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Mendiant connecté cherche donateur sans espèces

Une chronique grinçante sur l'absurdité d’un progrès technologique qui contourne les vrais enjeux sociaux.


Rédigé par le Mercredi 23 Juillet 2025



Le smartphone dans une main, la main tendue dans l’autre. Voilà peut-être le nouveau portrait du mendiant 2.0 à Casablanca.

Une image digne d’un sketch, d’une satire, d’un monde où le réel dépasse joyeusement la fiction. Pourtant, ce n’est ni une farce ni une annonce promotionnelle d’une startup sociale. D’après une rumeur qui enfle dans les travées des réseaux sociaux et les cercles de discussion les plus fumeux, les mendiants casablancais seraient bientôt équipés de TPE (terminaux de paiement électronique). Oui, vous avez bien lu. Des TPE. Ces petites machines qu’on voit chez les coiffeurs, les taxis un peu modernes, ou les vendeurs de sneakers sur Instagram. Désormais, il suffira de tapoter sa carte ou son téléphone sur un terminal pour faire l’aumône, version sans contact. C’est moderne, c’est pratique, c’est… surréaliste.

​La fin du "je n’ai pas de monnaie"

Il faut l’admettre : le sempiternel "désolé, j’ai que des billets" ou "j’ai pas de monnaie" ne fonctionnera plus. Cette excuse, qui permettait aux plus gênés d’échapper à la culpabilité du refus, appartient désormais au passé. Car les mendiants nouvelle génération seront prêts à tout… sauf au cash. Et c’est là où l’histoire devient drôle. Et grinçante. On ne parlera plus de "mendicité de rue" mais de "donation fluide numérisée". À quand l’application ? “BegPay” ? “Donatify” ? Peut-être une super-app intégrant statistiques, notifications, et suggestions de mendiants proches de chez vous.

Mais derrière cette idée ubuesque se cache un malaise bien plus profond. Car si la nouvelle prête à sourire, voire à éclater de rire nerveusement, elle révèle aussi un monde où la pauvreté est institutionnalisée, intégrée dans le système économique, et… modernisée.

​Un secteur économique à part entière ?

Car c’est là le deuxième pilier de cette nouvelle farce à la Kafka : la reconnaissance de la mendicité comme "secteur structuré et porteur". Selon certains défenseurs de l’initiative, il s’agirait d’un secteur participant à la lutte contre le chômage, à la réduction de la criminalité organisée, voire au maintien de l’équilibre social. On parle de cinquante mille bénéficiaires, avec un souci de parité hommes-femmes s’il vous plaît. Oui, le mendiant du futur n’est plus marginal. Il est un rouage de l’économie urbaine, avec peut-être bientôt un statut, un syndicat, et pourquoi pas un congrès annuel sponsorisé par une banque digitale.

Alors, est-ce une forme d’inclusion inédite ou un aveu d’échec des politiques sociales ? Moderniser la précarité, est-ce vraiment la solution ? Peut-on vraiment “digitaliser” la misère, sans l’éradiquer ? À force de tout vouloir "transformer numériquement", on se retrouve à rendre high-tech ce qui devrait être traité en urgence sociale.

​L’humour noir des paradoxes marocains

Le paradoxe est mordant. D’un côté, des zones rurales marocaines sans accès à Internet, des élèves sans manuels, des citoyens sans couverture médicale. De l’autre, des mendiants en centre-ville équipés de terminaux sans contact. L’ironie ne tue pas, elle s’imprime sur la rétine collective comme une anomalie logique. On aurait aimé que cette même volonté de modernisation soit appliquée aux hôpitaux surchargés, aux écoles délabrées, ou aux quartiers marginalisés.

Mais il faut dire que cette époque a le sens de la mise en scène. Et Casablanca, déjà embouteillée d’inégalités, devient la vitrine d’un progrès dévoyé. On pousse le bouchon de l’innovation jusqu’à l’absurde, en maquillant la pauvreté numérique en solution numérique à la pauvreté.

​Et si on s’indignait (juste un peu) ?

On peut rire, bien sûr. L’idée a un potentiel comique indéniable. Mais aussi un pouvoir d’alerte. Car ce genre de mesure, même si elle part d’un bon fond (soyons naïfs une minute), traduit surtout un glissement dangereux : celui de l’acceptation fataliste de la misère, comme composante inévitable de nos villes. On ne lutte plus contre la pauvreté : on l’organise. On ne cherche plus à intégrer les plus démunis : on leur donne des outils pour mendier plus efficacement.

Une société qui équipe ses mendiants de TPE, c’est peut-être une société qui a baissé les bras. Qui préfère rationaliser la détresse plutôt que la combattre. Ou qui trouve plus sexy, sur un rapport PowerPoint, de parler de “modernisation inclusive” plutôt que de “manque de vision sociale”.

​Une satire bien réelle

Au fond, cette histoire pourrait être signée Charlie Chaplin ou Kamel Daoud. Une farce sociale, grinçante et tragique à la fois. Une sorte de sketch dans lequel un monde ubérisé pousse le progrès technologique jusqu’au plus grotesque. Et comme toujours, ce qui est drôle n’est pas ce qui est faux, mais ce qui est trop vrai pour qu’on l’ignore.

Peut-être qu’un jour, une pièce de théâtre ou un film satirique mettra en scène ce mendiant moderne, qui refuse la monnaie et exige un paiement via carte bancaire. Et peut-être que le spectateur en rira. Mais ce rire-là, comme souvent, sera un peu jaune.

​A l'origine de cette chronique : Le jour où un faux mendiant m’a demandé un virement

Un jour, dans un café d’Ain Diab, un homme s’approche de moi. Il n’a pas l’air d’avoir dormi dehors, ni même de souffrir particulièrement. Il me tend un petit papier : "svp monsieur, je suis dans une situation difficile, si vous pouvez m’aider, voici mon RIB." J’ai cru d’abord à une blague.

Mais non. L’homme avait tout prévu. Pas de pièce ? Pas grave, un petit virement suffira. Ce jour-là, j’ai compris que la pauvreté changeait de visage. Et que l’aumône aussi. Depuis, je garde un doute permanent : suis-je face à un besoin réel, ou à un business ? Dans les deux cas, c’est le système qui est malade. Et nous avec.

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Mercredi 23 Juillet 2025

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