faut éliminer.” Camus nous rappelle l’inverse : elle est un fait, et la révolte consiste à la reconnaître sans renoncer à la joie. L’être heureux ne fuit pas la peine ; il la inscrit dans une trame de sens.

Il faut alors proposer des critères simples, presque hygiéniques, pour ne pas prendre des reflets pour des sources. Premier critère : la durée. Le bonheur s’évalue sur une temporalité étendue ; il présente une continuité, même discrète, qui survit aux aléas. La distraction, elle, s’éteint dès que l’objet cesse de nous occuper.

Deuxième critère : l’orientation.Le bonheur oriente l’existence ; il réorganise les priorités, il rend certaines renonciations intelligibles. La distraction, au contraire, suspend l’orientation ; elle met la vie “entre parenthèses”, puis la rend comme elle était.

Troisième critère : la fécondité. Le bonheur produit, au fil du temps, de la qualité relationnelle (amitié, loyauté, gratitude) et de la créativité (projets, œuvres, gestes utiles). La distraction produit surtout la nécessité d’une distraction suivante. Quatrième critère : la présence. Le bonheur nous ramène au réel — à sa rugosité comme à sa beauté. La diversion nous disloque et nous dissocie.

La question reste : que faire de nos chagrins quotidiens ? Ils ne sont pas toujours tragiques ; souvent, ils sédimentent en petites douleurs : une fatigue qui s’éternise, un sentiment d’injustice, un regret qui revient, des inquiétudes matérielles. On croit les apaiser en “s’occupant” davantage. Le paradoxe est que cette agitation augmente le bruit de fond, réduit la capacité à nommer ce qui blesse et retarde les décisions qui libèrent.

La tâche philosophique, modeste et exigeante, consiste à transformer la douleur non en sensation, mais en information.
Que me dit ce chagrin sur mes limites, mes attachements, mes illusions ?
Que faut-il quitter, réparer, demander, apprendre ?

Hannah Arendt distinguait le “travail”, qui entretient la vie biologique, de “l’œuvre”, qui donne un monde durable, et de “l’action”, qui inaugure du nouveau. La distraction déborde de travail, une maintenance permanente du psychisme , mais elle ne produit ni œuvre ni action. Le bonheur, lui, suppose un minimum d’œuvre (une forme à donner à sa vie) et d’action (une parole, un geste, un engagement). Réparer une relation, apprendre un art, s’impliquer pour une cause locale : autant de micro-architectures qui transforment la peine en ressource. Ce n’est pas spectaculaire, c’est fondateur.

On objectera que la distraction a aussi une dimension ludique, et que le jeu n’est pas l’ennemi du bonheur. Objection juste. Le jeu peut être un laboratoire du sens, un espace de gratuité qui rééduque notre attention à la joie. La différence tient à la conscience et à l’intention. Jouer en connaissance de cause, par choix partagé, peut accroître la capacité d’habiter le monde. Se distraire pour ne pas sentir, par réflexe compulsif, amincit la vie.

L’enjeu, encore une fois, n’est pas moraliser nos plaisirs ; il est de discerner ce qu’ils nourrissent en nous : une fuite ou une présence.

Reste la dimension sociale. Notre confusion n’est pas seulement individuelle ; elle est orchestrée. Publicités, plateformes, industrie culturelle fabriquent des environnements qui monétisent nos micro-échappées. Le marché sait que l’humain souffre ; il vend des respirations emballées. Refuser la confusion, c’est aussi un geste politique : reprendre la souveraineté sur son temps, poser des limites, créer des zones franches de silence, d’attention longue, de liens épais.

L’amitié vraie, par exemple, est un correctif puissant : elle ne cherche pas à “changer de sujet” quand l’un chancelle ; elle tient, elle écoute, elle initie des actes concrets. Le bonheur a besoin de ces alliances.

On peut alors risquer une définition provisoire, opératoire. Être heureux, ce n’est pas ne plus être atteint, ni être constamment exalté. C’est habiter le réel avec assez de justesse pour que le chagrin n’ait plus le dernier mot. C’est accepter la part de manque sans en faire un dieu, et faire place à des biens plus forts : la vérité d’une parole, la beauté d’un geste, la fidélité à une promesse, la croissance d’une œuvre. Cela demande de l’entraînement : apprendre à rester avec ce qui fait mal, quelques minutes de plus, pour entendre ce qu’il indique ; puis décider, non pas d’éteindre, mais d’orienter.

Rien n’empêche alors d’aimer les distractions, mais comme on aime des haltes sur une route dont on connaît la direction. Un film, un match, un jeu, une promenade, peuvent être des respirations qui épaississent la vie quand ils s’inscrivent dans une existence qui cherche la qualité. Ils redeviennent toxiques lorsqu’ils prétendent être toute la vie, lorsqu’ils promettent, mensongèrement, d’abolir le tragique. Le bonheur n’abolit pas le tragique ; il l’englobe.

Ce sujet, par définition, réclame une conclusion nette. La formule pourrait être celle-ci : nous ne sommes pas condamnés à l’alternative entre souffrir en face et se divertir pour oublier.

Un chemin médian existe, qui n’est ni la complaisance ni l’ivresse, mais la lucidité joyeuse. Reconnaître nos chagrins, les traduire en décisions, construire des formes de vie qui tiennent, et laisser aux distractions une place mesurée.

Alors, le sourire qui nous vient en regardant une vidéo drôle ne se confondra plus avec le bonheur ; il en sera parfois le signe modeste, parce que la maison intérieure, elle, aura des fondations. L’enjeu, discret et colossal, est de redevenir auteur du montage : ne plus subir la succession des plans, mais choisir ce qui mérite d’entrer dans le film. La joie n’est pas un effet spécial ; c’est une réalisation.



Mardi 21 Octobre 2025

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