Par Jillali El Adnani
Depuis février 1978, rapporte Cornée, la presse malienne évoque régulièrement des activités menées conjointement par le Polisario et les forces algériennes dans le désert septentrional du pays. Ces informations, que le chargé d’affaires français qualifie explicitement de «fondées», mentionnent en particulier le récent passage de véhicules Land Rover appartenant au Polisario dans la région de Léré, située à l’ouest de Tombouctou et au sud de Ras El Ma.
Le désert malien, immense et difficilement contrôlable, devient rapidement une zone privilégiée de transit et potentiellement une base arrière pour Alger. Dès les premières années du conflit saharien, l’Algérie a cherché à exploiter ces territoires isolés pour renforcer son influence régionale. Dans cette optique, elle a mobilisé certaines tribus nomades établies près des frontières maliennes, nigériennes et mauritaniennes, les impliquant activement dans des opérations militaires et logistiques en soutien au front Polisario.
Ces incursions répétées, réalisées en violation des frontières maliennes, s’inscrivent dans une stratégie claire: étendre l’emprise idéologique et militaire du mouvement séparatiste, tout en consolidant l’influence d’Alger dans le vaste espace saharien.
Téléchargez la note confidentielle intitulée « Des infiltrations du Polisario au Mali », envoyée le 17 mai 1978 par Pierre Cornéa, alors chargé d’affaires à l’ambassade de France à Bamako, au ministre français des Affaires étrangères, Louis de Guiringaud. Le document, conservé aux Archives diplomatiques (référence 558PO/1/221), éclaire les préoccupations françaises face aux mouvements du Polisario dans la région sahélienne.
Instrumentalisation du nord du Mali et peuplement
«Les hommes du Polisario peuvent compter dans le nord du Mali sur l’aide de certaines populations qui leur sont favorables. Il s’agit d’abord de deux tribus maures qui transhument traditionnellement entre le Mali et l’Algérie. Les Troumouzes, divisés en deux fractions situées à l’est et à l’ouest du désert malien, seraient originaires de Mauritanie. Les Oulad Ghanan, eux aussi favorables aux Sahraouis, seraient arrivés plus récemment au Mali en provenance du sud algérien. C’est parmi ces nomades que les combattants du Polisario auraient recruté quelques partisans, allant jusqu’à contracter des mariages avec des filles de ces tribus».
Ces opérations avaient pour double objectif de recruter des combattants et d’établir des camps prétendument humanitaires le long de la frontière malienne. Ces installations, présentées comme des camps de «réfugiés», avaient en réalité pour fonction principale de renforcer militairement le Polisario. Une fois installées, ces populations étaient soigneusement recensées à Rabouni et officiellement reconnues comme «réfugiées» par le HCR, alors incapable de déceler la manipulation à l’œuvre. Ainsi se construisait une véritable mise en scène humanitaire, servant directement les ambitions sécessionnistes du mouvement.
Le télégramme évoque également une autre stratégie de peuplement orchestrée par Alger: le déplacement, vers Tindouf, de populations touarègues issues de la région de Tamanrasset. Il s’agissait là de créer une ceinture d’alliés fiables et facilement contrôlables autour des bases du Polisario:
«Du côté des Touaregs, je tiens de très bonne source que des groupements de cette ethnie, réfugiés en Algérie dans la région de Tamanrasset après la rébellion de 1963 matée par l’armée malienne dans l’Adrar des Ifoghas, ont été déplacés par les autorités algériennes à proximité des bases du Polisario dans la région de Tindouf».
Cette politique de peuplement reflétait une instrumentalisation des populations locales par l’Algérie, dans une optique non seulement militaire, mais aussi géopolitique. Elle permettait ainsi à Alger de sécuriser une zone particulièrement vulnérable, tout en constituant un vivier utile et docile autour du Polisario.
Tindouf, Tamanrasset: la main d’Alger
Les bases militaires algériennes situées à Tindouf, Tamanrasset et Bordj Baji Mokhtar ont servi de points de départ logistiques pour ces incursions, confirmant ainsi l’existence d’un lien organique direct entre les autorités militaires algériennes et les forces séparatistes.
Pierre Cornée précise ainsi dans son télégramme confidentiel que le Sud algérien est devenu une véritable base arrière au profit du Polisario:
«Par ailleurs, il existerait à la frontière malo-algérienne un îlot de peuplement en voie de sédentarisation et d’expansion, où le Polisario serait accueilli très favorablement. Ce lieu, situé près de Bordj El Mokhtar, appelé par les Maures El Breij, se trouve sur la piste reliant Gao à l’Algérie.»
Concernant l’implication directe de l’armée algérienne, qualifiée explicitement d’«empiétement abusif», le chargé d’affaires français à Bamako se montre catégorique:
«Depuis, l’Algérie y aurait construit un fortin. Le détachement militaire algérien qui l’occupe aurait récemment été renforcé et placé sous le commandement d’un officier. C’est au sein des populations regroupées en ce point, dont le nombre a augmenté avec l’aggravation de la sécheresse, que le Polisario recruterait également.»
Cette situation révèle clairement une stratégie de peuplement militaire, soigneusement orchestrée par Alger, visant à renforcer le contrôle territorial du Polisario et à consolider durablement son influence régionale à travers l’instrumentalisation cynique des populations locales.
Vivement une ambassade marocaine à Bamako
Un autre fait sociopolitique fondamental est pointé: la population de Tombouctou, traditionnellement commerçante et attachée à la stabilité, perçoit l’Algérie non pas comme une libératrice, mais comme l’héritière d’une ancienne tradition guerrière liée aux rezzous. Cette évocation de la «détestable tradition des rezzous» réveille un imaginaire collectif marqué par des siècles d’insécurité transsaharienne, façonné par les rivalités tribales et les incursions armées:
«À Tombouctou, où l’on vit essentiellement du commerce prospérant dans la paix et où les habitants sont traditionnellement et sentimentalement tournés vers le Maroc, on ne se prive pas, comme j’ai pu le constater, de propager la crainte envers ces guerriers sahraouis qui ressuscitent l’antique et détestable tradition des rezzous.»
Cet attachement du Mali, historique et sentimental au Maroc, confère une dimension politique profonde à l’hostilité locale envers le Polisario. Elle révèle qu’au sein de ces territoires à forte identité saharienne, les loyautés populaires transcendent largement les frontières issues de la colonisation. Cette inclination promarocaine constitue dès lors un obstacle tangible à l’implantation durable du Polisario et freine nettement l’expansion de l’influence algérienne dans la région.
Le document relève également que les autorités maliennes ont su exploiter cette méfiance populaire pour renforcer leur dispositif sécuritaire et informatif. En lançant une «campagne d’opinion» contre le Polisario, les autorités visent non seulement à mobiliser les communautés locales, mais aussi à légitimer des mesures préventives contre les incursions sahraouies. Cette stratégie revient indirectement à prendre position contre l’axe Alger-Tindouf, comme l’indique clairement le diplomate:
«Elles (les autorités maliennes) ont récemment lancé une campagne d’opinion visant à sensibiliser la population des régions de Tombouctou et de Goundam aux risques causés par le passage au Mali d’hommes du Polisario.»
Le Maroc se prépare
L’ouverture de cette représentation diplomatique ne vise pas seulement à renforcer les liens bilatéraux. Elle répond à un impératif de sécurité. Le Maroc veut une capacité de projection politique au cœur du Sahel. Il veut surveiller. Contrer. Répliquer à la poussée algérienne.
Le ton du diplomate est sobre, mais le sous-entendu est limpide: à travers son ambassade, Rabat cherchera à contrer les réseaux algériens et sahraouis sur le territoire malien. Cette future présence diplomatique prend donc des allures de poste avancé. Presque d’avant-poste dans un conflit qui ne dit pas son nom.
Près d’un demi-siècle plus tard, le scénario se répète sous d’autres atours. Les Accords d’Alger de 2015 consacrent, dans leur lettre même, l’idée d’un Mali segmenté, avec au nord une région sous influence algérienne qui proclamerait un jour son indépendance. Pour Bamako, les anciennes «ceintures humaines» décrites par Pierre Cornée se sont muées en sanctuaires pour groupes terroristes, nourris d’armes, de vivres et d’idées sécessionnistes venus d’Alger. En avril 2024, le gouvernement malien dénonçait publiquement le rôle de «sponsor du chaos» joué par Alger. De Tindouf à Bordj Badji Mokhtar, les mêmes pistes poussiéreuses portent encore la trace des Land Rover signalés en 1978. Les archives deviennent alors pièces à conviction: elles montrent qu’au Sahel, la géopolitique d’Alger a poursuivi un inlassable projet expansionniste.
(1) Note confidentielle intitulée «Des infiltrations du Polisario au Mali», adressée par le chargé d’affaire de France à Bamako, Pierre Cornée au ministre des Affaires étrangères français, Louis de Guiringaud, le 17 mai 1978. Archives des affaires étrangères, 558PO/1/221.












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