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Repenser les systèmes d’information à la lumière de l’intelligence artificielle : regards croisés entre la France et le Maroc


Par Dr Az-Eddine Bennani

Un monde de systèmes en fin de cycle : « Il conviendrait de tout repenser »

Cette interpellation de mon collègue et ami Serge Baile résonne avec force à une époque où les systèmes d’information; jadis symboles d’ordre et d’efficacité apparaissent décalés face à la puissance cognitive de l’intelligence artificielle.
Les ERP (Enterprise Resource Planning), ces systèmes intégrés de gestion qui ont structuré l’entreprise moderne, sont aujourd’hui installés dans la quasi-totalité des organisations françaises et marocaines.

Mais leur modèle fondé sur la centralisation, la planification et la conformité montre ses limites. Conçus pour des environnements stables, hiérarchiques et prévisibles, les ERP ne savent pas dialoguer avec un monde où l’incertitude, la vitesse et l’apprentissage deviennent la norme.

Pourtant, la plupart des entreprises, en France comme au Maroc, n’ont pas conscience de l’obsolescence de ces architectures. Elles les entretiennent encore comme des systèmes vitaux, sans réaliser qu’elles freinent l’émergence d’une véritable intelligence organisationnelle.

L’intelligence artificielle ne vient pas améliorer ces systèmes : elle les remet en question.
Elle révèle un décalage entre le monde du calcul et celui de la compréhension, entre la donnée et le sens. Il faut donc repenser les systèmes d’information à la lumière d’un nouveau paradigme : celui de la gouvernance systémique et apprenante.



Les ERP : un modèle technico-organisationnel épuisé

Les ERP ont incarné pendant plus de vingt ans la promesse de la maîtrise totale de l’information.
Ils ont unifié les processus, intégré les flux, standardisé la décision. Mais ce succès porte en lui les germes de l’épuisement : à force d’avoir tout rationalisé, ils ont figé la capacité d’évolution.

En France, nombre d’entreprises continuent de piloter leurs activités avec des ERP de première génération, lourds, coûteux, et déconnectés de la dynamique d’apprentissage que suppose l’intelligence artificielle. Au Maroc, la situation est comparable : beaucoup d’organisations publiques ou privées restent prisonnières de logiques de conformité administrative, là où la flexibilité, la donnée en temps réel et l’expérimentation devraient primer.

Ces systèmes ont été conçus pour automatiser le connu, pas pour explorer l’inconnu.
Or, l’IA bouleverse précisément ce rapport à la connaissance : elle apprend, elle interprète, elle anticipe.
L’obsolescence des ERP n’est donc pas qu’une affaire technologique ; elle est épistémologique.
C’est tout un mode de pensée : déterministe, hiérarchique, linéaire qu’il faut revisiter.

L’éveil progressif des entreprises et des institutions

Des signaux positifs émergent pourtant. Récemment, la CGEM Rabat (Confédération Générale des Entreprises du Maroc) a organisé une rencontre régionale sur le thème de l’intelligence artificielle.
Cette initiative, qui témoigne d’un intérêt croissant des acteurs économiques, est à saluer.

Mais elle révèle aussi la persistance d’un malentendu fondamental : beaucoup continuent de percevoir l’IA comme un « module » à ajouter à des systèmes existants, au lieu d’y voir une refondation cognitive des modèles de gestion.

Ce même constat vaut pour la France, où nombre de conférences et de formations traitent encore de l’IA sous l’angle de l’optimisation des processus, sans interroger les fondements mêmes du système d’information. Or, l’IA n’est pas un outil d’efficacité ; c’est une mutation du rapport entre l’humain, la donnée et la décision.

Les confédérations patronales : CGEM au Maroc, MEDEF en France devraient s’approprier pleinement ce débat non pas comme une question d’innovation technologique, mais comme une question de souveraineté cognitive et organisationnelle. Leur rôle n’est plus seulement d’accompagner la digitalisation, mais de préparer une transformation systémique : celle qui relie gouvernance, souveraineté, innovation et apprentissage collectif.

Les associations d’utilisateurs face à leur propre obsolescence

Les associations d’utilisateurs de systèmes d’information (clubs ERP, groupements métiers, communautés logicielles) ont longtemps joué un rôle décisif. Elles formaient, certifiaient, mettaient en réseau.
Mais elles sont aujourd’hui confrontées à un défi similaire à celui des entreprises qu’elles accompagnent : leur modèle repose encore sur une logique de support technique, alors que le monde est entré dans une logique d’intelligence distribuée.

Ces associations, en France comme au Maroc, doivent accepter la fin d’un cycle et se réinventer comme espaces de réflexion, d’expérimentation et de co-construction cognitive. Elles pourraient fédérer les acteurs publics et privés autour de nouvelles architectures ouvertes, souveraines et évolutives : des plateformes locales d’IA, des laboratoires de gouvernance des données, des dispositifs hybrides humain–machine.

Mais cela suppose de transformer leur organisation interne, leur offre et leur posture : elles doivent passer du rôle de relais d’éditeurs à celui de médiateurs de sens, capables de relier les dimensions technologiques, sociales et éthiques de l’intelligence artificielle.

Pour une refondation systémique du concept de système d’Information

Repenser le système d’information à la lumière de l’IA, c’est cesser de le réduire à un ensemble d’applications et de bases de données. C’est le concevoir comme un écosystème cognitif, un système vivant, capable d’apprendre, de s’ajuster et de se remettre en question.

Cette refondation repose sur trois principes :

- Cognitif : le système doit intégrer l’apprentissage automatique et la rétroaction, pour transformer les données en connaissance utile.
- Systémique : il doit articuler les flux d’information, de sens et de valeur dans une architecture cohérente.
- Éthique et souverain : il doit garantir la transparence, la responsabilité et l’indépendance vis-à-vis des grands fournisseurs mondiaux.

En France, cette réflexion s’inscrit dans le sillage de l’AI Act européen, du cloud souverain et des débats sur la régulation algorithmique. Au Maroc, elle rejoint les ambitions de Maroc Digital 2030 et les initiatives autour de la souveraineté numérique et des clusters IA nationaux.

Dans les deux cas, l’enjeu est le même : passer d’une approche informatique à une approche cognitive et systémique, où la donnée devient un bien commun au service du développement humain.

Pour une gouvernance apprenante et souveraine

Les systèmes d’information du futur ne seront ni centralisés ni figés : ils seront apprenants, hybrides et souverains. Ils combineront la rigueur de la donnée avec la sensibilité du sens, la puissance des algorithmes avec la sagesse des usages.

Repenser les systèmes d’information à la lumière de l’IA, c’est aussi repenser la gouvernance :

- gouvernance des données (qui décide et sur quelles bases ?) ;
- gouvernance des compétences (comment former à penser l’IA ?) ;
- gouvernance des finalités (pour quoi et pour qui déployer ces technologies ?).

La France et le Maroc ont ici une responsabilité partagée : construire un modèle méditerranéen de l’intelligence artificielle, fondé sur la compréhension, l’inclusion et la souveraineté. Une IA enracinée dans les réalités locales, ouverte à la coopération internationale, mais fidèle à l’idée d’une intelligence collective humaine.

De l’obsolescence à la renaissance

Les ERP ont été les cathédrales du management rationnel. L’intelligence artificielle nous invite à bâtir des organismes vivants, capables d’apprendre, d’évoluer et de dialoguer.

Repenser les systèmes d’information entre la France et le Maroc, c’est reconnecter la technique au sens, la donnée à la connaissance, le progrès à la responsabilité. C’est aussi un acte de souveraineté intellectuelle : refuser la dépendance aux modèles imposés et imaginer nos propres architectures cognitives.

Du chaos informationnel peut naître une nouvelle cohérence. Encore faut-il que chercheurs, dirigeants, ingénieurs et institutions acceptent cette évidence : l’obsolescence n’est pas une menace, mais le point de départ d’une renaissance.

Par Dr Az-Eddine Bennani



Mardi 28 Octobre 2025

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