Par un grand-père Adnane Benchakroun qui voyage avec les mains plus qu’avec les mots
Et pourtant, me voilà aujourd’hui, à soixante-dix balais passés, en train de réserver des billets d’avion pour l’Espagne, le Portugal, parfois même l’Italie. Moi, le vieux qui ne sait pas dire plus que “hello” et “gracias”. Et encore, avec un accent à réveiller Cervantès dans sa tombe.
Pourquoi je m’entête ? Parce que voyager, c’est ma manière de rester jeune. Quand je me perds dans les ruelles de Séville ou que je sirote un café à Lisbonne, je redeviens ce petit garçon qui découvrait le monde à travers les pages jaunies de Jeune Afrique ou les récits de mon oncle marin.
Le problème, c’est que le monde ne parle pas ma langue. Alors, je parle avec les mains. Beaucoup. Ça marche ! Enfin… disons que ça dépanne. Un index pointé vers l’assiette du voisin pour commander le même plat, un sourire large comme un billet de dix euros pour demander le chemin, et parfois, un petit dessin griffonné sur un coin de nappe.
Evidemment, il y a eu des malentendus mémorables :
Un jour, à Barcelone, je croyais commander un plat de poisson. Le serveur m’a apporté… une montagne de poulpes. Avec leurs ventouses et tout ! J’ai mangé poliment, en me disant que l’océan avait ses surprises. Une autre fois, à Londres, j’ai demandé “water” et j’ai eu un thé brûlant. J’ai compris ce jour-là que dans certains pays, l’eau, ça se boit toujours parfumée.
Et puis il y a eu ce moment à Madrid, où je voulais dire à la dame de l’hôtel que la clé de ma chambre ne marchait pas. Après dix minutes de gestes dignes d’un mime en plein concours, elle a cru que je lui demandais… un massage. Nous en rions encore quand je retourne la voir.
Mais je ne vais pas vous mentir : à force, c’est fatigant. On rate des choses. On sourit poliment sans savoir si on nous a complimenté ou insulté. On se sent parfois… de côté. Comme si la fête se déroulait dans une pièce à côté et qu’on restait coincé dans le couloir.
Je me dis souvent : si je parlais anglais, si je comprenais l’espagnol, mes voyages auraient une autre couleur. Je pourrais discuter avec le chauffeur de taxi, échanger des histoires avec la serveuse, ou comprendre les blagues que tout le monde partage à table. Mais apprendre une langue à mon âge… j’ai essayé. L’application sur le téléphone, les vidéos “English in 10 minutes a day”. Résultat : au bout d’un mois, j’ai oublié la moitié, et l’autre moitié s’est mélangée avec mon français.
Et voilà qu’aujourd’hui, mes petits-enfants m’annoncent que peut-être, bientôt, mes AirPods, oui, j’ai des AirPods, cadeau de la famille, pourront traduire instantanément ce qu’on me dit. En direct, dans mes oreilles !
Rien que d’y penser, j’ai le cœur qui bat. Imaginez : je suis au marché de Valence, le marchand me parle de la fraîcheur de ses oranges, et hop ! une petite voix me le traduit. Je pourrais répondre, plaisanter, négocier… vivre la scène comme un vrai local.
Ce ne serait plus seulement du tourisme, mais du partage. Et peut-être que, pour la première fois, je pourrais voyager sans ce petit mur invisible entre moi et les autres.
En même temps, je me demande : est-ce que ce mur n’a pas aussi son charme ? Après tout, les malentendus font partie de mes souvenirs préférés. Cette glace au goût inconnu que j’ai mangée à Rome parce que je n’ai pas compris la carte. Ce bus pris par erreur en Grèce qui m’a conduit à un petit village où j’ai été invité à boire un café par des pêcheurs.
Si la technologie gomme toutes les erreurs, est-ce que le voyage ne perdra pas un peu de sa poésie ? Est-ce que tout comprendre, ce n’est pas aussi risquer de tout banaliser ?
C’est pour ça que je ne veux pas seulement cette traduction instantanée pour moi. Je veux l’avoir pour vous montrer qu’on peut vivre deux époques à la fois : celle des carnets griffonnés au stylo et celle des AirPods qui parlent toutes les langues.
Je veux vous dire : “Regardez, même à mon âge, on peut continuer à apprendre, à se surprendre, à se jeter dans l’inconnu.” Et aussi : “Parfois, ne comprenez pas tout. Laissez-vous porter.” Parce qu’un voyage, ce n’est pas seulement une destination, c’est aussi la façon imprévisible dont on y arrive.
Alors oui, pour mon prochain anniversaire, si la rumeur dit vrai, offrez-moi ces AirPods magiques. Pas pour me couper des gestes et des regards, mais pour m’ouvrir encore plus grand le monde. Je veux continuer à commander du poisson en recevant des poulpes, mais cette fois, en comprenant la blague du serveur.
Et si, un jour, vous me croisez dans un café à Lisbonne, un appareil dans l’oreille, en train de rire avec un inconnu dans une langue que je ne parle pas… sachez que ce n’est pas un miracle. C’est juste la magie des voyages, aidée par un petit bout de technologie.
Parce qu’au fond, peu importe la langue : tant qu’on partage un sourire, on se comprend déjà un peu.












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