Le discours sur la perte de confiance devient un alibi
Dans chaque forum, chaque conférence, chaque sortie médiatique, les mêmes mots tombent, lestés de gravité : fracture générationnelle, abstention record, perte de confiance dans les institutions, désintérêt des jeunes pour la chose publique. Le constat est clair, chiffré, documenté. Selon le dernier rapport du HCP, une majorité de jeunes Marocains n’a ni envie de voter, ni envie d’adhérer à un parti, ni même de débattre avec ceux qui les représentent. Pourtant, ces jeunes sont ultra-connectés, ultra-engagés sur certains sujets et souvent très lucides.
Alors d’où vient le problème ? Pourquoi ce que l’on appelle « reconquête » ou « réengagement » de la jeunesse reste-t-il une coquille vide ?
Peut-être parce que ceux qui le réclament refusent d’aller là où cette jeunesse vit, parle, pense, crée. Ils affirment vouloir la comprendre, mais refusent d’apprendre sa langue. Ils se lamentent du désamour, mais persistent à aimer leur propre reflet.
Quand on parle d’adapter le langage politique aux jeunes, la réaction immédiate est : “On ne va pas niveler par le bas”. C’est devenu une réponse réflexe, presque défensive, des politiciens, des éditorialistes, des intellectuels de plateaux. Cette crainte de “devenir TikTok-compatible” est perçue comme un renoncement à la hauteur du débat, une trahison du sérieux.
Mais qui a dit que parler sur TikTok, Instagram ou Twitch, c’était abandonner la profondeur ? Jacques Derrida aurait-il refusé de faire un thread sur X ? Frantz Fanon aurait-il méprisé une vidéo verticale de 60 secondes si elle touchait un million de jeunes ?
La confusion est totale entre le canal et le contenu. Parler à hauteur de regard, c’est de la pédagogie, pas de la démagogie. Reformuler une politique d’emploi en une capsule claire, imagée, directe, c’est de la responsabilité politique, pas du spectacle.
Les jeunes ne demandent pas moins d’intelligence, ils demandent moins de mépris, moins de jargon, moins d’arrogance rhétorique. Ils veulent qu’on leur parle dans leurs formats, sur leurs rythmes, avec leurs mots, mais sans les prendre de haut ni de travers.
Ce que les partis et les leaders d’opinion adressent aux jeunes, c’est une double injonction toxique :
“Exprime-toi !”, mais “pas comme ça, pas là, pas dans cette tenue, pas avec ce ton”.
“Vote !”, mais “tais-toi entre les élections”.
“Rejoins le débat public”, mais “attention, ne le contamine pas avec tes codes, tes musiques, tes références.”
Le résultat ? Un désalignement tragique. Les jeunes construisent leurs débats ailleurs — sur des forums, des serveurs Discord, dans la musique urbaine, dans les micro-initiatives citoyennes — pendant que le champ politique tourne en boucle sur les mêmes éléments de langage, les mêmes figures, les mêmes slogans.
La jeunesse marocaine vit dans une autre temporalité, une autre grammaire, une autre culture de la preuve (celle du vécu, pas de la promesse), et surtout, une autre attente de sincérité. Elle ne cherche pas des figures parfaites. Elle cherche des gens qui parlent vrai. Qui savent dire “j’ai eu tort”, “je ne sais pas”, “je vais essayer autrement”.
Le fond du problème est peut-être là : la politique marocaine reste profondément verticale. On parle aux gens. On ne leur répond pas. On les informe. On ne discute pas. On promet. On n’écoute pas. Et quand on leur tend le micro, c’est souvent pour la photo, pas pour le fond.
Cette verticalité rend toute stratégie numérique suspecte. Une vidéo qui marche ? On l’accuse de populisme. Un discours qui parle avec humour ? On crie au nivellement. Une campagne qui crée du buzz ? On y voit une perte de noblesse. À force de fuir la forme, on abandonne le fond.
Il est temps de changer de matrice mentale, pas juste de conseiller digital. Il ne s’agit pas de “trouver des influenceurs pour parler aux jeunes”. Il s’agit de faire émerger des figures politiques jeunes, de co-écrire les récits de campagne avec eux, de leur laisser les clés des outils numériques du parti, et surtout, de les prendre au sérieux.
Ne pas confondre la jeunesse avec un segment marketing. Ne pas résumer les moins de 35 ans à des “générations zapping” ou “addicts aux écrans”. Ils sont organisés, informés, blessés aussi, parfois radicalisés dans leur rejet du système. Mais ils sont là. Il suffit de leur parler sans costume, sans condescendance, sans filtre.
Certains diront : “Mais si on descend trop dans les formats jeunes, on perd notre crédibilité, notre sérieux, notre ancrage idéologique.” Faux problème. Le sérieux n’est pas dans la forme, il est dans le fond. Et c’est précisément parce que le fond ne passe plus que la forme doit évoluer. Ce n’est pas une question de modernisation cosmétique, c’est une bataille existentielle pour rester audible. Celui qui refuse de changer de langage finira par ne parler qu’à lui-même, dans un salon, pendant que la société, elle, se réinvente ailleurs.
Alors d’où vient le problème ? Pourquoi ce que l’on appelle « reconquête » ou « réengagement » de la jeunesse reste-t-il une coquille vide ?
Peut-être parce que ceux qui le réclament refusent d’aller là où cette jeunesse vit, parle, pense, crée. Ils affirment vouloir la comprendre, mais refusent d’apprendre sa langue. Ils se lamentent du désamour, mais persistent à aimer leur propre reflet.
Quand on parle d’adapter le langage politique aux jeunes, la réaction immédiate est : “On ne va pas niveler par le bas”. C’est devenu une réponse réflexe, presque défensive, des politiciens, des éditorialistes, des intellectuels de plateaux. Cette crainte de “devenir TikTok-compatible” est perçue comme un renoncement à la hauteur du débat, une trahison du sérieux.
Mais qui a dit que parler sur TikTok, Instagram ou Twitch, c’était abandonner la profondeur ? Jacques Derrida aurait-il refusé de faire un thread sur X ? Frantz Fanon aurait-il méprisé une vidéo verticale de 60 secondes si elle touchait un million de jeunes ?
La confusion est totale entre le canal et le contenu. Parler à hauteur de regard, c’est de la pédagogie, pas de la démagogie. Reformuler une politique d’emploi en une capsule claire, imagée, directe, c’est de la responsabilité politique, pas du spectacle.
Les jeunes ne demandent pas moins d’intelligence, ils demandent moins de mépris, moins de jargon, moins d’arrogance rhétorique. Ils veulent qu’on leur parle dans leurs formats, sur leurs rythmes, avec leurs mots, mais sans les prendre de haut ni de travers.
Ce que les partis et les leaders d’opinion adressent aux jeunes, c’est une double injonction toxique :
“Exprime-toi !”, mais “pas comme ça, pas là, pas dans cette tenue, pas avec ce ton”.
“Vote !”, mais “tais-toi entre les élections”.
“Rejoins le débat public”, mais “attention, ne le contamine pas avec tes codes, tes musiques, tes références.”
Le résultat ? Un désalignement tragique. Les jeunes construisent leurs débats ailleurs — sur des forums, des serveurs Discord, dans la musique urbaine, dans les micro-initiatives citoyennes — pendant que le champ politique tourne en boucle sur les mêmes éléments de langage, les mêmes figures, les mêmes slogans.
La jeunesse marocaine vit dans une autre temporalité, une autre grammaire, une autre culture de la preuve (celle du vécu, pas de la promesse), et surtout, une autre attente de sincérité. Elle ne cherche pas des figures parfaites. Elle cherche des gens qui parlent vrai. Qui savent dire “j’ai eu tort”, “je ne sais pas”, “je vais essayer autrement”.
Le fond du problème est peut-être là : la politique marocaine reste profondément verticale. On parle aux gens. On ne leur répond pas. On les informe. On ne discute pas. On promet. On n’écoute pas. Et quand on leur tend le micro, c’est souvent pour la photo, pas pour le fond.
Cette verticalité rend toute stratégie numérique suspecte. Une vidéo qui marche ? On l’accuse de populisme. Un discours qui parle avec humour ? On crie au nivellement. Une campagne qui crée du buzz ? On y voit une perte de noblesse. À force de fuir la forme, on abandonne le fond.
Il est temps de changer de matrice mentale, pas juste de conseiller digital. Il ne s’agit pas de “trouver des influenceurs pour parler aux jeunes”. Il s’agit de faire émerger des figures politiques jeunes, de co-écrire les récits de campagne avec eux, de leur laisser les clés des outils numériques du parti, et surtout, de les prendre au sérieux.
Ne pas confondre la jeunesse avec un segment marketing. Ne pas résumer les moins de 35 ans à des “générations zapping” ou “addicts aux écrans”. Ils sont organisés, informés, blessés aussi, parfois radicalisés dans leur rejet du système. Mais ils sont là. Il suffit de leur parler sans costume, sans condescendance, sans filtre.
Certains diront : “Mais si on descend trop dans les formats jeunes, on perd notre crédibilité, notre sérieux, notre ancrage idéologique.” Faux problème. Le sérieux n’est pas dans la forme, il est dans le fond. Et c’est précisément parce que le fond ne passe plus que la forme doit évoluer. Ce n’est pas une question de modernisation cosmétique, c’est une bataille existentielle pour rester audible. Celui qui refuse de changer de langage finira par ne parler qu’à lui-même, dans un salon, pendant que la société, elle, se réinvente ailleurs.












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