Les ERP : un modèle technico-organisationnel épuisé
Ils ont unifié les processus, intégré les flux, standardisé la décision. Mais ce succès porte en lui les germes de l’épuisement : à force d’avoir tout rationalisé, ils ont figé la capacité d’évolution.
En France, nombre d’entreprises continuent de piloter leurs activités avec des ERP de première génération, lourds, coûteux, et déconnectés de la dynamique d’apprentissage que suppose l’intelligence artificielle. Au Maroc, la situation est comparable : beaucoup d’organisations publiques ou privées restent prisonnières de logiques de conformité administrative, là où la flexibilité, la donnée en temps réel et l’expérimentation devraient primer.
Ces systèmes ont été conçus pour automatiser le connu, pas pour explorer l’inconnu.
Or, l’IA bouleverse précisément ce rapport à la connaissance : elle apprend, elle interprète, elle anticipe.
L’obsolescence des ERP n’est donc pas qu’une affaire technologique ; elle est épistémologique.
C’est tout un mode de pensée : déterministe, hiérarchique, linéaire qu’il faut revisiter.
L’éveil progressif des entreprises et des institutions
Cette initiative, qui témoigne d’un intérêt croissant des acteurs économiques, est à saluer.
Mais elle révèle aussi la persistance d’un malentendu fondamental : beaucoup continuent de percevoir l’IA comme un « module » à ajouter à des systèmes existants, au lieu d’y voir une refondation cognitive des modèles de gestion.
Ce même constat vaut pour la France, où nombre de conférences et de formations traitent encore de l’IA sous l’angle de l’optimisation des processus, sans interroger les fondements mêmes du système d’information. Or, l’IA n’est pas un outil d’efficacité ; c’est une mutation du rapport entre l’humain, la donnée et la décision.
Les confédérations patronales : CGEM au Maroc, MEDEF en France devraient s’approprier pleinement ce débat non pas comme une question d’innovation technologique, mais comme une question de souveraineté cognitive et organisationnelle. Leur rôle n’est plus seulement d’accompagner la digitalisation, mais de préparer une transformation systémique : celle qui relie gouvernance, souveraineté, innovation et apprentissage collectif.
Les associations d’utilisateurs face à leur propre obsolescence
Mais elles sont aujourd’hui confrontées à un défi similaire à celui des entreprises qu’elles accompagnent : leur modèle repose encore sur une logique de support technique, alors que le monde est entré dans une logique d’intelligence distribuée.
Ces associations, en France comme au Maroc, doivent accepter la fin d’un cycle et se réinventer comme espaces de réflexion, d’expérimentation et de co-construction cognitive. Elles pourraient fédérer les acteurs publics et privés autour de nouvelles architectures ouvertes, souveraines et évolutives : des plateformes locales d’IA, des laboratoires de gouvernance des données, des dispositifs hybrides humain–machine.
Mais cela suppose de transformer leur organisation interne, leur offre et leur posture : elles doivent passer du rôle de relais d’éditeurs à celui de médiateurs de sens, capables de relier les dimensions technologiques, sociales et éthiques de l’intelligence artificielle.
Pour une refondation systémique du concept de système d’Information
Cette refondation repose sur trois principes :
- Cognitif : le système doit intégrer l’apprentissage automatique et la rétroaction, pour transformer les données en connaissance utile.
- Systémique : il doit articuler les flux d’information, de sens et de valeur dans une architecture cohérente.
- Éthique et souverain : il doit garantir la transparence, la responsabilité et l’indépendance vis-à-vis des grands fournisseurs mondiaux.
En France, cette réflexion s’inscrit dans le sillage de l’AI Act européen, du cloud souverain et des débats sur la régulation algorithmique. Au Maroc, elle rejoint les ambitions de Maroc Digital 2030 et les initiatives autour de la souveraineté numérique et des clusters IA nationaux.
Dans les deux cas, l’enjeu est le même : passer d’une approche informatique à une approche cognitive et systémique, où la donnée devient un bien commun au service du développement humain.
Pour une gouvernance apprenante et souveraine
Repenser les systèmes d’information à la lumière de l’IA, c’est aussi repenser la gouvernance :
- gouvernance des données (qui décide et sur quelles bases ?) ;
- gouvernance des compétences (comment former à penser l’IA ?) ;
- gouvernance des finalités (pour quoi et pour qui déployer ces technologies ?).
La France et le Maroc ont ici une responsabilité partagée : construire un modèle méditerranéen de l’intelligence artificielle, fondé sur la compréhension, l’inclusion et la souveraineté. Une IA enracinée dans les réalités locales, ouverte à la coopération internationale, mais fidèle à l’idée d’une intelligence collective humaine.
De l’obsolescence à la renaissance
Repenser les systèmes d’information entre la France et le Maroc, c’est reconnecter la technique au sens, la donnée à la connaissance, le progrès à la responsabilité. C’est aussi un acte de souveraineté intellectuelle : refuser la dépendance aux modèles imposés et imaginer nos propres architectures cognitives.
Du chaos informationnel peut naître une nouvelle cohérence. Encore faut-il que chercheurs, dirigeants, ingénieurs et institutions acceptent cette évidence : l’obsolescence n’est pas une menace, mais le point de départ d’une renaissance.
Par Dr Az-Eddine Bennani












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