On aurait pu croire que la gouvernance est une idée abstraite, matière à colloques, slides PowerPoint et grandes résolutions.
Ce qui s’est produit entre l’OFPPT et le ministère de l’Inclusion économique, dans cette affaire des bourses retardées, n’est pas une anecdote. Ce n’est pas un incident. C’est la photographie d’un mode de fonctionnement. Il n’y a pas de scandale, pas de drame, aucun bruit. Juste une mécanique grippée qui montre ses dents par le silence. Et parfois par un communiqué.
Alors que le ministère et l’OFPPT se rejettent aujourd’hui la responsabilité des retards de bourses, il devient urgent de poser la vraie question : comment une administration qui se dérobe peut-elle encore prétendre conduire la modernité ?
L’OFPPT, par la voix de sa direction, a rappelé que le versement des bourses aux stagiaires connaît des retards récurrents. Pour éviter de suspendre les paiements, l’Office a dû avancer, sur ses propres ressources, près de 30 pour cent des montants dus. Plus encore, l’ouverture d’un établissement public, à Dakhla, n’a pu se faire que grâce à une autorisation financière exceptionnelle du Chef du gouvernement, faute de décaissement dans les délais habituels.
Rien de théâtral. Rien de spectaculaire. C’est précisément ce qui rend l’épisode instructif.
Ce que ces faits révèlent tient en trois phrases simples.
Deuxièmement, la régularité du fonctionnement n’est pas assurée. Le système avance par dérogation, exception, ajustement informel.
Troisièmement, la parole publique perd en crédibilité. Quand on promet à la jeunesse que la formation est une voie d’émancipation, mais que l’allocation destinée à permettre cette formation arrive avec retard, le discours se vide doucement de sa force.
Il ne manque pas d’argent. Il manque de rythme.
On oublie souvent que la gouvernance n’est pas d’abord une question de réforme. Elle est une question de régularité. Ce que le Maroc perd aujourd’hui en croissance, en confiance, en mobilisation collective, n’est pas le fruit d’un défaut de vision.
Il est le fruit d’un défaut d’exécution continue. Nous avons des stratégies. Nous lançons des programmes. Nous construisons des infrastructures. Tout y est. Il manque ce que les machines de haute précision exigent : l’absence de micro-accrocs dans la rotation des pièces.
Le problème ne réside pas dans l’intention, ni dans l’ambition, ni même dans les moyens. Il réside dans la chaîne. La chaîne est longue, et elle n’est pas tendue. Elle se détend à chaque maillon. Un retard ici, une validation administrative là, un arbitrage intermédiaire. Chaque fois, quelques jours deviennent quelques semaines, puis quelques mois.
Et comme la jeunesse n’a pas de porte-parole, le coût est invisible. L’invisibilité est d’ailleurs la forme la plus raffinée de l’injustice administrative.
L’épisode dit aussi autre chose, plus politique. L’OFPPT a pris la parole publiquement pour se protéger. Cela signifie que la solidarité administrative verticale, qui faisait tenir l’État comme un bloc compact, est en train de se fissurer. Jadis, une institution n’aurait jamais parlé avant la tutelle. Le débat se réglait en interne, hors de la vue du public.
Aujourd’hui, l’OFPPT choisit d’adresser sa version directement à l’opinion. Ce n’est pas un acte banal. C’est un acte culturel : la revendication d’une légitimité qui ne descend plus seulement de la hiérarchie, mais qui émane du contact avec les citoyens et de la responsabilité devant l’opinion publique. C’est le signe qu’une administration apprend à se défendre non plus dans le secret des couloirs, mais sur la place publique.
Il exprime, tranquillement, une idée qui grandit dans plusieurs établissements publics :
L’OFPPT parle, parce qu’elle se considère responsable devant la jeunesse qu’elle forme. Et parce qu’elle sait que l’opinion publique, désormais, est un espace dans lequel se joue une partie de l’autorité. Le ministère, lui, se retrouve dans une position délicate. S’il répond, il officialise le désaccord. S’il se tait, il laisse l’ombre lui revenir. Le silence, parfois, coûte.
Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est dans ce que cette scène révèle du contrat institutionnel qui structure l’État. Nous sommes encore dans un modèle où la décision est valorisée plus que l’exécution, où le lancement prime sur la régularité, où l’exception est une solution normale. Ce modèle a produit des résultats réels. Il a permis d’avancer vite. Mais il ne peut plus porter l’étape suivante.
Pour faire société aujourd’hui, il ne suffit plus de décider. Il faut garantir.
- Garantir, c’est assurer la continuité.
- Assurer la continuité, c’est respecter le calendrier.
- Et respecter le calendrier, c’est faire de la gouvernance non une vertu, mais une habitude.
Le ministère a la responsabilité du cadre, de la prévisibilité, de la cohérence. L’administration a la responsabilité du mouvement, de la fluidité, du quotidien.
Lorsque l’un parle trop et que l’autre fonctionne par inertie, le pays avance en diagonale. Il ne s’agit pas de dire que tout va mal. Rien ne va mal.
Il s’agit de dire que tout irait mieux, si cela fonctionnait simplement comme prévu. La réforme n’est plus l’enjeu.
L’enjeu est l’ordinaire.
La souveraineté, la compétitivité, l’égalité des opportunités, la confiance dans l’avenir ne se jouent pas dans les grands forums. Elles se jouent dans la ponctualité du versement d’une bourse. Dans l’oubli progressif de l’exception. Dans la capacité à exécuter la décision que l’on a soi-même prise.
La modernité d’un État ne se mesure pas au nombre de stratégies qu’il annonce, mais à la constance avec laquelle il tient parole.
Le Maroc n’a pas besoin d’une autre réforme. Il a besoin que celles qui existent fonctionnent chaque jour.
C’est dans cette routine que se joue l’essentiel.
PAR ADNAN DEBBARH/QUID.MA












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