C’est avec une mine sombre et renfrognée que Rachid, le plus enquiquinant des serveurs de café que la Terre ait jamais porté, me sert ma tasse matinale de breuvage noir, comme si j’étais Netanyahou.
 

« Je veux aller à Gaza », me dit-il sur un ton si sobre que je me suis demandé s’il ne comptait pas le faire pour de bon.
 

- Tu es devenu fou ? Tu ne sais même pas manier une arme, sans parler de ta famille à ta charge.
 

- Et tu veux qu’on reste les bras croisés en regardant nos frères palestiniens se faire massacrer ? Toi au moins, tu peux lutter avec ta plume.
 

- Qui t’as dit que tu ne peux pas apporter ton soutien à la cause des Palestiniens de Gaza, à ta manière ?

’abord, dis-moi, crois-tu que faire la guerre est juste une question de courage ? Sais-tu que pour l’opération du 7 octobre, les combattants du Hamas, pourtant déjà aguerris, ont passé plus d’une année à se préparer, en bénéficiant des soutiens et conseils de leurs alliés régionaux ? 
 

Et puis tu comptes passer par où pour te rendre à Gaza, tu ne sais pas que toute la bande est assiégée, inaccessible terre, ciel et mer ? Même les aides humanitaires ne passent qu’au compte-goutte, à travers les frontières avec l’Egypte. La guerre n’est pas une plaisanterie, mais il y a différents moyens de la mener, des moyens non-militaires.
 

- Et qu’est-ce que je peux faire pour aider ?
 

- M’apporter chaque jour, gratuitement, une tasse de café et renoncer au pourboire, bien sûr.
 

- Tu as le cœur à plaisanter ? 
       

Les flammes dans le regard de Rachid m’ont convaincu que ma blague était vraiment malvenue en pareil circonstance.
 

- Plus sérieusement, deux colonels chinois ont rédigé un ouvrage de doctrine militaire il y a près d’un quart de siècle. Il y est question des moyens militaires ET non-militaires de mener une guerre. Les combattants de la résistance palestinienne n’ont pas besoin d’un quinquagénaire, qui n’a jamais tenu une arme dans les mains de toute sa vie et ne pratique même pas de sport, pour affronter les soldats israéliens.
 

Tu peux, par contre, leur apporter ton appui de là où tu es, selon tes moyens. 
 

Tu as une page facebook ou sur n’importe quel autre réseau social ? Sélectionnes les informations les plus pertinentes au sujet du génocide perpétré par les Israéliens contre les Palestiniens à Gaza, articles, vidéos, et fais les circuler. Commente-les, aussi. Tu n’as pas besoin de produire des textes longs, juste quelques mots correctement choisis pour exprimer tes réflexions. 
 

Essayes de t’imaginer cette guerre comme une rixe sanglante entre deux personnes, un persécuteur et un opprimé, mais tu n’es pas capable, physiquement, de t’interposer. Tu peux, au moins, héler les autres personnes présentes pour peser ensemble sur les protagonistes et stopper le bain de sang. 
 

Auparavant, la presse était la seule à pouvoir jouer ce rôle. Avec l’apparition des nouvelles technologies de l’information et des communications et la démocratisation de ses outils, tout citoyen est devenu apte à collecter et diffuser l’information et se forger par lui-même une opinion. Voir peser sur le courant d’opinion. Une rivière est un simple cumul de gouttes d’eau. 
 

Les réseaux sociaux constituent, désormais, également un champ de bataille, celui d’un affrontement sans armes, mais dont l’importance est primordiale puisqu’il s’agit de gagner le soutien de l’opinion publique mondiale. 
 

Présentement, les Palestiniens sont en train de remporter cette bataille, donc les Israéliens de la perdre. Il ne faut, toutefois, pas oublier que les Sionistes sont plutôt doués pour affabuler. Il s’agit alors, essentiellement, de montrer à l’opinion publique mondiale que les citoyens des pays arabes font bloc pour s’opposer au massacre des Palestiniens par les Israéliens.
 

- Tu crois, franchement, que les dirigeants israéliens et mêmes occidentaux, s’intéressent à l’opinion des citoyens arabes ?
 

- Bien sûr que non, mais les dirigeants occidentaux sont bien obligés de tenir compte de celle de leurs propres populations, élections obligent, et encore plus de leurs hommes d’affaires, qui n’ont pas du tout envie de perdre des marchés dans le monde arabe. 
 

N’oublie pas que la plupart des dirigeants des grandes puissances occidentales traversent des moments très difficiles sur les plans internes et externes, du fait de la guerre d’Ukraine, qu’ils veulent d’ailleurs faire oublier. 

Non seulement les Ukrainiens sont en train de perdre la guerre contre les Russes, malgré le soutien massif des pays occidentaux, mais les économies de ces derniers ont largement souffert des conséquences de ce conflit.
 

Pendant ce temps, les Chinois et les Russes poussent leurs pions sur l’échiquier du Moyen-Orient. 

Un massacre qui se prolonge, sans que le bourreau ne parvienne à arracher un résultat probant, fini toujours par la défaite morale, et donc politique, de ce dernier.
 

Rachid s’assoit, sors son portable et commence à glisser son index sur l’écran.
 

- Qu’est-ce que tu fais ?
 

- Je lance un tir de barrage sur TikTok.