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Pour une réforme complète du code de la famille: analyse et perspectives


Rédigé par le Jeudi 14 Mars 2024

Une publication du Policy Center for the South met en lumière les aspects essentiels du Code de la famille nécessitant une réforme, couvrant divers domaines tels que les dispositions matrimoniales, les droits successoraux, les droits des enfants et le divorce. Ce document de recherche souligne l'importance de l'harmonisation avec les principes constitutionnels, universels et jurisprudentiels théologiques, notamment en faveur d'un régime successoral paritaire basé sur l'autonomie de la volonté.



Récemment diffusé ce mois de mars, marqué par la Journée internationale des droits des femmes, un document du Policy Center for the South analyse les axes potentiels de réforme du Code de la famille nécessitant une mise à jour des lois.

Présenté par Nouzha Chekrouni et Abdessalam Saad Jaldi, ce document de recherche intitulé "Le Code de la famille marocain (Moudawana) : réalités et perspectives de réformes" offre une lecture juridique et sociale des dysfonctionnements actuels. Il examine notamment l'évolution graduelle vers l'égalité au sein de la sphère familiale, ainsi que les lacunes en matière de protection de l'enfance, notamment en ce qui concerne la filiation.

À travers une approche de droit comparé, le Code de la famille est scruté à la lumière des engagements internationaux du Maroc, tout en mettant en évidence les contradictions propres au texte. À cet égard, les deux auteurs soulignent que la réforme de 2004 a placé le mariage sous la responsabilité conjointe des deux époux, abolissant ainsi le concept de l'homme en tant que chef de famille devant être obéi et soumis par la femme. De même, l'âge minimum pour le mariage a été porté à 18 ans.

«Cependant, presque vingt ans depuis son adoption, des insuffisances subsistent. Celles-ci concernent essentiellement le mariage des mineurs, l’identification du mariage, les ambiguïtés juridiques relatives au divorce, l’absence à la fois de prestation compensatoire et de partage des biens acquis pendant le mariage sans oublier le mariage des Marocaines avec des non-musulmans», notent les auteurs. 
 

Pour une criminalisation du mariage des mineures

En ce qui concerne le mariage des mineurs, l'article 19 du Code de la famille stipule que la capacité matrimoniale est accordée à l'âge de 18 ans, tant pour les filles que pour les garçons. Toutefois, l'article 20 «prend le contrepied de cette disposition en permettant au juge de la famille chargé du mariage d’autoriser le mariage avant cet âge par décision motivée mais insusceptible de recours». «Or, le mutisme du Code sur les circonstances pouvant conduire le juge à autoriser de tels mariages, l’absence d’âge minimal en dessous duquel il peut les approuver, ainsi que l’impossibilité d’introduire un recours pour annuler la décision du juge autorisant le mariage de mineurs, ont porté préjudice à l’efficacité de l’article 19», souligne le document.

La même source rappelle qu’en 2018, «plus de 40 000 mineures ont été mariées sur la base de l’article 20 de la Moudawana, situation dont s’était alarmée Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’Homme. Une décision prise souvent contre l’avis du parquet, qui a demandé en 2021 le refus de 20 200 demandes de mariage de mineurs, alors que les tribunaux avaient validé plus de 20 000 demandes sur un total de 28 930, soit un taux d’acceptation de 70%».

Se référant aux statistiques de la Banque mondiale (BM), le document rappelle aussi que «26 mineures marocaines sur 1000 âgées entre 15 ans et 18 ans ont accouché en 2021». D’où l’importance, selon les auteurs, de «s’interroger sur la réalité du consentement dans le cadre d’une telle union, et donc sa validité, puisque le mariage est considéré selon l’article 4 du Code de la famille comme un pacte fondé sur le consentement mutuel». Dans un registre lié, le document s’interroge, plus loin, sur la teneur du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, à l’aune de diverses questions liées notamment à la garde, à la filiation ou encore à la notion de la protection.

Concernant le mariage, le document souligne par ailleurs que Code de la famille de 2004 «maintient les empêchements en raison de la différence de culte». «Pour pouvoir épouser un étranger ou un non-musulman converti à l’Islam, une marocaine doit, d’après les dispositions de l’article 65 du Code de la famille, obtenir l’autorisation préalable du procureur général du roi auprès de la Cour d’appel, comme au temps de l’ancienne Moudawana», indiquent les auteurs. Pour eux, ce dernier point constitue même une régression, vu que l’ancien texte ne prévoyait pas cette autorisation. Cette dernière n’était «imposée que par des circulaires du ministère de la Justice».

Le droit successoral doit être indissociable de la réforme

Concernant la dimension patrimoniale du Code de la famille, les auteurs observent l'introduction du contrat dans la gestion des biens acquis pendant le mariage. Cette démarche marque une rupture avec la conception traditionnelle du droit musulman, qui ne reconnaît pas le régime de communauté des biens entre époux ni les régimes matrimoniaux. Cependant, cette avancée juridique est en contraste avec les dispositions successorales qui demeurent pratiquement inchangées, à l'exception de quelques jurisprudences théologiques intégrées. Dans le droit musulman classique, ces pratiques participent généralement à "une inégalité structurelle entre les deux sexes".

«L’immutabilité du droit successoral marocain puise ses fondements dans le caractère extratemporel du régime successoral islamique, dans la mesure où la dévolution héréditaire fût définie par les principes sacro-saints des lois coraniques intangibles à toute forme de modification de la volonté humaine», constatent les auteurs. «Cette posture nous rappelle certaines conceptions naturalistes du droit suggérant que la règle juridique, apparue sous l’intervention d’une émission de valeurs et de sens, se situe au-delà de l’histoire humaine autant qu’en dehors de celle-ci», ajoutent-ils.
«Dans cette perspective, le régime successoral islamique dispose qu’à égalité de degrés, une femme reçoit la moitié de la part qui revient à l’homme. Il en va que si les époux héritent l’un de l’autre, leur vocation successorale varie selon que le survivant est le mari ou l’épouse.»

En l’espèce, les discriminations successorales dans le Code de la famille de 2004 «paraissent en décalage avec la Constitution de 2011, qui prône l’égalité entre les citoyens et récrimine donc les discriminations entre individus, sachant que plusieurs récits prophétiques attestent que les inégalités d’héritage sont principalement conséquentes à la configuration patriarcale de la famille arabo-musulmane et non pas à la nature propre de la femme», analyse le document.

Une parité successorale basée sur l’autonomie de la volonté

Dans cette perspective, les auteurs recommandent une réforme d'envergure qui engloberait également les dispositions successorales. Ils proposent ainsi de "soumettre la parité successorale au régime de l'autonomie de la volonté". Malgré certains considérant ces préceptes comme immuables, la réforme du Code de la famille en 2004 a démontré la capacité d'adaptation de la jurisprudence islamique aux réalités contemporaines. Elle a introduit, par exemple, le concept de testament/legs obligatoire pour les petits-enfants du côté maternel, une avancée notable bien que limitée, explique le document.

Devant la persistance des disparités entre les filles et les garçons en matière d'héritage, il est nécessaire d'effectuer une révision plus poussée afin d'atteindre une équité complète. La résistance à cette réforme de l'héritage est souvent justifiée par l'interprétation des textes sacrés et par le rôle traditionnellement assigné aux hommes en tant que pourvoyeurs, souligne également la même source.

En phase avec les réalités sociétales actuelles, les auteurs notent à ce propos que «les statistiques du HCP mettent en évidence une augmentation significative des ménages dirigés par des femmes». Autant dire que «les femmes actives participent sur un même pied d’égalité avec leurs époux dans la prise en charge de leurs foyers, ce qui vide en partie l’article 194 du Code de la famille de sa substance et interroge sur les finalités et les sagesses de la répartition de l’héritage en Islam», souligne le research paper.
«Une autre réalité omise est celle de l’entretien, par l’épouse, outre l’époux, des enfants et parfois même des personnes âgées ou des membres de la famille. Les tâches domestiques ainsi que l’éducation des enfants constituent des contributions substantielles mais n’étant ni reconnues comme activités productives ni valorisées par la loi. Elles maintiennent l’épouse dans un statut de subordination par rapport à l’époux.»

La question du Ta’sib reste un autre point nécessaire dans cette réforme, avec une proposition d’«explorer d’autres courants juridiques outre que le malékisme, comme le Jaâfarisme, ou d’adopter des approches jurisprudentielles innovantes pour corriger les déséquilibres». D’ailleurs, «le Code de la famille fait référence à la jurisprudence malékite mais ouvre la porte à l’Ijtihad» plus largement, rappelle-t-on.

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Salma LABTAR





Salma Labtar
Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC En savoir plus sur cet auteur
Jeudi 14 Mars 2024

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