Dans la deuxième partie de cette série de chroniques partie du Bassin des anguilles de Chella pour associer culture et Coupe du Monde 2030, le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaumes a plaidé pour un audit éditorial national de la signalétique patrimoniale afin de garantir des textes précis, sourcés et respectueux des normes de l’ICOMOS et de l’UNESCO, avant l’afflux de visiteurs attendu avec la Coupe du monde 2030.
Dans cette troisième partie Abdeljlil Lahjomri plaide pour que le Maroc ne limite pas son ambition à l’organisation sportive, mais qu’il transforme cet événement, à l’instar de ce que d’autres pays ont fait, en une véritable épopée culturelle.
Signalétique, patrimoine, festivals, fans zones et mise en lumière des figures sportives et historiques : l’enjeu est de faire du Maroc marocain, africain et universel un livre ouvert où chaque rue, chaque monument et chaque spectacle raconteront une histoire, offrant aux visiteurs une immersion totale dans l’âme du pays.
Le Maroc accueillera bientôt le monde.
C’est ce qui ressort de l’extraordinaire cartographie du sensible et de l’impérissable publication qu’un collège pluridisciplinaire de scientifiques et d’érudits, a publié récemment : intitule « La Nouvelle Géographie du Maroc ». Je cite cet ouvrage, car la lecture précèdera le voyage de nos visiteurs, de nos hôtes et parmi eux, nombre de nos compatriotes vivant dans la diaspora et qui saisiront la fête du sport pour revoir la patrie ancestrale. J’insiste un peu sur la lecture, car le Maroc de 2030 sera autant lu que vécu, autant vu, apprécié et applaudi, qu’il saura conter et se raconter.
Pour y parvenir, nous devons, sans revêtir l’habit des cassandres, alerter sur ce qui est urgent à identifier pour faire d’une pierre deux coups en 2030 : un rendez-vous sportif et une épopée culturelle. Sommes-nous assez mobilisés pour relever ce défi et le réussir ?
La signalétique, miroir de la culture
Le Marocain est certes accueillant. Il est toujours disposé à renseigner le voyageur ou le citoyen cherchant son chemin, surpris et déboussolé par le rythme effréné des modifications urbaines dans nos cités en chantier. Nos concitoyens sont polyglottes. C’est heureux. Mais le rédactionnel public est irremplaçable. Me vient à l’esprit une confidence du roi des Bamoum (Cameroun) lors de sa visite à Rabat en 2023. Il me confía que son grand-père l’inventif monarque a « inventé une langue qui ne parle pas ». Cette langue qui ne parle pas, ce sont les signes et caractères qui semblent en effet muets, mais qui sont prolixes, derrière leur immobilité.
Une signalétique bien faite est donc en elle-même un message percutant : celui d'un pays qui soigne son histoire et sait la transmettre lorsqu’il est de faire appel à l’onomastique ou à l’événementiel. Les noms sont chargés d’histoire et la signalétique est aussi le signe du respect que nous devons à ceux qui sont partis, qui ont laissé des références qu’il est urgent de noter et de rétablir lorsque l’usure du matériel et l’œuvre des intempéries ont abîmé une trace, un signe, modifiant son sens et son message.
Tracer et retracer n’est pas le seul apanage des urbanistes, il est un devoir civique.
Je suggère une mobilisation citoyenne qui signalerait là où cela se fait remarquer des supports et descriptifs endommagés et une signalétique altérée. Ce faisant, les marocains s’approprieront aussi les marqueurs historiques renseignés par le cadastre, la direction du patrimoine ou par le mobilier urbain. Il semble impératif et urgent d’harmoniser l'ensemble de la signalétique patrimoniale et urbaine : plaques, panneaux, noms de rues, brochures touristiques, affiches dans les transports, programmes commémoratifs. En 2030, chaque mot sera l’image du Maroc, et chaque image dira le Maroc en mille mots.
Au-delà des mots, il faudra aussi des sons et des émotions.
Le Maroc doit inventer son épopée culturelle
Un tel projet aura pour fil conducteur l’Afrique des convergences et non celle des contingences. Il faudra, pour la Coupe du monde 2030, prévoir des fans zones, regroupant des spectateurs où les matchs seront diffusés. Il conviendrait aussi que nos quartiers populaires soient connectés à la fête culturelle à travers une caravane festivalière durant ce Mondial. Ce sera la tâche à assigner au Festival des cultures du Maroc et d’Afrique. Le Mondial se déroulant au Maroc se déroulera aussi en conséquence en Afrique.
Le sport attire et fait vibrer ; la culture, elle, séduit et se fixe dans la mémoire.
Dans tous ces cas, le sport a fait l'événement, mais la culture lui a donné de la splendeur. En 2030, le Maroc, demi-finaliste de la dernière Coupe du monde au Qatar doit viser plus haut, avec tout le respect que nous avons pour nos deux autres nations amies et partenaires, l’Espagne et le Portugal, chaque nation évoluera avec la victoire finale pour but suprême.
Tel est aussi le challenge interne qui s’exprime derrière l’idée de la glorieuse incertitude du sport. L’horizon sportif est donc clair. Il reste toutefois l’autre versant du défi et qui exalte nos trésors culturels. En 2030, le Maroc doit aussi jouer (dans et hors les stades), la cartes de ses cultures.
On pourrait donc imaginer une conception typiquement marocaine dont les missions seraient :
- Valorisation de la diversité linguistique et calligraphique (tifinagh, arabe, amazigh,).
- Mise en avant des cultures orales avec un projet comme « La route des conteurs ».
- Fans zones et caravanes culturelles reliant villes, campagnes et quartiers populaires.
- Création d’un grand Festival des cultures du Maroc et d’Afrique.
Ces initiatives donneraient au Mondial une dimension citoyenne et artistique, avec concerts, spectacles vivants, concours scolaires et universitaires.
La montée en puissance d’un festival des cultures
Ce festival des cultures serait porteur d’une grande respiration citoyenne et créative. Elle mettrait en scène toutes les facettes de notre génie culturel aux mille et une séduisante formes : des nuits inspirantes célébreront le patrimoine dans les médinas, sur les remparts et dans les sites de haute mémoire de Tanger aux confins de Dakhla, dans les gares et aéroports, les musées, les institutions culturelles, dans des festivals de musique andalouse, sacrée, amazighe et melhoun.
Des spectacles vivants retraceront aussi nos grandes épopées historiques comme le voyage de Ibn Battuta à Tombouctou avant son périple en Asie. A cela s'ajouteraient des projets citoyens, scolaires et universitaires pour impliquer la jeunesse à travers des concours d’écriture, d’éloquence, de récitations, d’improvisation théâtrale, de rédactions de chroniques sportives et culturelles.
Une impressionnante célébration culturelle, parallèle à l'ouverture sportive en 2030, aura pour objet de montrer au monde l'arc-en-ciel des cultures marocaines.
L'investissement financier sera modeste comparé aux coûts exorbitants des infrastructures sportives, mais son impact émotionnel éducatif sera immense.
Un rappel : 2030, c’est déjà demain !
Il nous reste peu de temps, en réalité, pour revoir nos plaques de rue et ne pas désespérer les anguilles de Chella. Il nous reste peu de temps pour harmoniser nos rues, « dazibao » urbains, pour emprunter au chinois les murs et dispositifs communicationnels sur lesquels l’affichage public informe et guide le visiteur. Cinq ans, c’est néanmoins suffisant pour corriger notre approche de l’information publique, nos brochures et nos affiches.
Cinq ans, c’est un délai raisonnable pour relever un challenge lancé aux Marocains par le monde pour bâtir un paysage festif conforme aux plus hautes traditions et aux ambitions légitimes ! Cinq ans sont à portée de plume, de main et d’imagination, à portée de notre savoir-faire et de nos capacités à innover pour transformer ce rendez-vous sportif en une mémorable odyssée culturelle.
Inventer une Coupe du monde culturelle
Le sport subjugue et fait vibrer ; la culture est quant à elle une puissante racine qui ne s’épanouit que dans l’offre d’exaltation et d’enchantement. Les exemples mondiaux sont là qui le prouvent :
- France 2024: Olympiades culturelles aux côtés des Jeux Olympiques.
- Chine 2008-2010 : valorisation des arts traditionnels et contemporains.
- Brésil 2014-2016 : football et samba en symbiose.
- Afrique du Sud 2010 : vuvuzelas, mémoire de l’apartheid et musique.
En 2030, le Maroc doit viser plus haut, fort de son parcours historique jusqu’en demi-finale au Qatar. Mais le football seul ne suffira pas : il faudra aussi magnifier les trésors culturels et archéologiques. Au-delà des stades et des festivals, le Maroc de 2030 pourra aussi mettre en lumière son patrimoine archéologique exceptionnel, témoin de la profondeur historique du Royaume.
Le site antique de Volubilis, inscrit lui aussi au patrimoine mondial de l’UNESCO, constitue l’un des ensembles archéologiques romains les mieux conservés d’Afrique du Nord. Ses mosaïques, ses basiliques et ses arcs triomphaux racontent l’histoire millénaire d’un Maroc au carrefour des civilisations.
Mais ce patrimoine ne se limite pas au nord.
Enfin, à Dakhla, les fouilles révèlent des sites rupestres et des témoignages uniques d’échanges humains et commerciaux dans cette admirable région.
Gloires et légendes du sport marocain en haut de l’affiche
Le Mondial 2030 sera également l’occasion de rendre hommage aux figures sportives qui ont marqué l’histoire du Maroc, qui sont entrées dans le panthéon universel par leurs performances et qui incarnent notre mémoire collective :
- Abdeslam Radi : premier médaillé olympique marocain (Rome 1960)
- Mustapha Hadji : Ballon d’or africain 1998, symbole du football marocain des années 1990.
- Ahmed Faras : Ballon d’or africain 1975 et capitaine de la génération dorée des années 1970.
- Badou Zaki : gardien légendaire, finaliste de la CAN 2004 et icône du football marocain.
- Mohamed Timoumi : Ballon d’or africain 1985, artisan de l’épopée mondiale de 1986.
- Larbi Ben Barek : surnommé « La Perle noire », pionnier du football marocain et mondial, idole de Pelé, légende de l’OM et de l’Atlético Madrid.
- Abdelkrim Merry Krimau : attaquant emblématique des Lions de l’Atlas dans les années 1970-80, buteur décisif à la Coupe du Monde 1986.
- Mohamed Bouderbala : capitaine charismatique de l’équipe nationale, héros de Mexico 1986 et figure du football marocain des années 1980.
Ces champions, par leurs exploits, ont inscrit le Maroc sur la carte du sport mondial. Ils méritent, en 2030, une célébration qui associe mémoire, gratitude et inspiration pour les nouvelles générations. Ils sont aussi dans l’acception du terme selon Pierre Nora des lieux de mémoire.
Le Maroc accueillera le monde. De gigantesques efforts sont à l’œuvre.
Il s’agit surtout de faire en sorte que le monde reçoive dignement le Maroc et nous y parviendrons en mobilisant la prodigieuse diversité de nos cultures, de nos acquis, par la qualité et l’excellence de nos programmes. Pour le Mondial 2030, le Maroc possède de belles cartes et doit aussi jouer (dans et hors les stades) l’inestimable carte de ses atouts culturels.
Par ABDELJLIL LAHJOMRI / QUID.MA












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