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Pour commencer, peut-être est-il utile de faire ce constat: la vie parlementaire, telle qu’elle se déroule, paraît bien essoufflée, décalée et sans grand intérêt pour les citoyens.
Le Parlement, une simple chambre d’enregistrement comme le martèle l‘opposition? Une qualification sans beaucoup de nuances. Il est vrai que le gouvernement ne se distingue pas tellement par une disposition à l‘endroit de cette institution où il a pourtant une majorité confortable dans chacune des deux Chambres.
C’est que, les députés, dans l‘exercice de leur mandat, n’arrivent pas à s’investir pleinement dans leur mission. À quoi bon? Ceux de la majorité n’ont pas d’autre choix que de «suivre» leurs trois groupes respectifs, à savoir le RNI, le PAM et le PI.
Quant à ceux de l‘opposition, ils s’estiment, non sans raison, marginalisés par toutes sortes d’actes: refus d’une commission parlementaire sur le marché des ovins, absence des ministres sur le banc du gouvernement, minoration corsetée des mécanismes de contrôle, etc.
Rien d’étonnant dans ces conditions que l‘abstention se soit durablement installée: la Loi de Finances 2025 a été votée seulement par 178 députés contre 57 (celle de 2024 était également dans le même étiage, en l‘occurrence 175/59); la loi organique sur le droit de grève adoptée le 5 février dernier par 80 voix contre 20; et la loi modificative du Code de procédure pénale votée le mardi 20 mai avec 130 voix contre 40.
Voilà des textes législatifs importants approuvés avec une faible voire très faible majorité des 395 membres de la Chambre des représentants.
Qu’en est-il maintenant du côté de l‘opposition? Numériquement, elle compte 125 voix réparties comme suit: USFP (34), MP (28), UC (23), PPS (220) et PJD (13).
Est-elle unie ? Pas vraiment. Pèsent encore sur elle des contraintes de la précédente législature.
D’abord, il y a le lourd contentieux entre le PJD et l‘USFP qui avait empêché Abdelilah Benkirane, alors chef de l‘Exécutif sortant, de disposer d’une majorité de reconduction en avril 2017. Ensuite, notons les mauvais rapports entre l‘USFP et le PPS, pourtant alliés au sein de plusieurs cabinets depuis celui de l‘alternance en 1988. Aussi, la relégation peu ou prou du MP considéré comme un parti supplétif. Et enfin, la marginalisation totale de l‘UC qui n’a, d’ailleurs, pas été associée aux concertations menées en vue de la motion de censure alors envisagée.
Au total, comme pour complexifier ce processus, il paraît judicieux de mentionner un certain subjectivisme extrêmement prégnant entre les dirigeants du PJD, de l‘USFP, du PPS et du MP. Ce subjectivisme ne favorise pas un climat unitaire, conjoncturellement apaisé. Tant s’en faut.
La motion de censure avortée, donc, aujourd’hui, n’est peut-être vraiment intelligible que si l‘on prend également en compte d’autres paramètres.
«Autant dire que l’opposition avait là tous les ingrédients pour entretenir et justifier une motion de censure.»
— Mustapha Sehimi
Globalement, l‘on peut penser qu’il y a matière à justifier cette procédure de sanction offerte par la Constitution: crise sociale, chômage structurel de l‘ordre de 13,3% surtout chez les jeunes et les femmes et, notamment aggravé dans les rangs des jeunes diplômés, des promesses non tenues, un dialogue social défaillant, l‘aggravation des inégalités et de la corruption, des conflits d’intérêt majeurs mettant en cause le chef de l‘exécutif, un cabinet remanié en octobre dernier mais largement marqué du sceau de la cooptation et du clientélisme sans ouverture vers de réelles compétences, etc.
Autant dire que l‘opposition avait là tous les ingrédients pour entretenir et justifier une motion de censure. Mais tel n’est plus le cas à cause du fait du retrait de l‘USFP, sans autre forme de procès.
Les explications données par cette formation socialiste sont-elles convaincantes?
Le communiqué publié à cette occasion présente, pêle-mêle, certains éléments de réponse: calculs égoïstes des partis, incapacité à finaliser un texte commun et à décider du choix du parti devant présenter la motion de censure à la délibération de la Chambre des représentants, etc.
En réalité, il en est sans doute autrement. L‘une des lectures avancées par le président du groupement parlementaire PJD, Abdallah Bouanou, fait état de «pressions» subies par l‘USFP pour se retirer, faisant même référence à quelque «deals»...
Plus clairement, de quoi s’agit-il?
Des ambiguïtés reprochées à Driss Lachgar, premier secrétaire de la formation socialiste, qui se positionne ainsi dans l‘optique du prochain cabinet post-2026.
Inconsolable dans l‘opposition depuis 2011, après une expérience gouvernementale de plus de dix ans (1998-2011), Driss Lachgar a-t-il voulu, aujourd’hui, donner à Aziz Akhannouch des gages susceptibles de lui éviter un débat général difficile lié à la délibération d’une motion de censure?
Voici, donc, une opportunité ratée pour l‘opposition qui s’empêtre dans la division et dont la parole reste peu audible.