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​« Maroc en émergence » : sept étages à transformer dans la structure mentale du top‑management marocain


Rédigé par le Mercredi 5 Novembre 2025



Le top‑management marocain doit franchir, de toute urgence, les sept étages d’une transformation mentale

La dynamique de développement du Maroc ne repose plus seulement sur l’accumulation de ressources ou l’expansion géostratégique par le soft power ; elle exige désormais un remaniement profond du savoir‑être et du savoir‑faire au sommet des organisations. Pour que le pays puisse réellement émerger — non plus seulement par conjoncture favorable mais par un apprentissage systémique — le top‑management marocain doit franchir, de toute urgence, les sept étages d’une transformation mentale. Voici un panorama critique, étayé, de ces sept niveaux, de leur signification, des obstacles marocains et des pistes d’action.

1. Veille économique / stratégique / informationnelle

Premier palier : comprendre que gouverner c’est d’abord « voir » — anticiper, capter les signaux faibles, comprendre les dynamiques globales avant de décider. Le Maroc est plus que jamais exposé à des transformations rapides (transition énergétique, digitalisation, réorganisation des chaînes de valeur, contraintes climatiques). Un top‑management qui reste dans le réactif, dans l’attente des consignes, se condamne à jouer à rattraper.

Or, la culture d’entreprise (publique ou privée) au Maroc souffre souvent d’une vision limitée de la veille : l’information demeure cloisonnée, peu partagée, peu valorisée au-delà de la conformité. Comme le montrent les études de gestion des connaissances, « l’ambiguïté du top management » et la rétention de l’information freinent la mise en œuvre d’une vraie stratégie de capitalisation. 

Obstacles clés :

La mentalité de “l’info = pouvoir” : l’information stratégique est traitée comme un privilège plutôt qu’un levier collectif.
Le court terme privilégie le chiffre plutôt que le signal faible.
La faible formalisation des dispositifs de veille intégrés dans la gouvernance.

Piste d’action : instaurer un système de veille transversal, doté d’indicateurs, rattaché directement au comité stratégique, et inscrit dans les processus de décision. Inscrire la veille comme « ressource » à part entière.

2. Travailler en process

Deuxième étage : dépasser le fonctionnement « ad hoc », la gestion par exception, pour adopter une logique de processus. Dans un environnement incertain, la capacité à structurer les flux, à automatiser les boucles de retour, à pérenniser les habitudes de fonctionnement est un signe de maturité.

Au Maroc, l’héritage bureaucratique ou patrimonial se traduit parfois par des organisations fondées sur la personne plutôt que sur le processus. Les équipes manquent de routines claires, les responsabilités sont floues, les résultats peu mesurables. Le management moderne exige de redessiner les « chaînes de valeur interne » – comment une idée remonte‑elle du terrain jusqu’au top ? Comment la décision est‑elle déclinée, confrontée, ajustée ?

Obstacles clés :

Le top management reste centré sur le “qui décide” plutôt que sur “comment cela fonctionne”.
Résistance au changement : transformer le mode de fonctionnement quotidien équivaut à questionner des habitudes, des jeux de pouvoir, des ressorts implicites.
L’absence de culture de l’optimisation et de l’amélioration continue.

Piste d’action : cartographier les processus clés (de la veille à la décision, de la planification à l’innovation), identifier les goulets d’étranglement, et mettre en place des indicateurs de performance de processus (temps, coût, qualité). Repérer des « quick wins » pour montrer que le process paye.

3. Planification

Troisième étage : un top‑management émergeant ne peut se contenter d’improviser. Il lui faut planifier : définir des orientations à moyen/long terme, décliner des objectifs, allouer des ressources, anticiper les écarts. La planification donne un cadre à l’action collective et au pilotage.

Au Maroc, bien que de nombreuses stratégies nationales ou sectorielles existent, leur transposition au niveau des entreprises ou des institutions reste erratique. Le passage de la stratégie à l’opérationnel est trop souvent lacunaire. Le fait de « planifier pour exister » devient encore un réflexe majoritairement déclaratif.

Obstacles clés :

L’absence de fusion entre vision stratégique et plan d’action concret.
Une planification « sans engagement » : les ressources ne sont pas garantis, les responsables non identifiés.
Le manque de culture de feedback : la planification n’est pas revue, ajustée.

Piste d’action : instaurer des cycles de planification (1‑3‑5 ans), définir des feuilles de route claires avec responsabilités assignées, et prévoir des revues périodiques pour ajuster. Inscrire la planification dans le processus (étage 2) et la veille (étage 1).

4. Convergence et mutualisation

Quatrième étage : reconnaître que l’émergence passe par la coopération, la mutualisation des ressources, des savoir‑faire, des plateformes. Dans une économie mondialisée, l’entreprise isolée ne peut tout faire seule. Le top‑management marocain doit saisir la logique de convergence – entre secteurs, entre entreprises, entre public/privé.

Au Maroc, les silos demeurent puissants : chaque département, chaque entité ‑publique ou privée‑ fonctionne encore trop en autonomie, en concurrence interne, sans vision fédérée. Les économies d’échelle, les effets réseau, les partenariats stratégiques sont sous‑exploités.

Obstacles clés :

Peur de perdre le contrôle : mutualiser c’est partager, donc accepter un risque de dilution.
Absence de structure de gouvernance partagée – chaque acteur reste dans sa logique.
Préférences pour « faire seul », par habitude ou par défi culturel.

Piste d’action : lancer des alliances stratégiques (ex : R&D partagée, plateformes communes), mettre en place des structures de pilotage inter‑entités, mesurer les gains de mutualisation, promouvoir la convergence comme élément de différenciation.

5. Prévision

Cinquième étage : aller au‑delà de la planification et entrer dans le domaine de la prévision. Quand planifier dit « ce que nous allons faire », prévoir dit « ce qui pourrait arriver ». Cela suppose un top management qui joue avec les scénarios, les « et si », anticipant non seulement les tendances mais les ruptures.

Le Maroc dispose déjà de quelques capacités de scénarisation, mais celles‑ci restent peu diffusées dans les directions opérationnelles. Le management reste en réaction plus qu’en anticipation. Une organisation véritablement émergente fait vivre des « jeux de rôle prospectifs », teste des hypothèses, se prépare à l’imprévu.

Obstacles clés :

Faible culture des scénarios alternatifs.
Manque de temps pour sortir du “quotidien” et imaginer le futur.
Risque perçu d’investissement dans ce qui ne sera pas (et la direction préfère sécuriser ce qui est connu).

Piste d’action : instaurer un horizon « anticipation » dans les comités stratégiques, utiliser des outils d’intelligence économique, des simulations et stress‑tests, former les dirigeants à l’agilité cognitive. Ne pas simplement prévoir, mais s’entraîner à changer de cap.

6. Anticipation

Sixième étage : ce niveau franchit la frontière entre prévoir et agir avant que le courant n’arrive. Anticiper, c’est engager des actions préemptives, déclencher des mesures avant que les événements se cristallisent. Le top‑management marocain doit intégrer l’anticipation comme réflexe.

En pratique, cela suppose : détecter les signaux faibles, lancer des projets pilotes, ajuster les ressources, mais aussi se donner la permission d’agir – parfois sans attendre le feu vert complet. Le Maroc, comme beaucoup de pays émergents, peine parfois à enclencher ce « prendre de l’avance » : la culture de l’initiative reste freinée.

Obstacles clés :

Le risque reste très mal perçu : anticiper implique accepter l’erreur comme apprentissage.
Le focus reste traditionnellement sur les résultats immédiats plutôt que sur les options futures.
Le cadre réglementaire ou le contrôle hiérarchique peut bloquer l’initiative.

Piste d’action : structurer des « fonds d’anticipation », créer des cellules d’innovation pré‑opérationnelle, donner une délégation de pouvoir aux équipes pour expérimenter. Valoriser les petits échecs rapides comme apprentissages.

7. Innovation / sortir du carré

Septième et dernier étage : l’émergence du Maroc passera par des choix véritablement innovants — sortir du carré, c’est-à-dire rompre avec les schémas classiques, reconstruire, redistribuer, inventer. Le top‑management doit devenir incubateur de ruptures (business model, technologie, culture). L’innovation ne doit plus être un mot d’ordre marketing, mais une compétence systémique.

Malheureusement, beaucoup trop d’organisations marocaines restent dans le « mieux faire » plutôt que le « faire autrement». Le top management doit aujourd’hui accepter que l’innovation implique incertitude, temps, et parfois disparition des repères. La véritable innovation, celle qui produit l’émergence, ne vient pas uniquement de l’amélioration mais de la transformation.

Obstacles clés :

Le cadre de risque reste trop étroit.
Le management reste trop peu engagé dans le numérique, l’open innovation, la collaboration externe.
Le focus à court terme empêche des investissements disruptifs.

Piste d’action : construire une stratégie d’innovation ouverte (open innovation), s’associer à des start‑ups, des universités, des réseaux internationaux. Mettre en place des labs internes, instaurer des métriques d’innovation (nombre d’expérimentations, produits lancés, revenus issus de nouveaux modèles). Valoriser des champions internes de l’innovation. Faire de l'erreur un levier, non un stigmate.

Au‑delà des sept étages : quelques réflexions critiques

Ces sept niveaux ne sont pas simplement séquentiels ; ils sont imbriqués : la veille alimente le process, le process permet la planification, la planification nourrit la prévision, etc. Le top‑management doit naviguer dans cette chaîne avec cohérence.

Il ne suffit pas de vouloir : il faut faire et réviser. Le retard accumulé se rattrape partiellement, mais exige une énergie collective.

Le contexte marocain est favorable : forte ouverture extérieure, jeunesse entrepreneuriale, digitalisation montante. Mais sans changement mental, l’émergence risque d’être partielle, confinée dans des niches.

Il existe une tension permanente entre culture « héritée » (hiérarchie, routinisation, centralisation) et culture « moderne émergente » (agilité, partage, transversalité). Le top‑management est en première ligne de cette tension.

Le rôle de l’État, des grandes entreprises publiques, des groupes privés est crucial : ils peuvent impulser ou freiner. Le changement mental ne se décrète pas ; il se porte dans les récits, les pratiques, les récompenses.

Le Maroc « émergent » !

Le Maroc « émergent » ne deviendra pleinement émergent que lorsque ses dirigeants, dans le secteur public et privé, abandonneront l’idée d’un simple ajustement périphérique et accorderont toute leur attention à changer la structure mentale du top‑management. Les sept étages que nous avons identifiés – veille, process, planification, convergence/mutualisation, prévision, anticipation et innovation – constituent autant de paliers à franchir pour que le pays ne se contente plus d’« émerger » mais devienne acteur d’un nouveau chapitre de son histoire économique.

Ce n’est pas seulement une question d’outils ou de méthodes : c’est une question de posture. Le top management marocain doit désormais incarner, pratiquer et promouvoir une culture de l’avenir. À défaut, les opportunités — nombreuses — risquent de rester lettre morte. C’est une mutation exigeante, mais indispensable pour que le Maroc ne soit pas seulement un « cas d’emergence », mais bien un modèle d’émergence durable

Émergence économique Maroc, top management marocain, veille stratégique, innovation managériale, planification stratégique, convergence et mutualisation, anticipation économique, gestion des processus, transformation digitale Maroc, leadership et innovation.






Mercredi 5 Novembre 2025


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