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​ Profilés pour être influencés ? Pour une transparence radicale des algorithmes


Rédigé par le Dimanche 8 Juin 2025

Ils savent qui vous êtes. Pas seulement votre nom ou votre adresse IP, mais bien plus : ce que vous aimez, ce qui vous angoisse, ce qui vous fait cliquer à deux heures du matin. Bienvenue dans l’ère du profilage algorithmique, où chaque interaction numérique devient une donnée monétisable, chaque clic un indice psychologique, chaque pause de lecture une opportunité d’influence. La technologie ne se contente plus d’observer, elle anticipe, manipule et façonne nos comportements.



📲 Profilés pour consommer, voter… ou obéir ?

Et si l’inquiétude autrefois floue de “se sentir observé” était aujourd’hui parfaitement justifiée ? Si l’ère numérique, sous ses atours pratiques et personnalisés, avait discrètement déplacé le pouvoir de décision des citoyens vers des systèmes opaques qui les connaissent mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes ? C’est l’alerte lancée par plusieurs chercheurs européens, à l’image d’Oana Goga ou de Philippe Huneman, dans un contexte où la régulation politique et sociale semble toujours en retard d’un algorithme.

Quiconque a déjà vu apparaître une publicité pour un billet d’avion après avoir discuté vacances en terrasse se l’est demandé : nos smartphones nous écoutent-ils ? Pas nécessairement, mais nos traces numériques, elles, parlent — et beaucoup. Les sites web, les plateformes sociales, les applications de jeux ou de météo enregistrent chaque geste, croisent ces données, les revendent à des entreprises appelées data brokers, comme Acxiom, pour bâtir des profils d’utilisateur d’une précision troublante.

La finalité ? Influencer. Vendre. Convaincre. Manipuler. Que ce soit pour acheter une paire de baskets ou pour voter à une élection. Le scandale Cambridge Analytica avait déjà mis en lumière l’usage politique de ces données : des profils psychologiques ont été ciblés pour influencer des votes, notamment lors du Brexit ou de l’élection de Donald Trump. Mais ce qui était alors un choc d’opinion est devenu aujourd’hui une pratique banalisée.

🧠 L’algorithme sait ce que vous ferez demain

C’est là que l’histoire devient dérangeante. Les modèles algorithmiques actuels sont devenus si puissants qu’ils peuvent prédire nos comportements mieux que nos proches. Le simple suivi de nos activités en ligne suffit à deviner notre personnalité, nos opinions, nos angoisses. Et surtout : à les exploiter.

Grâce au profilage, défini par le RGPD comme « traitement automatisé de données à caractère personnel pour évaluer certains aspects personnels », des plateformes comme Facebook n’attendent même plus qu’un annonceur définisse sa cible : elles choisissent elles-mêmes qui doit recevoir tel message.

L’utilisateur n’est plus un client, il est devenu un sujet.

🧒 Les enfants, cibles malgré eux

Pire encore : cette mécanique vise aussi les plus vulnérables. Officiellement, les enfants ne doivent pas être ciblés. Officieusement, ils le sont. Les études menées dans le cadre du programme MOMENTOUS montrent qu’il est possible de les atteindre par le biais du ciblage contextuel. Une publicité placée sur une vidéo de Peppa Pig devient alors un biais de manipulation parfaitement légal — mais moralement douteux.

Et si l’on ne parle pas seulement de publicités pour des jouets mais de contenus idéologiques ou de propagande ? Le danger devient alors sociétal, voire démocratique.

Face à ce système tentaculaire, la seule réponse crédible est la transparence. Pas seulement dans les CGU que personne ne lit, mais dans les structures mêmes des plateformes. Pour cela, deux leviers sont urgents :

    Législatif : imposer un accès encadré aux données des plateformes pour les chercheurs et les régulateurs. Sans cet accès, il est impossible d’auditer les algorithmes.

    Citoyen : encourager des initiatives participatives comme AdAnalyst ou CheckMyNews, qui permettent aux utilisateurs de reprendre le contrôle sur leurs données — et de contribuer à la recherche publique.

Pourquoi ne pas aller plus loin ? Créer un observatoire indépendant européen des plateformes, doté d’un panel citoyen volontaire de 2000 personnes ? Ce serait un pas majeur pour démystifier les mécanismes cachés de nos écrans.

🧭 Le choix fondamental : efficacité ou éthique ?

Il y a là un dilemme fondamental : voulons-nous un monde numérique efficace mais intrusif, ou éthique mais plus lent ? C’est la question que posent les chercheurs. Car nous ne pouvons pas tout avoir. Et il est illusoire de croire que la technologie restera neutre. Ce que nous autorisons aujourd’hui à l’algorithme à faire pour vendre une chaussure, il pourra le faire demain pour orienter un vote.

Dans une démocratie, le consentement n’est pas une case à cocher. C’est un principe fondateur. Or, les algorithmes d’aujourd’hui ne demandent pas de permission explicite. Ils devinent, anticipent, et nous mettent devant des choix déjà orientés. Cela s’appelle le nudge : une forme douce de manipulation, à peine perceptible, mais redoutablement efficace.

💥 Ce qu’il faut éviter à tout prix :
 
  •     Que les régulateurs restent spectateurs d’un jeu dont ils ne comprennent ni les règles ni le code source.
  •     Que l’école n’enseigne pas l’éducation aux algorithmes dès le collège.
  •     Que les plateformes continuent de gérer leur propre régulation en toute opacité.
  •     Que le droit à la vie privée devienne un luxe de riche ou un mythe de l’époque pré-numérique.
✊ Un plaidoyer pour la liberté cognitive

L’enjeu n’est pas de diaboliser les algorithmes, ni de revenir au pigeon voyageur. Il s’agit de défendre un droit fondamental : notre liberté cognitive. Le droit de penser, de choisir, de douter — sans que chaque clic ne soit un levier psychologique entre les mains d’intérêts privés.

Nous ne voulons pas de plateformes qui nous guident. Nous voulons des outils qui nous servent.
Il est temps de replacer l’humain — et non la machine — au centre de l’espace numérique.
Car ce n’est pas la technologie qui façonne l’avenir, mais bien les règles que nous lui imposons.





Mohamed Ait Bellahcen
Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls l'auto... En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 8 Juin 2025

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